Société

Denis Labayle, médecin et écrivain

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Pitié pour les hommes – L’euthanasie : le droit ultime, éd. Stock

Tempête sur l’hôpital, éd. du Seuil


EntretienMédecin, écrivain, initiateur du Manifeste des 2000 soignants ayant affirmé avoir aidé des malades à mourir, Denis Labayle avait jeté en 2002 un pavé dans la mare avec son livre, Tempête sur l’hôpital, un cri d’alarme poussé par un homme farouchement attaché aux valeurs du service public. En août et septembre 1998, lorsqu’éclate l’affaire Christine Malèvre, une jeune infirmière accusée d’euthanasie, Denis Labayle, partisan d’un devoir du médecin de lutter contre les souffrances des malades en fin de vie, publie dans Le Monde et dans Libération un article intitulé « Plaidoyer pour une infirmière », dans lequel il dénonce l’hypocrisie de la société face au problème de la fin de vie. Pour Agents d’entretiens, le médecin nous éclaire sur un problème de société qui n’a pas fini de faire débat !


« Je ne ferai pas fortune sur la souffrance des malades. » Voilà une idée qui changerait réellement l’éthique médicale de certains !

En quoi la loi Léonetti, votée en avril 2005, qui instaure un droit au « laisser mourir », a-t-elle modifié les choses concernant les malades en fin de vie ?

Sur un tel sujet de société, il ne peut y avoir de consensus. En 2005, le Parlement a voté à l’unanimité la loi Léonetti parce que ce texte était flou, ambigu et surtout, ne répondait pas au vrai problème de l’euthanasie, c’est-à-dire au droit pour chacun de choisir une mort sans souffrance. Elle a néanmoins été une étape. Elle a rappelé des principes déjà inscrits dans le code de déontologie, comme le refus de l’acharnement thérapeutique, ou inscrits dans la loi Kouchner de 2001, comme le droit pour le citoyen de refuser un traitement. Elle a proposé les « Directives anticipées », terme compliqué pour parler d’un testament de vie, du droit pour chaque citoyen d’écrire à l’avance ce qu’il souhaite pour sa fin de vie (principe déjà en vigueur dans de nombreux pays depuis de nombreuses années). Mais la loi est hypocrite car l’avis du citoyen est purement consultatif et non décisionnel, le médecin ayant le dernier mot. Hormis le souhait de développer les soins palliatifs, comme l’affirment les hommes politiques depuis vingt ans, la réelle nouveauté de la loi Léonetti est la reconnaissance du double effet des médicaments : la prescription d’antalgiques à forte dose peut être létale et, dans ce cas, non condamnée par la loi à la condition absolue que le médecin n’ait pas eu le moindre désir d’entraîner la mort du patient. Difficile légalement de savoir ce qu’il se passe exactement dans le cerveau d’un médecin qui accompagne son patient jusqu’à la fin. La reconnaissance du double effet des médicaments est une pirouette pour ne pas aborder la vraie question de l’euthanasie. Elle encourage l’euthanasie clandestine qui donne tout pouvoir au médecin et empêche le citoyen de faire son propre choix. Enfin, la loi Léonetti propose, quand les soins palliatifs s’avèrent insuffisants sur la douleur, le principe du « laisser mourir » par arrêt de l’alimentation et surtout déshydratation ce qui, pour beaucoup de médecins est éthiquement inacceptable. Les défenseurs de cette loi se sont souvent plaint qu’elle ne soit pas assez connue et appliquée. Quand une loi est claire, elle est appliquée. Quand elle est floue et ambiguë, elle ne passe pas. C’est son cas !

Comment expliquer que le 24 novembre 2009, les députés français aient rejeté une proposition de loi présentée par le député socialiste Manuel Valls, visant à légaliser l’euthanasie dans certaines conditions ?

Il faut noter que, pour la première fois, le Parlement se penchait réellement sur un texte de loi cadrant la question de l’euthanasie, et on a vu voler en éclats la belle et fausse unanimité de 2005. Les positions se sont précisées, le monde politique s’est divisé. Mais le débat fut bref, vite interrompu par la ministre de la Santé. Comme l’a fait un peu plus tard, en 2011, le Premier ministre, François Fillon, avec les sénateurs qui, pour une fois, désiraient aborder réellement la question à froid, loin des crises médiatiques et des réactions passionnelles. Un article du Premier ministre, paru la veille du vote dans le quotidien Le Monde, a radicalisé les positions et mis fin au débat : les sénateurs de la majorité sont rentrés dans le rang.

Selon une estimation, 75 % des Français seraient pour l’euthanasie, même clandestine. Pensez-vous que les choses évolueront un jour au sein des instances dirigeantes ?

Non, pas 75 % ! Les trois enquêtes faites depuis dix ans auprès de l’opinion publique donnent le même résultat : 86 % des Français sont pour un changement de la loi actuelle et demandent à être aidés pour mourir lors de leur fin de vie en cas de maladie mortelle et de souffrances incontrôlables. Il existe un hiatus social incroyable entre le désir de la population et la position dogmatique des élites médicales, politiques, juridiques et même religieuses (65 % des catholiques sont pour un changement de la loi).

L’euthanasie de Vincent Humbert par sa mère et le Dr. Chaussoy avait fait couler beaucoup d’encre et avait abouti à un non-lieu en février 2006. Quel est votre point de vue sur cette affaire ?

Le non-procès de Marie Humbert et du docteur Chaussoy illustre parfaitement l’hypocrisie juridique dans laquelle nous sommes. Bien qu’ayant pratiqué un authentique acte d’euthanasie, les auteurs ont été absous avant même d’avoir été jugés, par crainte de la réaction populaire et médiatique. Après les avoir mis en accusation, la justice a décrété le non-lieu sans procès.

Les soins palliatifs ont-ils modifié le débat sur l’euthanasie ?

La question n’est pas d’opposer les soins palliatifs à l’euthanasie, mais de laisser le citoyen maître de son désir. Ce sont deux propositions complémentaires. Car, au fond, il ne s’agit même pas d’une question de dignité, mais d’une question de liberté. La mort est une affaire personnelle, et les positions des uns et des autres doivent être respectées. Que ceux qui veulent mourir plus lentement avec des soins palliatifs obtiennent de la société les structures nécessaires à leur demande. Mais que ceux qui, las de souffrir, estiment que leur vie touche à sa fin et souhaitent ne pas supporter des souffrances inutiles et une déchéance cruelle, puissent aussi être entendus, et que la société réponde à leur attente de la façon la plus humaine possible (comme en Belgique ou en Hollande). La fin de vie est une affaire strictement privée. Personne ne devrait avoir le droit d’imposer à l’autre ce qu’il souhaite pour lui-même. À chacun sa liberté de choix. Tel est le vrai enjeu.

Il existe trois types de consentement. L’euthanasie volontaire, l’euthanasie non volontaire, acceptation 1 et l’euthanasie non volontaire, acceptation 2. Pouvez-vous nous éclairer sur ces termes ?

La question ne se discute pas : l’euthanasie doit toujours être une décision volontaire, un acte désiré par le patient, et confirmé plusieurs fois par celui-ci avant toute décision. Légiférer permet de donner au médecin les moyens thérapeutiques d’agir et offre un cadre juridique à cet acte qui, aujourd’hui, se fait en France dans la clandestinité, trop souvent sans demander l’avis du patient.

Les médecins suivent-ils tous à la lettre le serment d’Hippocrate : « Je m’abstiendrai de tout mal et de toute injustice. Je ne remettrai à personne du poison, si on m’en demande, ni ne prendrai l’initiative d’une pareille suggestion » ?

L’une des pressions psychologiques des opposants à l’euthanasie sur les médecins est de prendre le serment d’Hippocrate comme alibi. Comme je le raconte dans mon livre, le serment d’Hippocrate d’aujourd’hui n’a rien à voir avec le serment prononcé par les jeunes médecins au début du vingtième siècle. Les termes, l’esprit sont totalement différents, car ce texte a été réécrit maintes fois en fonction de l’idéologie ambiante et de l’évolution des lois (exemple : l’avortement). On ne peut donc s’abriter derrière un tel texte mouvant pour justifier sa position. D’autant que ce serment est très incomplet dans bien des domaines. Il y manque par exemple un item sur l’argent du genre : « Je ne ferai pas fortune sur la souffrance des malades. » Voilà une idée qui changerait réellement l’éthique médicale de certains.

Selon vous, sous quelles conditions devrait-on légaliser l’euthanasie ?

Il a été déjà proposé au Parlement plusieurs textes de légalisation de l’euthanasie, issus de partis politiques très différents, de la majorité comme de l’opposition. Mais un seul de ces textes a réellement été discuté à la Chambre des députés (2009). Tous ces projets de lois s’inspirent de ce qui existe chez nos voisins qui bénéficient d’une expérience de dix ans pour les Hollandais et de neuf ans pour les Belges. Contrairement à ce qui avait été annoncé, ces pays ne sont pas tombés dans la « barbarie », n’ont pas « massacré tous leurs handicapés ». Bref la population et même certaines instances religieuses (protestantes en particulier) ne veulent pas remettre en question la loi. Car cette loi est précise, contraignante pour le médecin, exigeante pour le malade. Pourquoi refuser chez nous ce qui est une avancée de la liberté chez les autres ? Au total, le débat sur l’euthanasie, éternellement reculé, devra être un jour réellement abordé. Il ne s’agit pas d’une question de dignité car il peut y avoir dignité dans bien des positions, mais d’une question de liberté, de respecter la liberté de chacun. Et si beaucoup de citoyens ne demandent pas pour eux d’aide à mourir en fin de vie, une très large majorité souhaite garder dans sa tête cette possibilité, cette liberté, car elle réduit l’angoisse de la fin de vie, et rien que pour cela, elle est un progrès.


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