Société

Les Robins des Rues

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EntretienAssociation laïque, apolitique et militante, « Robins des Rues » accompagne les personnes démunies, tissant un lien indispensable et efficace avec les sans-abris pour leur venir en aide. Fondée sur la base du bénévolat par des personnes ayant une grande expérience dans le domaine associatif, « Robins des rues » arpente sans relâche non la forêt de Sherwood, mais le bitume parisien du 17eme, 18eme et 19eme arrondissement de la capitale. C’est au grand complet que les membres de l’association ont voulu répondre à nos questions afin de partager au mieux cette connaissance du terrain qui les caractérise.


« Vivre dans la conscience de sa responsabilité individuelle, refuser que celle-ci ne se dissolve dans la responsabilité collective ou d’Etat, c’est une attitude et un courage qui nous élève à titre individuel et commun. »

Comment est née l’association Robins des rues ?

En Décembre 2006, nous étions une trentaine de bénévoles, possédant une expérience des maraudes au sein d’autres associations, à ressentir, comme une évidence, la nécessité de continuer à visiter chaque semaine les personnes sans domicile fixe que nous connaissions bien dans le 1er et 18eme arrondissement de Paris. C’est pour continuer à aller à la rencontre des personnes qui nous attendaient chaque semaine que nous avons poursuivi les maraudes cet hiver-là, avec des moyens personnels. Début 2007, le mouvement s’est formalisé par la création d’une association Loi 1901, Robins des Rues était née. Nous sommes une association laïque, apolitique et militante, défendant les valeurs de solidarité et d’égalité. Le premier véhicule de maraude a été financé par un « voiturothon », des dons récoltés dans notre entourage, les amis, la famille. Les Petits Frères des Pauvres nous ont prêté un local dans le 17eme, qui nous a permis d’établir notre première base fixe. Aujourd’hui, nous sommes hébergés par l’association Macaq. Robins des rues est un organisme d’intérêt général, signataire du cahier des charges de la DDASS et de la Charte Ethique & Maraudes (http://www.espace-ethique.org/fr/maraude.php).

Quelles sont les principales actions menées par l’association ?

Les maraudes, sur le 17eme, le 18eme et le 19eme arrondissement, sont le point de départ de nos activités. Trois fois par semaine, toute l’année, une équipe de quatre à six bénévoles, dont un chauffeur et un chef d’équipe, sillonne les rues à la rencontre des personnes en très grande précarité, résidant dans la rue. Chaque maraude est organisée de manière à rendre des visites régulières aux personnes que nous connaissons, semaines après semaines. Notre objectif est d’abord d’établir et de maintenir un lien, de prendre le temps de la discussion, du contact humain. Dans le cadre de ces échanges, nous proposons souvent un bol de soupe et un café qui, outre le fait de partager quelque chose de chaud, favorise ce contact. Nous rencontrons une moyenne de cinquante SDF par semaine. Notre action se poursuit en dehors des maraudes, en journée, par un accompagnement de ceux qui le désirent dans des démarches administratives, de santé, des visites à l’hôpital, une recherche de lit infirmier. Nous essayons de le faire, dans la mesure du possible, en lien avec d’autres associations qui peuvent prendre le relais ou nous conseiller, ayant plus de compétences et des moyens adéquats, tels que Les Petits Frères des Pauvres, Les Taxis du cœur, Emmaüs, le Samu Social, ou avec des structures institutionnelles locales, CMS, PSA. Dans ces démarches, et en maraude, notre exigence constante est de respecter la liberté individuelle et la confidentialité, préalable indispensable à des relations de confiance réciproque.

Qui sont les bénévoles qui constituent l’association ?

Parmi la cinquantaine de bénévoles actifs dans l’association, on trouve une grande diversité de « profils », de l’étudiant à l’ingénieur, en passant par l’employé de bureau, quelques retraités. Nous présentons l’association, sa mission et son fonctionnement au cours de réunions d’accueil, à la suite desquelles chacun est libre de s’inscrire aux maraudes. Nous insistons pour que cet engagement s’inscrive dans la durée. Les anciens équipiers encadrent et accompagnent les nouveaux et, tous, nous apprenons au fur et à mesure de notre investissement. Dans un cadre commun qui est celui du respect humain et de l’ouverture d’esprit, entre équipiers comme auprès des personnes rencontrées, chacun apporte de sa personnalité et de ses éventuelles compétences. Le dialogue est toujours ouvert au sein de l’association, on n’y vient pas pour la « carte de visite », mais pour répondre à des motivations, personnelles à chacun, qui peuvent rencontrer les besoins des SDF que nous visitons. Sur la durée, on reçoit bien plus qu’on ne donne.

Aujourd’hui, beaucoup de personnes arpentent les rues sans même prêter attention aux sans abris. Pensez-vous que l’indifférence soit l’un des grands maux de notre société ?

Méfions-nous des généralités ! D’un côté, nous rencontrons des SDF qui nous parlent de leur malaise d’être « exposés » dans la rue au regard des passants, ce qu’ils ressentent comme du dédain. Ce rapport social violent, il existe. Les SDF, plus que tous autres citoyens, sont fragilisés face à ce ressenti. Rétablir ce lien social basique, d’humain à humain, c’est ce que nous cherchons à faire. D’un autre côté, on ne peut pas toujours parler d’indifférence face aux sans abris. La grande majorité de nos concitoyens est sensible et réceptive à la détresse et à la misère. Je peux être sincèrement concerné par la situation du SDF au coin de ma rue mais, simplement, je peux ne pas savoir comment m’y prendre pour entamer un dialogue dans ce milieu de la rue que je ne connais pas. Je peux même me sentir illégitime à intervenir. Et puis, la misère et la solitude, oui cela fait peur ! Est-ce qu’on essaye de se protéger en regardant ailleurs ? Dans le cadre d’un groupe, accompagné par des équipiers d’expérience, je peux trouver cet élan, ce savoir-faire et cette légitimité, et commencer à agir, moi aussi.

Sur votre site, on peut lire une phrase qui dit : « Je me disais « quelqu’un devrait faire quelque chose », et soudain, j’ai pensé que je pourrais être ce quelqu’un. » Pensez-vous qu’en ces mots réside une grande partie de la solution à la misère humaine ?

Ce serait trop simple à dire. D’abord il n’y a pas « une » mais « des » misères, qui tiennent à des phénomènes complexes, de l’économique au psychologique. En revanche, mettre en action son besoin d’être utile, par exemple, de contribuer à l’équité dans notre société, en agissant de manière éthique et partagée, c’est un début ! Vivre dans la conscience de sa responsabilité individuelle, refuser que celle-ci ne se dissolve dans la responsabilité collective ou d’Etat, c’est une attitude et un courage qui nous élève à titre individuel et commun. Il y a aussi une limite à notre action. Malgré tout ce qu’on peut faire, malgré notre investissement, on ne peut pas apporter une solution universelle à la misère. On a tout à fait conscience des limites de notre action. Et tant mieux ! Si on partait avec l’ambition de changer la face de la terre, on serait vite déçu et notre motivation ne tiendrait pas. On en a conscience ! On ne changera pas le monde avec nos maraudes et nos suivis. En revanche, décrocher un sourire, une blague, quelqu’un qui accepte un café au bout de plusieurs visites, c’est déjà une victoire ! Tant mieux, c’est ainsi qu’on conserve notre motivation. C’est une question d’humilité.

Pourquoi la plupart des sans abris refusent-ils de se rendre dans les foyers d’accueil ?

Au final, ce qui ressort, c’est que la rue est un univers hostile. Les gens y sont souvent seuls et isolés les uns des autres. Ils n’ont pas envie d’être regroupés avec des personnes comme eux dans des lieux clos. On concentre la violence et les problèmes. On voit souvent des installations de rue avec une accumulation d’affaires personnelles, qui limite le nomadisme. En s’absentant pour passer une nuit en foyer, des SDF craignent, à juste titre, de retrouver leur emplacement « nettoyé » le lendemain, voire occupé par d’autres. Le coin de rue où ils sont installés c’est leur « résidence », c’est une question de dignité que de tenter de reproduire un embryon de foyer et de propriété. Attention cela dit au mauvais poncif ! Ne créons pas le raccourci de dire que ces personnes ne veulent pas être aidées ! C’est la porte ouverte pour ne rien faire. Si les SDF refusent les foyers d’urgence, c’est que, souvent, ils ne sont pas adaptés, parfois insalubres, avec des vols, de la violence. Certes ces foyers existent, ce n’est pas rien, mais cela reste des solutions d’urgence, de nuit, éphémères. On ouvre des gymnases de Décembre à Mars, et après ?

Une fois devenu SDF, est-il selon vous possible de réintégrer une vie sociale « standard » ?

De quel « standard » de vie parle-t-on ? CDI, logement, nourriture, factures ? L’essentiel c’est d’abord de répondre à nos besoins primaires, mais comment y arriver ? C’est difficile à obtenir et surtout à maintenir, dans une société qui réclame de plus en plus de compétences, de capacités d’organisation et d’initiative pour y trouver sa place. L’instruction, la formation, la maîtrise de la langue, la santé physique et mentale, un entourage familial et/ou amical… Autant de piliers pour nous permettre de nous prendre en charge et de résister aux aléas d’une vie et au danger de l’exclusion. Sur ce point, nous ne sommes pas spécialistes, mais des études et réflexions existent, par exemple au sein de la FNARS (http://www.fnars.org/index.php/publications-de-la-fnars/145-publications-de-la-fnars/1561-la-fnars-a- publie). Le passage à la rue reste un événement très fort dans la vie des gens, cela créée des cicatrices marquantes. Ayant été confronté à cet univers, il est extrêmement difficile de reprendre la vie de monsieur tout le monde, sans aide sur un long terme. Si on arrive à « sortir de la rue », il faudra un minimum d’un an voire deux pour arriver à se reconstruire et se sentir légitime dans une vie plus « standard ».

La rue fait peur à tout le monde. À la vue des histoires personnelles dont vous êtes les témoins, chaque personne peut-elle potentiellement se retrouver SDF ?

La précarité a changé. Au « clochard » d’autrefois, homme de 35 à 60 ans, arrivé à la rue suite à une rupture familiale, connu dans son quartier, s’ajoute aujourd’hui une population de sans abris très diverse : Des jeunes de 25 ans ou moins, de plus en plus de femmes, des enfants, des étrangers de toutes origines, des malades psychiatriques, et même des personnes qui ont un emploi, mais pas assez de ressources pour se loger. Dans une société fragilisée économiquement, avec des liens familiaux moins solides, cet autre moi dans la rue, cela peut être moi. Sur un coup du sort, en dehors d’un terrain psychologique ou économique fragile, cela va plus vite qu’avant de basculer dans la précarité. Pendant un moment, on va peut être bénéficier d’une solidarité amicale ou familiale, mais cela peut ne pas durer. Le plus difficile, c’est d’obtenir un logement. Or, le logement est un socle. Surtout en région parisienne, il est plus difficile de trouver un logement qu’un job !

Pensez-vous que, comme aux États-Unis et la crise des subprimes, on va voir fleurir en France de plus en plus de camps de fortunes ou de personnes logeant dans leur voiture dans un avenir proche ?

Nous ne sommes pas des économistes professionnels, mais on peut déjà dire que le régime de protection sociale Français n’est pas comparable à la situation aux Etats-Unis. Maintenant, est-ce que votre question c’est de savoir si de plus en plus de personnes sont prêtes à accepter des solutions de logement indignes ? A notre niveau, on peut constater que des personnes qui n’étaient pas, auparavant, la « cible » de cette misère là, sont à présent exposées. Par exemple, on rencontre de plus en plus de retraités qui, confrontés à la flambée de l’immobilier, sont incapables de faire face avec leurs moyens.

Comment peut-on aider l’association Robins des rues ?

Nous recherchons, en permanence, des bénévoles motivés, qui vont s’investir de manière durable et dynamique. Au sein de l’association, nous avons mis en place des pôles d’activités, auxquels chacun peut contribuer à sa mesure, en dehors des maraudes. Les dons sont une aide également ! Par ailleurs, nous aurions besoin de trouver un local indépendant, nous servant de base pour la préparation des maraudes, avec des solutions de stockage pour notre matériel. Nous recherchons également à renforcer des partenariats avec d’autres associations, confrontées au même public que nous, afin de mutualiser nos ressources et nos efforts.


Jean-Éric Ougier, pyrotechnicien

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