De 12 à 16 ans, Sébastien Boueilh a été victime d’un pédophile, un proche de la famille, comme souvent, au-dessus de tout soupçon. Blessé, meurtri tout autant dans sa chair que dans son esprit, il a fallu du temps au jeune gaillard, rugbyman, pour laver ce sentiment de honte ressenti et enfin briser la loi du silence, exposant au grand jour, non sans des dommages familiaux collatéraux, son calvaire. Fort de sa tragique expérience, Sébastien Boueilh a fondé l’association « Le colosse aux pieds d’argile » pour tout autant prévenir dans le système éducatif et sportif au danger de la pédocriminalité que guérir en accompagnant celles et ceux victimes de ces prédateurs sexuels qui, tapis dans l’ombre, rodent.
« La honte doit changer de camp. Nous ne sommes pas coupables mais victimes ! »
Sébastien, vous êtes ancien rugbyman et fondateur de l’association « Le Colosse aux pieds d’argile ». Dans les années 90, entre vos 12 et 16 ans, vous avez été a été victime d’un pédophile. Quel a été votre cheminement pour passer de ce traumatisme vécu au fait de parvenir à libérer votre parole pour dénoncer ces abus dont vous avez été victime ?
Concernant la sémantique, ne parlons pas d’abus sexuels car on abuse d’un droit et l’enfant n’est pas un droit ! On essaye donc de bannir ce mot « abus ». J’ai effectivement été violé de mes 11 ans et demi à mes 16 ans et j’ai pu en parler 18 ans plus tard grâce à un copain d’enfance qui m’a annoncé avoir été violé par son voisin surnommé « Cricket ». Le lendemain, je l’ai rappelé pour lui dire que j’avais été victime de cette même personne. Ce « Cricket », c’était l’ami de mes parents et le mari de ma cousine. Avant d’aller porter plainte, j’ai décidé de me confier à mon cousin Frédéric avec lequel j’étais très proche et je me suis rendu compte que, lui aussi, avait été violé par ce même prédateur. Après mon dépôt de plainte, s’en sont suivies quatre années de procédure. Le procès a eu enfin lieu à Mont-de-Marsan pendant trois jours qui ont occasionné pour moi quatre nuits blanches. J’ai mis à profit ces longs moments pour réfléchir à comment venir en aide à celles et ceux qui avaient vécu le même drame que moi et protéger les futures potentielles victimes que peuvent être nos enfants.
Comme vous le disiez, au départ, vous étiez parti pour mourir avec ce terrible secret. C’est donc ce procès qui a agi comme un déclic et vous a incité à parler, à dénoncer votre agresseur ?
Le procès a été le début de ma résilience et la fin de mon autodestruction, ce mécanisme qu’ont beaucoup de victimes à se faire du mal pour s’apaiser. Au sortir du procès, j’ai effectivement créé « Le colosse aux pieds d’argile » sans savoir que, malheureusement, cela remporterait autant de succès. Jamais je n’aurais pensé en faire mon métier. Trois ans après la création de l’association, j’ai dû faire un choix. J’ai donc arrêté mon métier et le rugby afin de me consacrer à 200% à ce projet. Nous sommes aujourd’hui 12 salariés et passeront à 20 d’ici 2022. J’ai tatoué sur l’avant-bras : « On ne sait jamais ce que le passé nous réserve » et moi, il me réserve de belles choses car je parviens à libérer les paroles de victimes qui jusqu’alors s’étaient trop souvent murées dans le silence.
Et la clé, comme vous le dites sur la quatrième de couverture de votre livre, c’est d’en parler ?!
Il faut parler, c’est effectivement un mot que l’on rabâche lors de nos interventions. La honte doit changer de camp. Nous ne sommes pas coupables mais victimes ! La parole qui se libère, c’est la clé du bien-être. Après, bien sûr, cette parole doit être accompagnée car une parole qui se libère sans accompagnement peut rendre les choses encore plus compliquées.
Comme vous le dites, où que vous interveniez, il y a face à vous des victimes d’abus sexuels. Ce drame touche donc notre société bien plus qu’on ne l’imagine ?!
Hélas oui ! Je réalise actuellement la tournée des ministères. Je travaille étroitement avec le ministère des sports. Hier j’étais au ministère de l’éducation nationale, la semaine dernière avec le ministre de la justice Éric Dupond-Moretti… Quand j’explique à mes interlocuteurs notre manière de travailler et le pouvoir libérateur quasi immédiat que revêt mon témoignage auprès des jeunes, je les invite à m’accompagner pour se rendre compte de l’ampleur des dégâts. Lorsque j’interviens dans des classes, je suis au regret de constater qu’il y a un grand nombre de victimes majoritairement intra familiales ou bien encore victimes des réseaux sociaux avec un nombre incalculable de jeunes qui, par exemple, reçoivent des photos de sexes de personnes qu’ils ne connaissent pas. Ce sont toutes ces violences, identifiées dans le milieu scolaire, contre lesquelles nous essayons de lutter.
On sait que chez les enfants, les adolescents, les traumatismes subis ne sont hélas pas toujours dénoncés par crainte d’être jugé, pointé du doigt ce qui s’accompagne même, parfois, d’un sentiment de culpabilité, de honte. Cela a-t-il également été votre cheminement psychologique avant qu’enfin votre parole ne se libère ?
Au départ, effectivement, je ne parlais pas car j’étais empli d’un sentiment de honte. Le fait de ne plus me sentir seul face à ce prédateur qui tenait une place importante dans la famille comme dans le village m’a incité à franchir le pas. C’est ce cheminement que l’on explique lors de nos interventions. Oui, il faut du courage, mais il est primordial de parler et, même si les victimes subissent des pressions de la part de ces prédateurs sexuels, elles doivent les dénoncer
Quels sont aujourd’hui les actions menées par votre association que ce soit dans les clubs sportifs ou les établissements scolaires afin de prévenir tout autant, je suppose, qu’à inviter celles et ceux qui, comme vous ont été victimes d’abus sexuels, à parler ?
Concernant nos actions, nous avons deux axes principaux, le champ sportif et éducatif. Dans le sport, nous comptons, à ce jour, 40 fédérations qui sont conventionnées ou en passe de l’être et qui collaborent étroitement avec nous. Nous opérons un travail transversal au sein des fédérations, des clubs, des ligues, auprès des jeunes comme des adultes. Dans le champ scolaire, nous allons faire de la sensibilisation à partir des classes de CM1/CM2 jusqu’aux universités. Nous nous occupons également d’une formation des professionnels qui encadrent les enfants en leur apprenant à identifier une victime par rapport aux signaux qu’elle va envoyer, au changement de comportement qui va être le sien… Comment l’identifier, comment recevoir sa parole, comment la signaler, comment fonctionnent ces prédateurs ou prédatrices, un rappel de l’aspect juridique… Voilà tout ce à quoi on s’attèle. Dans le combat que nous menons, nous ne faisons pas la chasse aux sorcières mais nous nous polarisons sur la protection de l’enfant et de l’éducateur. Nous avons donc mis en place une charte de bonne conduite en ne nous basant que sur des faits réels et des situations qui nous ont été révélées lors de nos interventions. Si cette charte est respectée par les éducateurs comme par les enfants, alors ni l’un ni l’autre ne peut se retrouver en danger ou dans une situation qui pourrait être mal comprise des deux côtés.
On a vu ces dernières années des affaires d’abus sexuel surgir dans le milieu sportif avec le livre de la patineuse Sarah Abitbol qui a fait l’effet d’une bombe et a conduit à la démission du président de la fédération française des sports de glace, Didier Gailhaguet. Plus récemment, on a pu voir que le judo, l’athlétisme, la gymnastique ou le football étaient eux aussi pointés du doigt. Les jeunes sportifs sont-ils selon vous mal protégés des prédateurs sexuels et quels seraient les moyens à mettre en œuvre pour éviter ces actes atroces qui détruisent la vie d’enfants, d’adolescents, les marquant à tout jamais ?
Mal protégés certainement puisque de tels drames se produisent encore aujourd’hui ! Mais les choses sont en train de bouger grâce à une ministre des sports, Roxana Maracineanu, qui a pris le taureau par les cornes, a mis en place beaucoup d’actions et parvient enfin à faire bouger les lignes auprès des clubs, des fédérations et de l’administration également. Nous nous servons du sport comme d’un levier libérateur. Libérateur pour ces victimes qui le sont majoritairement dans le champ familial et qui, par le biais du sport, se libèrent quelque peu de cette chape de plomb qui pèse sur elles. Le sport sert donc aussi à réparer avec la psychoboxe, l’équithérapie, l’escrime… des activités qui vont redonner confiance aux victimes. Nous allons d’ailleurs mettre en place une semaine de résilience pour les victimes mineures âgées de dix à quinze ans. Elles seront reçues dans les Landes pour un moment qui sera centré autour du sport et de la thérapie afin de guider les victimes sur ce chemin de la résilience que j’ai moi-même emprunté et bientôt terminé.
La lutte contre les abus sexuels dans le sport doit-il passer par un changement des mentalités qui tendrait à une certaine « dévirilisation » où particulièrement les femmes jeunes, fragilisées, peuvent rapidement être sous l’emprise psychologique d’un entraineur ?!
Dans le champ sportif, il y a effectivement le rapport entraineur/entrainé mais il ne faut pas, lorsque l’on pense agresseur sexuel, faire le raccourci de se limiter à un prédateur adulte et à une victime enfant. 40 à 50% des violences sexuelles commises dans le champ sportif le sont d’un enfant sur un autre enfant. On retrouve cette problématique dans le bizutage qui prend souvent des formes à caractère sexuel que les jeunes se font subir entre eux.
La ministre des sports Roxana Maracineanu a fait, comme vous le disiez, de cette lutte contre les abus sexuels l’une de ses priorités afin que les responsables de ces actes soient punis. Quelles autres actions devraient être menées afin davantage encore prévenir tout autant que punir ?
Cela passera tout d’abord par la formation et la sensibilisation des dirigeants, des encadrants, des bénévoles… On note clairement un manque de formation avec des cadres d’état qui ne sont pas forcément alertés sur ces sujets-là. Un autre souci que nous avions identifié et que nous avons fait remonter à la ministre lorsqu’elle nous a reçus, c’est le filtrage des bénévoles, ces prédateurs ou prédatrices qui, une fois leurs peines purgées, reviennent dans le champ sportif et reproduisent les crimes pour lesquels ils ont été préalablement condamnés. Une expérimentation a été réalisée en région Centre Val-de-Loire et sera bientôt étendue au niveau national et à toutes les fédérations. Du coup, ce sont aujourd’hui 2 millions de bénévoles qui seront filtrés afin d’éviter de se retrouver avec des prédateurs ayant déjà commis un crime au milieu de gamins en toute impunité.
Celles et ceux qui vous écoutent ou qui vous lisent peuvent-ils prendre contact avec « Le colosse au pied d’argile » pour, sous couvert d’anonymat, dénoncer des prédateurs dont ils auraient été victimes et ainsi se libérer d’un poids ?
On reçoit quasi quotidiennement des témoignages et nous invitons donc toutes celles et ceux victimes de prédateurs à prendre contact avec nous. Après, l’anonymat, nous ne sommes pas pour car si l’on dénonce quelqu’un qui travaille encore dans le champ sportif ou éducatif, l’anonymat nous empêche de prendre en compte la déposition pour faire remonter l’affaire en justice. Il faut un nom en face du prédateur ! Les victimes qui nous contactent sont accompagnées sur le plan psychologique et juridique tout comme les victimes collatérales, c’est-à-dire l’entourage familial proche.
Souvent comme vous le disiez, le prédateur se trouve dans le cercle familial ou alors très proche de ce cercle. Lorsque l’on dénonce de tels crimes, c’est toute la cellule familiale qui souvent explose. Est-ce aussi ce que vous avez vécu ?
Oui, j’ai perdu presque toute ma famille, 18 cousines et cousins et 10 oncles et tantes. Je ne vois quasiment plus personne. L’avantage, c’est que les repas de famille me coutent moins chers ! Quand j’ai parlé, je comptais sur le soutien de familial mais hélas, je me suis retrouvé seul. J’ai été mis de côté. J’étais devenu le caillou dans la chaussure, celui qui allait salir le nom de la famille. C’est un sentiment très douloureux pour une victime. Il faut parler, mais c’est une bombe à fragmentation qui éclabousse toute la famille forcément.