Entretiens Musique

Soen, la marche impériale

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Tel le serpent qui orne la pochette de son dernier album, « Imperial », Soen se fraye un chemin sinueux entre les genres, les codes, bousculant les frontières du metal prog pour conduire ses compositions aux confins de la mélancolie mélodique, une musique qui vous prend aux tripes et vous invite au plus délicieux des voyages. Un brin de Tool, un soupçon de Pink Floyd, une once du Genesis des débuts… Soen condense ses influences pour donner vie à un concentré émotionnel tout en nuances sans jamais entrer dans une démonstration technique où la forme nuirait au fond. Joel Ekelöf, membre fondateur et voix du combo suédois, nous ouvre les portes du royaume de Soen !

« Un musicien est un artiste qui se doit d’explorer sans se soucier des règles qui sont un frein au processus créatif. »

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Il semble que la situation que connaît aujourd’hui le monde face à cette crise pandémique ait été une influence dans le projet qu’est ce nouvel album, « Imperial ». Dans quelle mesure cela a-t-il été une source d’inspiration ?

La plupart des morceaux étaient déjà écrits lorsque cette pandémie a frappé le monde mais il est vrai que cela a eu une influence sur notre manière d’enregistrer. Comme toutes les dates de concert ont été annulées, nous avons eu de fait plus de temps pour nous consacrer au studio et vraiment fignoler les moindres détails de ce nouvel album sur lequel nous avons passé un temps fou pour qu’il soit le plus fidèle possible à l’idée que nous en avions.

Comme vous le disiez, vous avez passé 12 heures par jour pendant plusieurs mois pour donner naissance à « Imperial ». Considérez-vous cet album comme le plus abouti depuis la création du groupe ?

Sans aucun doute. Le temps passé sur cet album plus que sur tous les précédents nous a permis d’aller au-delà de nos espérances, de repousser nos propres limites pour que « Imperial » soit le plus abouti possible. Pouvoir passer autant de temps en studio est un luxe et nous en avons forcément profité pour que rien ne soit laissé au hasard.

La pochette de ce nouvel album où trône un serpent est assez inquiétante, oppressante même. Peut-elle s’apparenter à une parfaite allégorie de la situation que nous vivons actuellement ?

Si tu entends « oppressant » dans le sens où ce serpent représente une sorte de symbole du pouvoir alors je suis d’accord avec toi. Un pouvoir qui souhaite nous contraindre et dont il faut s’abroger.

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“Imperial” est un album empli de noirceur, de réflexion, de frustration mais également d’espoir. Est-il une sorte d’introspection ?

Ce côté introspectif, sorte de voyage intérieur pouvait être vrai pour nos premiers albums. Avec les années, je crois que nous sommes définitivement plus orientés vers un message que je qualifierais de tourné vers l’extérieur justement. En tant que groupe, ce dernier album, s’apparente à une sorte de constat. Nous avons envie que notre musique soit une fenêtre sur le monde tel que nous le voyons et la possibilité de faire naître un questionnement quant à notre société et le rôle que nous y tenons. Je crois que nous avions besoin de sortir de la vision quelque peu nombriliste du musicien qui va justement se servir de son album comme d’une sorte de thérapie et ne se tournera que vers une seule chose, lui-même. Notre démarche était de nous dire : « Ok, voilà ce qui nous préoccupe, voilà ce qui selon nous ne tourne pas rond dans notre monde… » et de se servir de cela pour générer une réflexion. Nous sommes définitivement aujourd’hui dans une démarche plus constructive, positive qui consiste à nous focaliser sur ce qui ne va pas pour tenter de l’améliorer plutôt que de se plaindre sans agir. Il y a toujours l’espoir d’avoir une vie meilleure, de voir un monde meilleur mais cela passe par le fait d’une prise de conscience, une prise de conscience fruit d’un questionnement qu’en tant qu’artistes nous nous faisons un devoir aujourd’hui d’intégrer dans nos morceaux.

« Antagonist », le premier extrait de votre nouvel album revêt un message fort comme on peut le voir dans le clip tourné pour l’occasion. Il faut donc, comme vous le dites, dans ce morceau que « la colère soit la voix dont le monde a besoin pour se faire entendre » ?

Si tu penses que tu es victime d’oppression, que le monde ne tourne pas rond alors oui, tu es en droit de laisser parler ta colère pour que les choses changent. Ne soyez pas passifs ! C’est peut-être ce que cette pandémie nous a permis de comprendre dans notre société démocratique européenne dans laquelle on prend toute chose pour acquise. La liberté de parole, le fait de pouvoir sortir tranquillement manifester parce que l’on est en désaccord… Toutes ces choses sont aujourd’hui à mon sens largement remises en cause et l’on se rend compte qu’il faut continuer à se battre. Le fait d’être, en raison de cette crise de la Covid, restreints dans nos libertés est un élément tout à fait nouveau pour nous européens et forcément, cela doit nous amener à nous poser des questions pour comprendre que chaque droit n’est jamais totalement acquis et que les choses peuvent très vite changer. Il est bon de nous rappeler que, dans certains pays, cette liberté qu’elle soit de parole, de pensée ou simplement le simple fait d’être celui que tu es vraiment sont des droits constamment mis à mal et pour lesquels des gens se battent en permanence, parfois au péril de leur propre vie.

Sur votre précédent album, « Lotus », figure le morceau Lascivious qui est un amoncellement de mélodies plus complexes et mélancoliques les unes que les autres et empli d’envolées lyriques à couper le souffle.  Pouvez-vous nous parler du processus de composition d’un tel morceau qui résume parfaitement l’univers musical de Soen ?

Martin (Lopez, tête pensante de Soen aux côtés de Joel) serait plus à même de répondre à cette question quant à la composition de ce morceau puisqu’il en est l’auteur. Ce que je peux dire, comme tu le spécifiais, c’est que Lascivious reflète en effet bien ce que nous sommes musicalement, un parfait résumé de ce que nous nous efforçons de véhiculer par le biais de nos compositions. C’est un titre que nous adorons jouer en live car le public y est très réceptif. Cette composition possède en elle une sorte de lumière intérieure qui, visiblement, touche le public. Sur notre nouvel album, des morceaux tels que « Lumerian » ou « Deceiver » s’en rapprochent énormément à mon sens.

Le processus d’enregistrement en raison de cette pandémie a-t-il été un véritable challenge ?

Au-delà de processus créatif qui a été assez long, cette pandémie nous a obligés à repenser l’album en matière de logistique. Normalement Cody (Ford, guitare) vient nous rejoindre en Suède depuis le Canada où il vit pour enregistrer ses parties de guitare. Là, il a dû tout enregistrer dans un studio au Canada pour nous envoyer ensuite ses pistes que nous avons intégrées. Même chose pour notre bassiste Zlatoyar qui se trouve en Ukraine. Cette pandémie nous a donc obligés à aborder l’enregistrement de ce nouvel album de manière toute différente et à trouver une sorte de coordination qui soit optimale pour que l’interaction entre les différents musiciens malgré la distance soit au rendez-vous.

On dit de vous que Soen est un pont entre Tool et Pink Floyd. Sont-ce là des références qui vous conviennent ?

Cette référence à Tool était surtout vraie pour le premier album « Cognitive » mais je crois qu’elle est beaucoup plus diffuse aujourd’hui. Pink Floyd, pour son côté atmosphérique, est bien sûr une grande source d’inspiration, mais cela vaut pour beaucoup de groupes. Soen est à mon sens une combinaison entre le prog original comme le Floyd, ce qu’a pu être Genesis à ses débuts, King Crimson ou Jethro Tull et un côté très metal qui d’ailleurs s’avère de plus en plus marqué au fil des albums. Nous sommes avant tout polarisés sur les structures des morceaux et le message que nous souhaitons véhiculer plus que sur une sorte de démonstration technique musicale comme peut le faire par exemple Dream Theater.    

La vidéo de votre morceau, Martyrs, qui met en scène des drag Queens a fait naître une controverse sur votre page Facebook. Pensez-vous que notre société n’ait pas l’esprit assez ouvert ou les « haters » sont-ils plus enclins que les autres à s’exprimer sur les réseaux sociaux ?

Je ne me souviens plus trop comment est née cette idée, si c’est notre producteur ou nous-mêmes qui l’avons initiée mais ce que je sais c’est que tout le monde a trouvé intéressant le concept que des drags Queens jouent notre rôle dans le clip. Il n’y avait pas derrière cela un message qui se voulait politique ou quoi que ce soit, c’est juste que l’idée nous a paru originale. Je me souvenais du clip de Faith No More Easy qui figure sur leur album « Angel Dust » et qui se déroule dans une chambre d’hôtel ou l’on voit Mike Patton et les autres membres du groupe en compagnie de drag Queens. Mais nous ne sommes plus en 1993 et, avec Internet, tout est aujourd’hui scruté pour tenter d’y voir autre chose que ce que toi tu as souhaité montrer. Il faut en permanence chercher des significations à tout et déverser son point de vue en Ligne. Avec les réseaux sociaux, les gens adorent se donner de l’importance, créer des polémiques là où il n’y en a pas. C’est devenu le jeu préféré pour beaucoup trop de personnes et l’un des signes de notre temps.

Sur certains de vos albums, vous aviez une approche très analogique de l’enregistrement puisque vous aviez déclaré dans une interview que « la perfection est ennuyeuse ». Est-ce toujours le cas aujourd’hui ?

J’ai une approche très agnostique de la technologie. Pour nos enregistrements, on utilise tout ce qui nous semble bon et qui sonne bien à nos oreilles, peu importe que cela soit analogique ou numérique. Il est vrai que pour notre troisième album « Lykaia », nous avions établi des règles assez strictes concernant l’enregistrement, des règles auxquelles nous ne souhaitons pas déroger. Nous avions élaboré un vrai plan de bataille en studio pour que le son soit le plus naturel possible et c’est pour cette raison que nous avons eu recours à l’analogique. Aujourd’hui, nous sommes moins radicaux dans notre approche, privilégiant le fond et cela peu importe la forme ou le matériel utilisé tant que nous parvenons à ce qu’était l’idée de départ que nous avions du morceau. On se fiche donc de la technologie qui sera utilisée, l’important est de s’en servir à bon escient pour qu’elle serve ta composition sans la trahir et ne pas opérer qu’un copier/coller informe qui, au final, te fera perdre l’essence même de ce qu’était ton morceau. Un musicien est un artiste qui se doit d’explorer sans se soucier des règles qui sont un frein au processus créatif.

Vous avez des dates de concerts programmées en 2021 pour promouvoir sur scène ce nouvel album. N’est-ce pas trop frustrant d’avancer ainsi à l’aveugle sans savoir si vous aurez la possibilité d’honorer ces concerts en raison de la pandémie ?

C’est terriblement frustrant d’être dans le brouillard sans savoir si ce que l’on a programmé des mois à l’avance va pouvoir ou non se dérouler. Ce que je sais, c’est que l’on a tous envie de jouer ce nouvel album sur scène et nous saisirons toutes les chances qui nous seront données de pouvoir le faire. Pour l’instant, sur les dates de 2021, on reste optimiste et il le faut sinon la seule alternative que tu as est de t’enterrer sous une pierre en ayant simplement abdiquer. Nous, on veut y croire ! Nous devons normalement jouer au Hellfest en 2021 et nous allons croiser les doigts pour que les gros festivals estivaux puissent se tenir même si hélas, pour l’instant, rien n’est moins sûr.

Quels sont les trois albums qui vous ont le plus influencés ?

Pas évident de répondre à ça ! L’album « Dirt » de Alice In Chains a été pour moi d’une importance capitale car j’étais adolescent à l’époque et cet album je me le suis véritablement accaparé. À la maison, mon père passait en boucle des albums de prog rock et « Dirt », c’était pour une fois un truc très personnel, sans l’influence disons paternelle. Plus jeune, j’ai également adoré Alice Copper et son album « Trash ». Après, il y a eu « AEnima » de Tool, ce groupe qui a été une grande source d’inspiration pour Soen. Si je peux en ajouter un quatrième, je dirais « Grace » de Jeff Buckley.

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