À 74 ans, Gérard vit seul. Il a contracté le covid quelques jours seulement avant le confinement et, deux mois plus tard, son état nécessite toujours un suivi médical. Ancien premier maire adjoint d’une commune de Seine-Saint-Denis, Aubervilliers, cet éternel engagé politique n’hésite pas à pointer du doigt ce qu’il estime avoir été, de la part de l’Etat, une gestion désastreuse de cette crise sanitaire unique. Alors qu’un retour à une vie « normale » est, depuis le 11 mai, enclenché, Gérard se demande si dans le dilemme entre économie et santé, ce n’est pas la sacro-sainte planche à billets qui dicte sa loi !
« La santé est devenue une marchandise qui n’est plus dirigée par le corps médical mais par des comptables supérieurs guidés par la financiarisation d’un système. »
Vous avez été contaminé par le Covid, visiblement en participant à l’organisation du premier tour des élections municipales. Pensez-vous, à posteriori, que le gouvernement a pris un risque inconsidéré en maintenant ce premier tour de l’élection pour, le lendemain, déclaré le confinement de la population ?
Il y a quelque chose de choquant dans la décision d’avoir décidé de maintenir ce premier tour des élections municipales alors que le même jour on annonçait la fermeture des restaurants et qu’un confinement généralisé était déjà décidé. Le gouvernement savait tout ça ! Que le président de la République et le comité scientifique quelques jours auparavant nous expliquent que rien ne s’opposait à ce que tous les français, même les plus vulnérables, se rendent aux urnes pour, ensuite, nous obliger à rester chez nous est pour le moins un paradoxe incompréhensible. Le gouvernement savait que l’épidémie était en marche et tout laissait à penser qu’elle allait s’amplifier dans la semaine du second tour. Pour autant, dans une précipitation totale, on a maintenu cette élection. Un risque inconsidéré a donc été pris, bien évidemment. Tout le monde pouvait de surcroît noter qu’il était impossible lors de cette élection de respecter les gestes barrières élémentaires. Il n’y avait pas de masques, de gants, de gel hydroalcoolique, un seul stylo à disposition pour émarger… Cela a été une très mauvaise décision qui, hélas, en annonçait bien d’autres. En maintenant ce premier tour des élections municipales, on peut dire que certains morts du covid sont des morts politiques ! J’ai un ami, ancien élu et maire adjoint d’Aubervilliers, qui est décédé le 1er mai et qui, à l’évidence, a contracté le virus le jour de la tenue de son bureau de vote. Parler de « morts politiques », ce n’est donc pas être excessif !
Et à titre personnel, qu’est-ce qui vous a poussé à vous rendre à ce scrutin malgré les risques de contamination ?
Je ne tenais pas de bureau de vote ce dimanche car, d’abord, j’avais contracté le virus, je pense, quelques jours auparavant sans toutefois en manifester les symptômes. Ce jour du premier tour, je me suis donc borné à aller voter et rentrer à la maison. Bien sûr que la peur était là, mais quand, comme moi, on a passé sa vie engagé en politique, le vote revêt un caractère citoyen que je me devais de remplir.
Un mois après avoir été contaminé, vous n’êtes toujours pas remis. Quand on est malade et que l’on voit chaque jour le nombre de morts comptabilisés à la télévision, n’est-ce pas trop anxiogène ?
Anxiogène, ça l’est pour le moins ! On a d’ailleurs du mal à comprendre ce déchaînement médiatique sur cette épidémie. Impossible d’allumer la télévision ou ouvrir un journal sans que, partout, le covid soit présent. C’est un traitement de l’information que je trouve hallucinant et qui génère une terreur. La télévision nous nettoie le cerveau et pas de la meilleure des manières. Ce gouvernement fait l’inverse de ce qu’il fallait faire et la télévision a tout couvert, donnant l’absolution à toutes les décisions prises par le pouvoir. On n’a pas cessé de nous mentir et aucun journaliste ou très peu sont montés au front pour dénoncer cela. Le gouvernement nous a d’abord expliqué que les masques ne servaient à rien, parce qu’on n’en avait pas. Puis ça a été au tour des tests. Pour faire oublier tous ces mensonges, on nous fait défiler tous les soirs la calculette du nombre de morts, nous abreuvant d’images de salles de réanimation pleines. Tous ces chiffres, ces images, pour des personnes touchées, comme moi, par le covid, c’est forcément angoissant. On nous a maintenu volontairement dans la peur ! On aurait pu espérer que la télévision se charge d’engager un débat contradictoire nécessaire dans toutes les crises et là, on nous a servi une information linéaire qui semblait dire amen à tout.
Plus que la religion, la télévision n’est-elle pas devenue le nouvel opium du peuple ?
On peut le dire. La télévision qui, pendant deux mois, était sans cesse anxiogène, souhaitait nous empêcher de penser en utilisant la peur.
De manière générale, il semble qu’il y ait eu pas mal de « couacs » dans cette crise sanitaire inédite, comme le manque de masques que vous évoquiez par exemple. En tant qu’ancien premier adjoint au maire d’Aubervilliers, quel est votre regard sur la manière dont les choses ont été gérées par le gouvernement ?
Parler d’un « couac », c’est bien faible ! On a connu une gestion de crise catastrophique. Même si on ne connaissait presque rien sur ce virus, l’incertitude sur cette maladie s’est transformée en inquiétude car le gouvernement nous a menti, ne cessant de se contredire en permanence. Un jour un ministre nous tenait des propos qui, le lendemain, étaient démentis par un autre ! Comment voulez-vous y voir clair là-dedans ? On a manqué de tout et surtout de l’essentiel. Pas de masques, de blouses pour les soignants, un manque cruel de gel, des salles de réa en surcharge alors que des hôpitaux privés étaient à l’arrêt… Tout a été fait de travers alors que l’Italie, qui avait quinze jours d’avance sur nous par rapport à l’épidémie, aurait dû nous servir de guide pour gérer cette crise au mieux. Il aurait fallu tester, confiner les personnes positives et, au lieu de cela, le gouvernement a décidé d’un confinement généralisé en s’appuyant, encore une fois, sur la peur. Avant même le déconfinement des gens sortaient déjà dans la rue car ils n’en pouvaient plus de rester ainsi en vase clos dans, souvent, de petits espaces et à plusieurs. Pour moi qui suis élu, donc intéressé par la politique, la mauvaise gestion de cette crise est la conséquence directe de dix ans de recul de la santé publique. La santé est devenue une marchandise qui n’est plus dirigée par le corps médical mais par des comptables supérieurs guidés par la financiarisation d’un système. Cette gestion de crise du covid est donc un fiasco qui n’a hélas rien d’étonnant car il est dans la logique de la politique libérale menée par notre gouvernement.
Dans le 93 où vous habitez, la population a été durement touchée de manière tout autant directe qu’indirecte par ce virus. Cette crise pandémique n’a-t-elle pas mis un peu plus en évidence la crise sociale des banlieues et le marasme financier dans lequel se trouve aujourd’hui plongée toute une couche de la population ?
Le 93 a été fortement touché mais pas seulement. En région parisienne, le Val-de-Marne ou les Hauts-de-Seine ont également des taux de mortalité élevés. Je dis cela volontairement car je suis attaché au fait de ne pas contribuer à la stigmatisation de ce département qui, certes accumule des difficultés sociales considérables, mais qui a également des atouts. Derrière cette crise sanitaire se profile une crise sociale qui va être d’une grande violence, tout particulièrement pour ceux qui n’ont rien. Dans une ville comme Aubervilliers, je mesure hélas ce que cela signifie. 45% de la population perçoit des revenus proches du seuil de pauvreté. Il faut comprendre que face à cette France des démunis, le risque de révolte est quelque chose de bien réel. Les banlieues vont rester sur le devant de l’actualité mais pour quel avenir, là est la question !
Vous vivez seul et avez dû rester confiné après avoir été contaminé. Comment avez-vous vécu cette période en vase clos ?
Je suis resté un peu plus de quatre semaines sans sortir et c’est long, très long. Je vis seul, mais pas isolé ce qui m’a permis de traverser cette période avec un peu moins de stress et d’angoisse. Le confinement seul est dur, mais le confinement isolé est redoutable et difficile à vivre. Être isolé face au covid ou la maladie d’ailleurs, c’est la peur qui domine car on n’a personne avec qui partager ses angoisses. Il faut ne pas hésiter à solliciter l’aide lorsqu’on est isolé et ce n’est pas aussi facile qu’on ne le pense. Quand mes amis, voisins ont su que j’étais touché par le covid, j’avais cinq ou six propositions par jour pour savoir si j’avais besoin de pain, de nourriture, d’un journal… Ce n’est donc pas la même chose de vivre dans une situation de solitude ou d’isolement. Je n’ai donc pas vécu de façon trop difficile cette privation de liberté dû au confinement.
Le point positif de ce confinement, c’est que partout la nature a repris ses droits. Doit-on en tirer les leçons ?
La nature a repris ses droits, mais va-t-elle les conserver ? On est à mon sens à la croisée des chemins. Il faudrait pouvoir tirer les leçons de cette période que nous avons traversée. Si nous agissons comme avant, rien ne changera si ce n’est le fait que des crises de toutes natures vont se multiplier et s’intensifier. Cela nous questionne donc individuellement et collectivement sur nos modes de vie. L’autre question essentielle, c’est : « faut-il faire confiance aux responsables du monde d’avant pour nous préparer au monde d’après ? » Pour ma part, la réponse est non ! Le président est aujourd’hui en train de tenter de nous convaincre, et il peut réussir, que nous sommes tous dans le même bateau, que nous allons devoir travailler à la relance de l’économie, qu’il va falloir accepter les sacrifices d’aujourd’hui afin de récolter les bénéfices de demain. Ces logiques financières vont être le fossoyeur du service public et prolonger ce modèle de société dans lequel nous vivons. La crise risque donc de s’approfondir. On ne peut à mon sens, que compter sur un mouvement citoyen en lien avec le mouvement social pour espérer travailler à un autre modèle de société. Ce que nous venons de vivre a montré qu’il est possible de se reconnecter. On le voit avec le commerce local qui avait été quelque peu abandonné et qui a repris de l’essor pendant cette crise ou bien encore la nouvelle proximité avec les producteurs en circuit court. Cette crise a également mis en évidence que l’utilisation abusive de la voiture n’était pas forcément un passage obligatoire. Ce sont toutes ces questions qu’il va falloir avoir le courage d’aborder.
Aujourd’hui, le gouvernement a décidé d’un déconfinement et de remettre les enfants, surtout les plus jeunes, à l’école afin que les parents puissent reprendre le chemin du travail. Cela vous inspire quoi ?
Cela m’inspire beaucoup d’inquiétude. C’est important que les enfants retrouvent l’école, ça personne ne peut le contester. Mais on a l’impression que cette mesure est prise d’abord pour répondre à une volonté politique de relancer l’économie. Pour que les parents reprennent le travail, il faut que les enfants retournent à la crèche ou à l’école ! C’est préoccupant car, visiblement, les conditions de sécurité sanitaire ne sont pas réunies pour accueillir les enfants sans risque. Quand on écoute les interventions de certains enseignants, on peut hélas le vérifier. On constate une fois de plus que le gouvernement à tout fait à l’envers. Le président de la République a fixé une date alors qu’il aurait tout d’abord fallu se soucier des moyens à mettre en œuvre pour accueillir les élèves. Une fois que les conditions auraient été réunies pour assurer leur sécurité, là on aurait pu penser à fixer une date. C’est ce qui explique que la confiance en ce gouvernement soit de plus en plus faible. Là, on met les parents devant le choix cornélien de mettre ou non leurs enfants à l’école. Mais l’école est obligatoire ! Donc soit on est assuré que les conditions d’accueil répondent à la sécurité et les parents doivent alors se plier à cette décision de rouvrir les écoles. Soit la sécurité n’est pas certaine et l’école doit rester fermée. Le gouvernement n’a pas le droit de se défausser de ses responsabilités et les rejeter sur les parents. J’ajoute que l’on est proche de la fin de l’année scolaire et il aurait été, à mon sens, plus opportun de travailler sur les meilleures conditions possibles d’une rentrée en septembre. On est là dans une précipitation pour une relance de l’économie. L’école est un lieu dédié à l’instruction et non une garderie sanitaire au service de la relance économique.
« On est là dans une précipitation pour une relance de l’économie. L’école est un lieu dédié à l’instruction et non une garderie sanitaire au service de la relance économique. »
Dommage que les politiques ne lisent pas cette interview.