Sport

Jean-Pierre Garuet, mythique pilier du XV de France

0
Please log in or register to do it.

EntretienComme le clame fort justement mon bien cher père, « Qui ne connaît pas « Garuche » ne connaît pas le rugby ! » Jean-Pierre Garuet, finaliste de la première coupe du monde de 1987 face aux Blacks, vainqueur du grand chelem la même année et considéré par ses pairs meilleur pilier du monde, est une pierre angulaire de l’histoire du quinze tricolore. Un rugby fidèle à ses valeurs de partage, son sens du sacrifice et à ses racines (le FC Lourdes pour notre homme) ancrées dans le terroir. Aujourd’hui maire adjoint de… Lourdes bien évidemment, Garuche revient, non sans nostalgie, sur ce passé sportif glorieux qui a inspiré plus d’un pilier des générations suivantes. Puisque je vous dis que les affirmations de mon paternel sont paroles d’évangile !


« Aujourd’hui, on dirait que les premières lignes ont des entraînements plus dignes de bodybuilders que de rugbymen »

Vous êtes resté fidèle à Lourdes et à vos racines. Aujourd’hui, comme au football, certains rugbymen sont devenus des mercenaires qui changent de clubs au rythme des contrats. Pensez-vous qu’on ait perdu là l’une des valeurs essentielles du rugby ?

Autre temps autres mœurs dirais-je ! Une des grandes valeurs du rugby de mon époque, c’était cette fierté de défendre, sur le terrain, des couleurs, un maillot, un esprit de clocher qui faisait l’une des caractéristiques du rugby amateur. Aujourd’hui, à l’heure du professionnalisme et dans une société où l’argent est devenu le nerf de la guerre, on incite bien évidemment les joueurs à organiser leur carrière en fonction des contrats proposés par les différents clubs. C’est un peu désolant car la substantifique moelle du rugby est en ce sens laissée de côté, même si je ne blâme pas les joueurs. Je ne peux pas affirmer que, moi-même, je ne me serais pas laissé tenter par l’appât du gain !

Certains clubs tentent néanmoins de garder une ossature stable !

Oui et j’en suis ravi ! Certains joueurs, au-delà de l’argent, restent très proches de leur club formateur, de leur ville, de leur couleur, du maillot. Prenons par exemple le club de Perpignan. Il y a une ossature Catalane qui fait plaisir à voir. Certains clubs tentent également de bâtir une équipe sur la durée, inculquant à ses joueurs des valeurs propres au club. Regardez l’ASM (association sportive montferrandaise) ! Elle a dû lutter pour enfin conquérir le titre de champion 2010, mais le travail de fond a fini par payer et on ne peut que les féliciter. Pour gagner au rugby, au-delà du talent individuel, il faut des affinités très fortes entre les joueurs, un partage de valeurs communes et cela ne peut s’acquérir qu’avec le temps. Les différentes lignes du pack doivent être soudées et complémentaires, apprendre à souffrir ensemble. C’est cette cohésion, acquise avec le temps, qui sera déterminante dans les phases capitales d’un match à gros enjeu. Il faut bien plus d’une seule saison pour que la mayonnaise prenne et que les quinze joueurs acquièrent les automatismes nécessaires à la victoire.

La première ligne est un poste à part au rugby. Quels sont les points essentiels pour briller au poste de pilier ?

En première ligne, tout est basé sur la complicité entre le talonneur et les deux piliers. J’ai pour habitude de dire que les piliers, comme les bœufs, fonctionnent par paire. On peut prendre deux piliers réputés parmi les meilleurs du monde dans la même équipe, mais si la cohésion et l’entente entre eux ne sont pas totalesn, cela ne donnera rien de bon. Là, je vous parle de souffrance, d’effort commun. Un pilier doit être capable de sentir si son binôme est en difficulté, savoir anticiper son placement, ses moments forts comme ceux plus faibles. Au final, les deux piliers ne doivent plus former qu’un ! On a souvent caricaturé les gars de la première ligne comme des bourrins tout juste bons à pousser en mêlée. C’est tout le contraire, ce sont des types plein de finesse car la mêlée ne se limite pas à la seule épreuve de force. C’est un corps à corps où la malice, le sens de l’anticipation, la minutie dans le placement, la liaison entre les lignes, le tempo et la cohésion à la poussée sont des facteurs primordiaux. La première ligne donne le ton d’un match et je suis heureux que le dernier tournoi des six nations, remporté par le quinze tricolore, ait redonné ses lettres de noblesse à la première ligne du pack. Par expérience, je sais que le trio de la première ligne vit vraiment le match avec ses tripes, n’hésitant pas à porter les stigmates du combat sur son corps. À la première entrée en mêlée, on se doit d’imposer un impact psychologique qui s’avère souvent déterminant pour la suite du match. Dans toute ma carrière, j’ai rarement vu des équipes prises à défaut sur les mêlées capables de s’imposer !

La mêlée a d’ailleurs pas mal changé au fil du temps !

Lorsque j’ai débuté ma carrière, nous étions cinq en mêlée. Puis, en 1978, on nous a demandé de nous lier en nous tenant par le bras extérieur. Toutes ces règles ont forcément modifié notre approche du pack. Personnellement, je suis passionné de physique et j’aimais calculer les angles pour mes placements. Je n’ai jamais rien laissé au hasard. J’étudiais chacun de mes adversaires à la vidéo afin de m’imprégner de leurs points forts comme de leurs lacunes. Parfois, le pilier en face est plus tonique, plus gaillard et alors, il convient de ne pas être pris à défaut. C’est le placement, le timing, la mise en place, la tonicité de la poussée ou le petit coup de malice qui va faire la différence. Aujourd’hui, les mêlées ne durent guère plus de six à huit secondes et donc, tout est dans l’impact. À mon époque, cela pouvait durer jusqu’à vingt ou trente secondes et il fallait un cardio à la hauteur. Tout est question d’adaptation !

Lorsque vous avez débuté, un joueur de première ligne pouvait peser 85 kg et être performant. Aujourd’hui, il est rare de voir un homme du pack de moins de 100 kg. Comment expliquez-vous cette « évolution » physique des rugbymen ?

Je m’en inquiète un peu d’ailleurs. Aujourd’hui, on dirait que les premières lignes ont des entraînements plus dignes de bodybuilders que de rugbymen. Alors oui, ils sont bâtis comme des armoires et paraissent indestructibles. Pourtant, lorsque je vois six ou sept blessés dans certains clubs en début de saison, je me pose des questions ! Chez nous, on misait sur la force intrinsèque et les capacités physiques du joueur pour le guider vers tel ou tel poste. Je dirais que nous étions, à la base, des forces de la nature, des paysans, comme moi, qui s’étaient forgé un physique grâce aux travaux de charge à la ferme. Aujourd’hui, on bâtit le joueur pour le dédier à un poste alors, qu’à mon époque, c’était l’inverse. On ne faisait que renforcer ses acquis naturels lors de l’entraînement, mais la force, elle, était là ! Je pense que, dans une certaine mesure, les protections trop importantes lors des entraînements sont la cause de nombreuses blessures. On protège le joueur telle une voiture bourrée d’air bags. Résultat, son corps apprend moins à encaisser les chocs, à se positionner pour anticiper le contact. En match, sans protection, le corps ne peut accepter le traitement qui lui est infligé et la blessure est alors souvent au rendez-vous !

En 1987, vous remportez le grand chelem avec les bleus et vous êtes élu « meilleur pilier du monde ». Quel regard portez-vous aujourd’hui sur cette époque bénie de la première coupe du monde dans l’hémisphère Sud ?

Un regard ému bien évidemment. J’ai conscience d’avoir eu la chance de participer à cette grande épopée du rugby français. On venait de remporter le grand chelem et la première coupe du monde se dessinait. C’était une superbe reconnaissance pour notre sport et tout le monde attendait l’événement avec impatience. À l’époque, on partait pourtant vraiment dans l’inconnu. Pour nous, cette première coupe du monde, on l’abordait un peu comme la continuité du tournoi des cinq nations. Le groupe avait été préparé depuis 1983. On se connaissait par cœur ! Nous avions atteint une telle complicité que l’équipe de France ressemblait à une équipe de club dans son mode de fonctionnement. Jacques Fourroux était un génial chef d’orchestre qui nous avait insufflé une formidable dynamique de victoire. Bien sûr, je me souviens de notre exploit en demi-finale lorsque nous avons battu les Australiens favoris du tournoi sur leur terre. Et puis, il y a eu cette finale perdue car on manquait un peu de fraîcheur. On avait tout donné contre les Wallabies, jouant à 100 % de nos capacités pendant tout le match et malheureusement on a payé ça cash ! Contre les Blacks, la moindre faute se paie comptant. C’est une équipe que je respecte beaucoup et que j’admire pour sa rigueur. La Nouvelle-Zélande est la terre du rugby et tout le pays est acquis à la cause de son équipe nationale. Lorsque tu entres dans le stade, tu as parfois l’impression d’entrer dans une église tant le recueillement est à son comble. J’aime cette sensation si particulière !

Y’a t-il des moments précis de cette aventure de 1987 qui résonnent encore aujourd’hui avec émotion ?

Ce sont surtout des coups du sort qui m’ont marqué. Notre buteur, Philippe Bérot se blesse au dernier match d’entraînement qui précède la coupe du monde et ne participe hélas pas à la fête. Il y a aussi Éric Bonneval qui a fait un tournoi des cinq nations magnifique et qui se blesse lors du premier décrassage quelques heures après notre arrivée dans l’hémisphère Sud. On avait fait venir quelques Néo Z pour nous donner la réplique. Avec le voyage, le décalage horaire, on avait besoin de prendre nos marques. Là, je me souviens que sur ce petit terrain, Eric fait une merveilleuse percée et s’en va tranquillement à l’essai. Il est relâché et un Néo Z lui arrive dessus en trombe et le plaque sévèrement. Bilan, entorse du genou ! Cela a fait le bonheur de Didier Camberabero qui nous a offert un match énorme en demi finale contre l’Australie. Le sport, c’est aussi des histoires comme ça, des hasards, des coups du sort.

Pour cette coupe du monde, c’était la première fois que vous passiez une si longue période loin de chez vous. Comment avez-vous vécu cette vie en quasi-autarcie ?

Effectivement ! Pour cette coupe du monde, nous sommes partis presque un mois et demi. À l’époque, il n’était pas envisageable de faire venir les familles à l’autre bout du monde. Heureusement que nous étions soudés car, pour certains, cet éloignement a été très délicat à gérer. On vivait en vase clos. On se levait rugby, on mangeait rugby, on vivait rugby ! Je pense que durant cette période, nous avons bâti des liens si forts qu’ils sont encore palpables lorsque l’on se voit aujourd’hui, plus de vingt ans après.

Le rugby, à l’époque, c’est aussi de mémorables troisièmes mi-temps. Des anecdotes ?

La troisième mi-temps fait partie de la tradition du rugby. Après un match, les corps sont meurtris, vidés de toute force et ce moment chaleureux permet de retrouver l’amitié entre deux clubs ou nations qui viennent de s’affronter avec rudesse sur le terrain. Ce qui est assez drôle dans ces épisodes de troisième mi-temps, c’est que l’affrontement même dans la joie et l’allégresse continue au bar. On essaye encore de prouver que l’on est plus fort, plus endurant que son adversaire. Je me souviens d’une fois où les Australiens, très habitués à la bière, nous avaient fait plier. Pour la revanche, je les ai pris au vin blanc et là, il y a eu du dégât chez les Wallabies. Aujourd’hui, lorsque l’on se croise lors des gros matchs, certains d’entre eux m’en reparlent encore ! Joueur, aujourd’hui adjoint au maire de Lourdes et cultivateur, comment avez-vous vécu votre virage post-rugby ? La transition s’est faite dans la douceur puisque je suis adjoint au maire depuis 1989 et que j’ai fini ma carrière en 1991. Je suis né à Lourdes et je suis toujours resté fidèle à mes origines, mes racines. Je suis un grand défenseur de ma ville ! Je suis issu de la France profonde, de la terre et le rugby m’a permis de m’ouvrir au monde extérieur, de voyager, de côtoyer des personnalités qu’il ne m’aurait jamais été donné de rencontrer si je n’avais pas été rugbyman de l’équipe de France. Je voue une reconnaissance éternelle à ce sport qui m’a tant donné et pour lequel je me suis investi à 100 %. Aujourd’hui, je me sers de mon expérience glanée pendant ma carrière pour la mettre au service de ma ville.

Intégrer un club de rugby est-il selon vous pour tout jeune une formidable école de la vie ?

Sans aucun doute ! Le rugby véhicule des valeurs comme le respect, le courage, l’abnégation qui sont, à mon sens, essentielles. Le club, c’est aussi l’occasion de forger des amitiés très fortes, des liens solides, des gens sur qui on peut compter dans les moments difficiles et avec qui on partage tout, de la victoire à la défaite. Il y a deux ans, j’ai été invité en Colombie dans un centre de formation pour de jeunes rugbymen. J’ai été heureux de constater que l’on se servait du ballon ovale pour faire passer un message éducatif et social auprès de la population. La France devrait peut-être s’en inspirer dans les écoles !

Comment vivez-vous aujourd’hui ce rugby grand spectacle prôné par certains clubs du top 14 ?

Je dois dire qu’au départ, j’étais assez sceptique. Mais lorsque l’on voit ce que le président du Stade Français, Max Guazzini, a apporté au rugby, on ne peut que lui tirer notre chapeau. Remplir un Stade de France pour un match du top 14, qui l’aurait cru ? Et bien lui, il l’a fait ! Avec lui, le rugby est une grande fête et tout le monde devrait en être fier.

Pierre Villepreux disait : « Dans une équipe de rugby, il n’y a pas de passagers, il n’y a qu’un équipage » Cela correspond à votre vision de ce sport ?

Cela dépend ce qu’il entend par équipage. Effectivement, une équipe de rugby est un équipage mais sans commandant de bord, de second et de steward. Les échelons n’existent pas dans ce sport. L’individualité n’est rien sans le collectif. Même si certains brillent plus que d’autres en marquant des essais, il faut savoir que chaque victoire se construit à quinze et le geste de celui qui aplatit est le fruit du travail de tous. Je me souviens de Serge Blanco ou Philippe Sella qui étaient de formidables marqueurs d’essais et qui, en revenant se placer à leurs postes après avoir marqué, nous faisaient toujours un petit clin d’œil ou une tape amicale pour nous féliciter, nous les avants, du boulot accompli. Cette sensation du devoir bien fait n’a pas de prix !


Jean-Éric Ougier, pyrotechnicien

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *