http://www.miviludes.gouv.fr
La bête aurait donc choisi son champ d’expression musical. Elle sera black métal où ne sera pas ! Les incendies d’églises, orchestrés par de rares groupes radicaux au début des années quatre-vingt dix en Norvège, ont fourni l’alibi nécessaire à quelques médias en manque de sensations fortes pour alimenter leurs feuilles de choux d’une pseudo conspiration sataniste s’immisçant au cœur des rouages de notre société. Mais entre l’imagerie des pentagrammes, boucs cornus et autres croix inversées des pochettes d’albums du black métal et le dogme religieux du fondateur de l’église de Satan, Anton LaVey, il y a un fossé que le sociologue et enseignant Nicolas Walzer s’évertue à démontrer au cœur de ses ouvrages. Une interview que l’on peut déguster sans gousses d’ails autour du cou !
« J’ai recensé environ une centaine de satanistes religieux en France, nous sommes donc loin des 25 000 avancés par la Miviludes »
J’apprécie le métal et m’intéresse de près à la religion. Ceci vous paraît-il à ce point antinomique ?
Non, pas du tout ! C’est d’ailleurs ce que j’ai tenté de démontrer au travers de ma thèse comme de mes ouvrages. Contrairement aux idées reçues, il est assez compliqué de trouver, au sein des amateurs de musique métal, des personnes complètement indifférentes au religieux. Ils peuvent être chrétiens, athées ou même très défiants vis-à- vis de la religion, mais cette dernière ne les laisse en aucun cas indifférent. En fait, il faut comprendre que la plongée première dans le métal extrême se fait souvent à l’adolescence. Se met alors en place un parallèle conscient ou inconscient entre le christianisme et l’autorité parentale face à laquelle l’adolescent se rebelle. Cette rébellion peut alors s’accompagner d’un discours plus ou moins abouti de rejet des valeurs véhiculées par la religion.
« Dieu vaincu deviendra Satan, Satan vainqueur deviendra Dieu » disait Anatole France. Croire en Dieu, n’est-ce pas croire en Satan et vice versa ?
Le problème vient du fait que l’on confond l’imaginaire satanique qui est de l’ordre de la culture (et qui est vécu comme un folklore) et le satanisme qui est de l’ordre de la religion. Au départ, certains fans de métal extrême vont lire des ouvrages sur Satan pour défier la société et se procurer des sensations fortes. Pourtant, si l’imagerie satanique perdure, il faut savoir que très rares sont ceux qui vont ensuite prendre leur carte à l’Eglise de Satan. Les médias se passionnent pour cette soi-disant montée du satanisme dont les membres se cacheraient au sein des rouages de notre société. En réalité, j’ai recensé environ une centaine de satanistes religieux en France, nous sommes donc loin des vingt-cinq mille avancés par la Miviludes (http://www.miviludes.gouv.fr/) ! Éclaircir le terme sataniste, l’employer à bon escient, éviter l’amalgame entre les référents visuels et l’Eglise de Satan créée en 1966 par LaVey, c’est un bon point de départ pour ne pas tout confondre.
Justement, Anton LaVey, fondateur de l’église de Satan et auteur de la Bible satanique est-il une référence aujourd’hui pour les descendants de la mouvance black métal ?
Aujourd’hui, très peu se réclament de l’Eglise de Satan. De mon point de vue, c’est LaVey qui invente en 1966 le satanisme (avec ce -isme qui pointe un dogme) alors qu’avant cette date nous étions dans la sorcellerie. Je tiens à souligner la rigueur qu’il faut toujours avoir en tête (c’est un peu le but de la sociologie) : le iste comme dans sataniste se rapporte à une démarche religieuse tandis que le -ique comme dans imaginaire satanique se rapporte à une démarche culturelle. Il y a peu de passerelle entre les deux contrairement à ce qu’on pourrait croire. Au fil du temps l’amalgame initié par les médias entre sataniste et black métal a dégoûté tous les amateurs de cette musique comme les groupes eux-mêmes qui ont peu à peu pris leurs distances avec l’imagerie et l’inspiration satanique de leurs textes. Beaucoup de métalleux se moquent totalement du satanisme, mais peuvent être fans de films d’horreur comme Kirk Hammett (le guitariste de Metallica) qui vient d’écrire un livre (très érudit) sur la question. Actuellement, le métal extrême s’avère plus proche du paganisme, dans ses paroles comme dans les référents que l’on peut découvrir sur les pochettes d’album. Tolkien, la nature, la culture nordique sont désormais des sources d’inspiration plus prononcées que l’imaginaire satanique des débuts.
Dans les années quatre-vingt-dix, on a effectivement beaucoup parlé de black métal et de satanisme, certains groupes allant jusqu’à brûler ou inciter à brûler des églises en Norvège. Cela reste pourtant un fait rare et quelque peu daté ! Ne sommes-nous pas là dans la caricature, comme pour le punk ou le rap par exemple ?
Finalement, depuis les Beatles, les Stones ou Led Zeppelin, il y a eu une espèce d’escalade de la subversion. C’était le fameux sex, drugs and rock’n’roll poussé à son paroxysme ! Chaque groupe a souhaité aller toujours un peu plus loin dans l’excès en épousant la permissivité de la société. Le problème est effectivement que cette surenchère permanente a découlé sur une mise en application des idées véhiculées dans les textes de certains groupes « extrémistes » comme Burzum. Nous sommes passés à ce moment-là dans la pathologie. Ce qui, au départ, se limitait à penser, boire, manger, se vêtir black métal s’est transformé en une radicalisation qui demeure néanmoins un cas assez isolé. Quelques jeunes se perdent s’ils souffrent déjà, avant leur découverte de cet univers d’un environnement familial problématique de troubles du comportement ou de l’emprise d’un « grand frère » charismatique. C’est exceptionnel et relié à des profanations de sépultures en France, c’est de la délinquance de la marginalité sociale et non de la marginalité culturelle. Satan apparaît pour ces jeunes comme un tuteur qui permet à cette jeunesse de se construire. L’Adversaire qui crée une identité à cette jeunesse, le Diviseur qui la rassemble et l’Accusateur qui lui sert de porte-parole.
Gaahl, le chanteur de Gorgoroth, est-il à vos yeux, ce que le black métal peut receler de plus extrême ?
Il en fait partie, sans aucun doute. Gaahl est pour certain un personnage charismatique, mais il n’en demeure pas moins très particulier. C’est un homme avec, peut-être, des troubles psychologiques qui s’est radicalisé au fil du temps.
Il semble que Nietzsche, dont le courant philosophique est souvent cité en exemple par des groupes de black métal, soit utilisé à contresens. Comment expliquer que de nombreux groupes, tel Gorgoroth par exemple, se servent de Nietzsche à mauvais escient ?
Pour Gorgoroth et d’autres groupes de black métal, Nietzsche est vu comme un nihiliste alors qu’il s’est lui-même élevé contre ce courant de pensée européen. La philosophie de Nietzsche est si complexe qu’elle est souvent bien délicate à appréhender par la plus grande partie de la population, métalleux inclus. Certains n’hésitent pas à dire que si Nietzsche vivait aujourd’hui, il écouterait du black métal. Franchement, c’est peu probable ! En effet, le philosophe allemand opposait la lourdeur de la musique du Nord, le côté wagnérien que l’on retrouve dans le métal, et la légèreté de la musique méditerranéenne qu’il affectionnait.
Le « Dieu est mort » de Nietzsche est-il ce pourquoi les satanistes ont pris le philosophe allemand en exemple sans pour autant tenter de décrypter convenablement sa pensée ?
Peut-être, mais là encore, on peut tordre la pensée de Nietzsche dans tous les sens et donc, lui faire dire ce que l’on veut tant certains de ses aphorismes peuvent s’avérer contradictoires.
Dans l’évangile selon Luc, Jésus parlant aux apôtres dit « Je voyais Satan tomber du ciel comme l’éclair. » Croire en Satan, c’est donc croire aux saintes écritures !
C’est un des paradoxes du satanisme. Il repousse l’hypocrisie qu’il attribue au christianisme tout en en reprenant in extenso tous les grands symboles. Au-delà d’une volonté flagrante d’anticonformisme, les satanistes aiment provoquer la peur d’autrui, une peur renforcée par l’ignorance. On note en effet un côté élitiste chez les satanistes qui, soulignons-le, ne croient pas au diable en temps qu’entité physique (pour les laveyens en tous les cas), mais comme symbole de puissance, avec un côté libidinal très appuyé.
Pour tout un chacun, l’ombre n’est-elle finalement pas plus attirante que la lumière ?
On peut dire cela, surtout à l’adolescence ou l’attirance vers ce terrain est forte. Depuis Ozzy Osbourne, l’imaginaire satanique, de la croix inversée a été repris par de nombreux groupes. Ne sommes-nous pas là dans le cliché plus que dans la réelle croyance ? Oui bien évidemment, mais le cliché fait partie du métal et s’avère une spécificité assumée. Lorsque des métalleux montrent leurs fesses à un concert, cela est inhérent au show au même titre que la croix inversée, les crânes, le sang… Il y a en fait un gros côté : « J’assume ma part animale » que l’on constate dans les hurlements gutturaux du métal extrême. Cet anticonformisme est un moyen de se démarquer, parfois poussé jusqu’à la caricature. Le metal est en lui-même un cliché même si certains black métalleux s’en offusquent aujourd’hui et aimeraient lui conférer un côté plus intellectuel. Or le metal et notamment le heavy metal d’Iron Maiden et Metallica, c’est une musique qui se vit en famille et qui n’est pas élitiste.
La violence intrinsèque du métal extrême n’est-elle pas justement contrairement aux idées reçues un exutoire permettant de libérer son for intérieur plus qu’une apologie de cette violence ?
Tout à fait ! Le métal agit comme une sorte de catharsis, la théâtralité scénique de cette musique permet de libérer ses pulsions agressives, de les évacuer aussi bien pour l’artiste que pour l’auditeur. Ces passions prétendues morbides homéopathisent la violence, équilibrent le psychisme de bon nombre de ces jeunes. Ce Satan forme un espace ludique expérimentant les possibles normalités de demain. Il est d’ailleurs à noter que les concerts de métal sont ceux où l’on dénombre le moins d’incidents, de bagarres. Interrogez le service de sécurité de votre salle de spectacle la plus proche. Il s’agit d’une violence très normée, très contrôlée.
Le Hellfest a été souvent décrié par des élus locaux en raison de sa saveur « sataniste ». Pourtant, depuis que l’événement a lieu, aucun incident n’est à signaler sur le site ou dans la ville de Clisson. Ne serait-il pas temps de tordre le cou aux idées reçues ?
Il est à noter que la plupart de celles et ceux qui se sont élevés contre le Hellfest étaient des chrétiens radicaux, soit une marge infime de la population.
Pour en savoir plus vous pouvez lire les ouvrages de Nicolas Walzer Satan profane. Portrait d’une jeunesse enténébrée, Desclée de Brouwer, 2009. Le satanisme : quel danger pour la société ?, Pygmalion, 2008 (collectif). Anthropologie du metal extrême, Camion Blanc, 2007.