La Fédération Nationale Solidarité Femmes est un réseau de 66 associations qui accompagnent, hébergent, informent des femmes victimes de violences conjugales. Elle a initié la plateforme nationale d’écoute et gère le 3919 « Violences Conjugales Info ». Françoise Brié, vice-présidente de la fédération depuis quatre ans, est directrice d’un centre d’hébergement et d’accueil dans les Hauts de Seine. Pour Agents d’entretiens, elle revient sur le calvaire de ces femmes battues. Tous les deux jours et demi, l’une d’entre-elles meurt sous les coups de son conjoint.
« L’évidence, c’est que moins il y a de droits et d’égalité pour les femmes dans une société et plus il y a de violences faites à leur égard ! »
Que définit-on par violence conjugale. Parle t-on de violences physiques comme psychiques ?
On entend par là les violences faites à sa conjointe (dans leur grande majorité, ce sont des femmes qui sont concernées), qu’elles soient de nature verbale, psychologique, physique, administrative, économique ou sexuelle.
Dans les faits, les violences psychiques sont-elles prises en considération ?
Il y a toujours des violences psychologiques et verbales avant que ne surviennent les violences physiques. Une femme ne va pas se laisser frapper comme ça ! Le conjoint met en place insidieusement tout un processus de destruction psychologique avant que sa compagne « n’accepte » de recevoir des coups. Cela passe par des menaces et un dénigrement permanent. L’auteur de violences isole peu à peu sa victime, la terrorise ce qui fait que les femmes ne sont bientôt plus en capacité de réagir. Malheureusement, les violences psychologiques ne sont pas très faciles à prouver. Il faut garder des preuves, des sms, des témoignages afin de constituer un dossier. La violence conjugale est souvent constituée d’actes répétés, continus, qui ne sont pas, seuls, toujours juridiquement constitutifs d’un délit. La FNSF préconise la création d’un délit de violence conjugale qui permettrait de démontrer cette violence à partir de l’ensemble de ces actes non réprimés.
Il y a également une pression économique pour couper la femme du reste du monde ?
Effectivement ! Plus la femme est dans une situation financiaire précaire, plus il est difficile pour elle de s’en sortir ! Cela peut passer par la suppression par le conjoint de sources de revenus commes les allocations familiales afin de plonger peu à peu la victime dans un surendettement ce qui permet de contrôler ses moindres faits et gestes. Mais attention, postes à hautes responsabilités et violences conjugales ne sont pas antinomiques ! Le processus mis en place par l’homme est une véritable stratégie avec des phases de violence et des phases de « lune de miel » où cela va mieux. Les violences sont au départ espacées, puis de plus en plus fréquentes et dangereuses, pouvant aller jusqu’à l’homicide.
À combien estime t-on le nombre de femmes victimes de ces violences chaque année en France ?
Une enquête menée en 2000 par téléphone auprès de plusieurs milliers de femmes montrait que 9,6 % d’entre elles avaient été victimes de violences conjugales l’année précédente.
Le problème de ces violences est que, bien souvent, la femme n’ose pas en parler. Pourquoi ?
Les femmes ont honte, l’auteur les culpabilise. Par conséquent, elles hésitent à partir, à quitter le domicile conjugal. Elles ont peur de tout perdre, leurs enfants, leur habitation, leurs relations… Il faut également comprendre que le processus de dénigrement constant, de pressions psychologiques a des conséquences négatives sur la santé, le mental, les relations sociales de ces femmes qui ont peur en permanence. Du fait des traumatismes, certaines d’entre elles sont déprimées ou dans un état de stress constant. Un phénomène d’emprise est aussi très présent. Ces femmes ont construit une histoire avec un homme qu’elles ont pensé aimer et elles doivent en faire le deuil. Quitter son conjoint peut donc demander du temps.
Les femmes victimes de ces violences ressentent-elles également une sorte de honte qui les empêche d’en parler à autrui ?
La société a une représentation très tronquée et trop tolérante du problème, ce qui culpabilise les femmes victimes de ces violences. Quand les victimes viennent nous voir, elles se demandent comment elles ont pu accepter cela. Souvent, l’homme est charmant à l’extérieur de son foyer. La femme, elle, vit sous son contrôle, sa domination et est responsabilisée par son conjoint comme l’auteur de l’échec dans leur relation amoureuse, ce qui est toujours difficile à accepter.
La mort tragique de Marie Trintignant en 2003 sous les coups de son compagnon Bertrand Cantat a-elle permis de sensibiliser les victimes de ces actes ?
Cela a montré que les violences pouvaient arriver dans tous les milieux sociaux. Certaines femmes ont, par le biais de ce drame, pris conscience qu’elles n’étaient pas seules. La première conséquence directe a été de mettre la problématique en avant et d’avoir un débat sur cette question. Beaucoup d’excuses sont avancées pour tenter de disculper les auteurs. Ainsi l’alcool, s’il favorise le passage à l’acte en agissant comme désinhibiteur, ne doit pas être pris comme la cause des violences (heureusement tous les alcooliques ne sont pas des hommes violents). Excuse t-on le conducteur en état d’ivresse lors d’un accident de la route ?
Pouvez-vous nous parler du 39 19 ?
Le numéro a été créé suite au constat de l’association sur les violences conjugales. Le premier numéro a été mis en place à la fin des années quatre-vingt. Puis, il y a eu une première campagne de sensibilisation aux violences conjugales dans les années quatre-vingt-dix et nous avons alors reçu énormément d’appels. Les pouvoirs publics ont ensuite accepté de mettre en place un numéro à 10 chiffres devenu gratuit et à 4 chiffres en 2007 afin de venir en aide à ces femmes. En 2009, le 39 19 a reçu plus de 33 600 appels dont plus de 80 % correspondaient à des violences conjugales.
Qui sont les interlocutrices qui répondent lorsqu’une femme appelle le 39 19 ?
Ce sont des professionnelles, des psychologues, des éducatrices. Nous avons également à la fédération un service de formation afin de répondre au mieux aux demandes des victimes. Le 39 19 est d’abord un numéro d’écoute, mais il sert également à conseiller et orienter les femmes en détresse. La première démarche est de parler des violences subies, de mettre un mot sur ce qu’elles vivent. Puis, elles doivent prendre du recul, analyser leur situation afin de passer à l’étape suivante et entamer une procédure. Parfois, ce sont des proches qui appellent afin de savoir comment faire lorsque l’on sait ou que l’on se doute de violences conjugales subies par autrui. Le 39 19 n’est pas un numéro d’urgence et il peut arriver que nous redirigions les femmes directement vers la police. Le téléphone est un premier pas, mais cela peut prendre plusieurs mois avant que les victimes ne décident de contacter les associations afin d’aller plus loin dans leur démarche.
Avez-vous justement du mal à convaincre les femmes victimes de violences d’entamer des démarches à l’encontre de leurs conjoints ?
Chacune va à son rythme, mais certaines heureusement entament des démarches, pour d’autres il faudra plus de temps. Il y a des questions de dangerosité de situation. Certaines femmes doivent partir du domicile conjugal au plus vite pour leur sécurité ou lorsqu’elles n’ont pas de revenus, elles sont alors hébergées dans les centres. D’autres retrouvent un logement rapidement. La violence conjugale n’est pas un problème individuel, mais un fait de société qui concerne l’ensemble de la collectivité. L’éducation, la religion, les rôles stéréotypés des hommes et des femmes dans notre société ont une influence majeure. L’évidence, c’est que moins il y a de droits et d’égalité pour les femmes dans une société et plus il y a de violences faites à leur égard !
La loi n° 2006-399 du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs a t-elle permis de diminuer les violences ?
On constate une évolution au niveau de la loi depuis les années quatre-vingt-dix. Des débats politiques ont permis de faire bouger les choses. La loi s’applique désormais à trois niveaux : la protection, la répression et le côté préventif de la chose. On aurait souhaité plus de moyens y compris pour la prévention, la formation, mais des avancées certaines sont quand même à noter.
Les violences conjugales sont-elles selon vous en progression ou en régression ces dernières années ?
Il est difficile de le dire car de plus en plus de campagnes sont mises en place ce qui, heureusement, incite les femmes à parler de ce qu’elles vivent. Aujourd’hui, nous sommes dans une situation économique peu favorable et l’on sait que les périodes de crise sont en général des périodes de régression sur des droits fondamentaux. Alors, il faut continuer à lutter pour faire reculer ce fléau !
Qu’on s’occupe enfin de prévention et de protection dans le domaine des violences conjugales, y ayant été moi-même confrontée je ne peux qu’applaudir.
Mais pourquoi toujours les mêmes approximations ?
« Tous les deux jours et demi, l’une d’entre-elles meurt sous les coups de son conjoint. » : Non, c’est TUEE par son conjoint. Essentiellement par arme à feu ou blanche. Les coups ne représentent que 10% des cas.
« L’évidence, c’est que moins il y a de droits et d’égalité pour les femmes dans une société et plus il y a de violences faites à leur égard ! » : Des sources pour ça ? Des comparaisons fiables avec d’autres pays sur le niveau d’inégalité et le taux de violences conjugales ?
Et toujours cette sempiternelle affaire Cantat / Trintignant qui n’a rien à voir avec les cas que traite cette dame. Mais encore faut-il faire l’effort de lire le dossier judiciaire.
Merci bien sûr (quand même à cette dame pour son engagement !