Professeur de sciences politiques à l’université Lille-II, Rémy Lefebvre s’est intéressé de près aux primaires socialistes (Les primaires socialistes : la fin du parti militant) en démontrant à quel point ce processus électoral constituait une rupture avec le principe du militantisme prôné par la gauche. À quelques jours du premier tour de cette primaire, qui a au moins le mérite de confronter les idées des différents prétendants au trône, Rémy Lefebvre nous livre un point de vue aiguisé sur un PS visiblement en pleine mutation.
« Aujourd’hui, la vie politique est devenue une course de chevaux qui fait passer les personnes bien avant le débat d’idées. »
En quoi les primaires socialistes sont-elles en rupture avec la conception politique inhérente au PS ?
Tout simplement parce que le parti socialiste prétendait remettre en cause la présidentialisation du système. Le parti s’exprimait donc à titre collectif. Avec l’instauration de primaires à gauche, on redouble l’hyper présidentialisme et l’on appelle donc les personnes à voter deux fois. De plus, ce procédé retire inexorablement du pouvoir aux militants. Résultat, on ne les incite plus à s’inscrire au PS qui, en conséquence, tourne le dos à sa tradition de militantisme. Le message du PS est clairement de dire aux militants : « On peut se passer de vous ! », tout en donnant un pouvoir à une partie de la population qui peut être faiblement politisée et sensible aux sondages (dont la fiabilité est faible).
Étonnament, on a constaté que le premier débat des primaires sur une chaîne publique avait rassemblé un grand nombre de téléspectateurs. Est-ce un signal encourageant alors que l’on dit les Français en profonde rupture avec la politique en laquelle ils ne croient plus ?
Plus qu’un plébiscite de la gauche ou un regain d’intérêt des Français pour la politique, ce score est, selon moi, le terrible cri de désespoir des citoyens contre Nicolas Sarkozy et son gouvernement. Il exprime une forme de désespérance. Si les gens votent massivement aux primaires socialistes, je pense que ce sera avant tout pour se débarrasser du président actuel. Il ne faut pas oublier que les 5 millions de personnes ayant regardé le premier débat télévisé sont surtout des citoyens politisés, mais je reconnais que les débats sont de qualité. Les primaires peuvent produire un effet de politisation à court terme, mais je suis surtout sensible aux effets de long terme, plus structurels, qui ne me paraissent pas aller dans le bon sens démocratique.
Pour le PS, ces primaires ne sont donc qu’un bénéfice à court terme !
Pour le PS, ces primaires sont un vœu d’impuissance. C’est par dépit qu’ils ont accepté cette modalité. Le PS n’étant pas performant par son unité et ses idées, il a délégué aux citoyens l’idée de décider à sa place. Les primaires n’étaient en rien une fatalité. Si le PS était plus ancré socialement et représentatif de la société, il aurait largement pu les éviter ! Même si les débats sont indéniablement de bonne qualité, le fait que Manuel Valls et Arnaud Montebourg soient si éloignés au niveau des idées et exhibent ainsi leurs différences nous fait nous poser la question : « Que signifie être socialiste aujourd’hui ? », comment des positionnements idéologiques peuvent exister au sein d’une même organisation ?
Selon vous, ces primaires vont-elles plus servir ou desservir le candidat qui sera désigné le 9 ou le 16 octobre prochain ?
Il faudra pour cela voir le taux de participation, la possibilité des candidats de se réunir une fois que leur leader sera désigné. Pour l’instant, le processus semble bien maîtrisé, mais nous nous situons dans une vie politique qui ne voit pas à plus de trois mois. Aujourd’hui, la vie politique est devenue une course de chevaux qui fait passer les personnes bien avant le débat d’idées. La dépolitisation de la société ne va en aucun cas être résolue par les primaires, puisque ces dernières délégitiment une action politique durable via le militantisme. Pensez-vous que, pour certains candidats comme Manuel Valls ou Arnaud Montebourg, ces primaires sont un moyen de se positionner clairement en tant que ministres potentiels, en cas de victoire de la gauche aux présidentielles ? Les « petits » candidats utilisent les médias lors de ces primaires, instaurant un rapport de force interne. Les courants d’idées sont devenus des courants de personnes, et les primaires renforcent ce phénomène. Regardez Manuel Valls ! Il est dans la caricature, la transgression permanente, et son programme est libéral. Ensuite, on nous abreuve de sondages pour savoir qui est devant, qui décolle, qui baisse… Les sondages sont un vrai problème car on se polarise sur des chiffres qui ne signifient rien. Ils ne sont qu’une pollution de la démocratie ! Or les primaires renforcent le rôle des sondages.
Comment expliquer la mutation de François Hollande, passé d’un rôle de premier secrétaire du PS fortement décrié à celui de possible président de la République ?
C’est de la pure communication ! François Hollande s’est construit un nouveau personnage et les médias, c’est bien connu, adorent ces histoires. On se focalise sur cette transformation (physique aussi…) de Hollande sans même écrire un seul mot dans les journaux au sujet de son catastrophique bilan en tant que premier secrétaire du Parti Socialiste entre 1997 et 2008. On va aujourd’hui reprocher à Martine Aubry son attitude vis-à-vis de Guérini, alors que François Hollande l’a soutenu pendant dix ans. Les médias sont dans le court-termisme, il n’y a plus de mémoire politique.
Croyez-vous que la présidentielle prochaine pourrait être, au-delà d’un plébiscite de la gauche, un vote-sanction contre la politique de Nicolas Sarkozy ?
Nous vivons aujourd’hui dans une république bananière, corrompue… Le système politique est affaibli par la défiance des citoyens ! S’il y a adhésion aux primaires, elle peut s’expliquer en partie par le désarroi des Français qui, face à la crise, ne savent plus comment s’en sortir. Sarkozy a totalement échoué dans sa politique, et les gens se disent que ce qui se passe actuellement en France est trop grave pour qu’ils ne votent pas et ne fassent pas rempart contre la droite. Mais attention, rien n’est fait… Nicolas Sarkozy peut très bien remporter la prochaine élection présidentielle, les menaces sont réelles : divisions de la gauche, poussée du FN, crise internationale ou financière majeure, autant de données qui peuvent profiter au président actuel.