Politique

Guillaume Duval, l’alternance économique

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EntretienÀ moins de 100 jours de l’élection présidentielle, on peut logiquement se demander si l’un des candidats détient dans son programme les clés pour sortir d’une crise économique, sociale et financière qui ne cesse de perdurer depuis 2008. Faut-il abandonner l’euro, doit-on taxer les transactions financières, la rigueur est-elle une solution, réduire le temps de travail peut-il générer de l’emploi ? Autant de questions sur lesquelles les opinions des différents candidats divergent. Guillaume Duval aurait certainement pu devenir un brillant politicien, mais l’homme a préféré l’écriture aux serrages de mains d’électeurs potentiels sur les marchés du dimanche. Ce rédacteur en chef du mensuel Alternatives Économiques n’en demeure pas moins un conseiller avisé, qui, pour Agents d’Entretiens, nous fait partager son franc parler.


« Si les politiques persistent à imposer la rigueur, on ne sauvera pas l’Europe ! »

Vous avez publié un ouvrage intitulé : La France d’après. Au-delà de la crise purement financière dans laquelle notre pays, à l’image du monde occidental, est plongé aujourd’hui, pensez-vous que l’on puisse sortir sans heurts de la crise sociale qui est la nôtre ?

Cette crise n’est pas purement financière ! Nous sommes également face à la première crise sociale et écologique du XXIe siècle. Si l’économie française et mondiale est en récession depuis 2008, c’est en partie dû à une hausse des prix du pétrole et des matières premières. Cette flambée des prix, conjuguée à la crise financière, nous a inexorablement conduits vers la situation que nous connaissons aujourd’hui. De surcroît, la levée des barrières entre les différents états a entraîné un dumping social entre les différents pays, accru par le jeu des grandes multinationales qui ont dressé les territoires les uns contre les autres afin d’augmenter leurs propres profits. Depuis le début du XIXe jusqu’au milieu du XXe siècle et l’exode rural, nous connaissons bien ce type de situation dans les anciens pays « riches », qui voient l’arrivée sur le marché du travail de grandes masses démographiques venues des pays du Sud. Dans les anciens pays riches, les salaires ont stagné tandis que, dans les pays du Sud, ces derniers n’ont pas augmenté autant qu’ils auraient dû par rapport à la forte évolution de la production. Nous constatons donc actuellement une situation en totale contradiction avec ce qui est écrit dans tous les manuels d’économie. Les pays « riches » épargnent mais consomment peu, tout l’inverse de ce qui était prévu ! Les individus, aux États- Unis par exemple, se sont endettés massivement afin de maintenir leur pouvoir d’achat, tandis que les pays du Sud qui connaissaient un excédent de leur épargne ont prêté de fortes sommes d’argent aux pays du Nord qui s’endettaient. Tous les experts ont vu arriver ce déséquilibre sans que, pour autant, personne ne puisse prévoir que tout s’écroulerait avec les conséquences que l’on connaît aujourd’hui.

Un actif sur cinq pointe aujourd’hui à Pole Emploi et la spirale crise/chômage touche tous les secteurs et tous les âges, sans compter ceux et celles qui, malgré un emploi, vivent dans des conditions plus que précaires. Peut-on, malgré les beaux discours politiques des candidats à l’élection présidentielle de 2012, espérer relancer l’emploi dans un contexte de crise mondiale ?

Il y a effectivement un problème massif de l’emploi dans des secteurs tels que la construction et l’industrie, ce qui a engendré un nombre important de chômeurs, principalement des hommes. Nous notons également une forte augmentation du taux de chômage chez les seniors, situation encore aggravée par la récente réforme des retraites. L’enjeu actuel pour sortir de ce marasme que connaît l’emploi est d’éviter de retomber en récession en relançant l’activité. Malheureusement, la politique d’austérité excessive pousse actuellement plus à la récession qu’à la production ! Certaines décisions politiques sont également des freins évidents à l’emploi. Les emplois aidés, très utiles en période de crise, sont deux fois moins nombreux qu’en 2000 alors que la coupe franche faite dans l’emploi public conduit inévitablement aux dysfonctionnements que l’on connaît dans les secteurs primordiaux que sont l’éducation, la santé ou la sécurité. La question de la réduction du temps de travail, qui fait polémique, revient donc sur le devant de la scène. Les Allemands, que Nicolas Sarkozy ne cesse de prendre pour exemple, réussissent en travaillant 10 heures en moins que nous. Si l’on veut moins de chômeurs, il faudrait donc penser à aller plus loin encore dans la diminution du temps de travail. Un autre point aberrant est à mon sens la subvention des heures supplémentaires qui coûte plus de 4 milliards chaque année, ce qui représente la création de 400 000 emplois à plein-temps. Dans le contexte actuel, accélérer le mouvement qui consiste à travailler plus longtemps n’est pas raisonnable et continue à aggraver la situation. Les 35 heures sont pourtant politiquement difficiles à vendre car elles imposent le gel des salaires sur les personnes déjà en poste dans le privé. Malheureusement, la logique de solidarité entre chômeurs et non chômeurs n’existe pas, car l’espèce humaine pense à l’individuel plutôt qu’au collectif.

On parle de crise généralisée, mais si l’on regarde à la loupe, on constate que là où la classe moyenne a perdu de son pouvoir d’achat, les plus riches n’ont cessé d’augmenter leurs revenus. Comment expliquer cet agrandissement d’un fossé qui ne semble pas près de se résorber ?

Les très riches ont énormément profité de la mondialisation pour faire pression sur les états et ne pas être taxés sur les revenus les plus élevés. C’est un mécanisme à spirale puisque cette richesse leur donne toujours plus de poids auprès des politiques. Une des conclusions qui devrait être tirée très rapidement, c’est la décision de mettre un terme au dumping fiscal que l’on retrouve dans des pays peu scrupuleux. Si on le veut, politiquement, cela peut changer ! C’était bien plus compliqué du temps des valises de billets. Aujourd’hui, l’informatique permet de tracer n’importe quelle transaction financière. En 1934, afin d’endiguer les conséquences de la crise de 1929, le président Roosevelt avait émis un impôt qui taxait à 80 % les revenus les plus élevés, ce qui a eu pour conséquence de casser les inégalités en une seule génération.

Programmes de campagne, promesses, échecs. Voici ce que nous proposent les présidents successifs depuis plus de trente ans. Comment espérer relancer une dynamique de crédibilité politique dans une société où le chef de l’État doit se plier aux volontés du monde économique et financier ?

Que le chef de l’État doive se plier aux volontés du monde économique et financier est un peu excessif. Il a encore des marges de manœuvre qui passent par sa capacité à agir avec d’autres chefs d’États européens. Malheureusement, Nicolas Sarkozy n’a pas de crédibilité en Europe, et c’est un vrai handicap pour notre pays. Concernant les promesses, il est vrai que, autant Sarkozy en 2007 que Chirac en 1995 avec la fracture sociale, avaient fait des promesses non tenues qui ont dévalorisé la fonction du chef de l’état. Une prudence prévaut aujourd’hui en terme de promesses dans cette campagne présidentielle, d’où cette course de lenteur pour ne pas se dévoiler. Les candidats actuels évitent de promettre pour ne pas tenir.

Les politiques continuent encore et encore à s’embourber dans un clivage gauche/droite auquel plus personne ne prête attention. Comment croire en des candidats qui font passer leur carrière personnelle au-dessus de l’intérêt collectif du pays ?

Il faut raison garder ! Pour être politique et vouloir monter, il faut une certaine confiance en soi, une volonté d’acquérir du pouvoir, sinon cela ne fonctionne pas ! Être ambitieux n’est pas un inconvénient au départ, mais au service de quoi ? Les marches de manœuvre de l’action publique sont moindres aujourd’hui, mais il demeure des différences fondamentales entre droite et gauche. Doit-on chercher à préserver les biens des plus nantis ou restaurer une égalité ? Cette question me paraît une approche politique foncièrement opposée !

Pensez-vous qu’un échec cuisant de la politique menée par le prochain président de la République peut faire descendre la France, aujourd’hui assez passive, dans la rue ?

Si le prochain chef de l’État n’est pas capable d’enrayer la montée du chômage et que le pays retombe dans la crise, nous allons au-devant de graves risques sociaux et politiques. J’ai peur que, de surcroît, cela développe une forte poussée de l’extrême droite dans toute l’Europe. En ce sens, le danger que représente aujourd’hui Marine Le Pen est bien supérieur à celui que représentait son père.

Nicolas Sarkozy a récemment relancé le débat sur la TVA sociale. Si les prix des produits importés vont augmenter, rien ne garantit que les entreprises françaises répercuteront la baisse des charges sur leurs prix hors taxes. Pensez-vous que cette mesure peut relancer la production et la compétitivité hexagonale ?

Je pense que cette TVA sociale n’est pas, en soi, une mauvaise idée. Le coût du travail dans le secteur industriel est un réel problème et, malheureusement, nos politiques de l’emploi ont pénalisé le travail qualifié dans l’industrie. Sous la réserve que les entreprises répercutent la baisse des charges dans leur prix, cette mesure pourrait aider. Cependant, à deux réserves près ! Ce que l’on peut faire grâce à la TVA sociale est marginal par rapport au prix du travail en Chine ou en Pologne, où le coût de la main-d’œuvre est dix fois moindre qu’en France. De plus, au lieu de nous mettre en concurrence avec les pays du Sud, cette mesure risque de nous opposer au niveau des prix à nos voisins allemands, belges ou italiens. Cette politique ne serait pas injustifiée, mais fortement agressive et non coopérative pour nos voisins européens et conforterait le dumping social qui nous plombe déjà actuellement. C’est également une politique qui a comme effet de restreindre la consommation, en raison de la hausse des prix des produits consommés par les Français. La TVA sociale est donc une bonne idée en temps de croissance et une très mauvaise idée en temps de crise.

« Le fait que les transactions financières soient les seules transactions exonérées de toute taxe, c’est inacceptable », a déclaré le chef de l’État lors d’un discours à l’Élysée vendredi 6 janvier en clôture du colloque « Nouveau monde » à Paris. Comment expliquer que ces transactions n’aient simplement pas été taxées plus tôt ?

Il y a deux problèmes concernant la taxation des transactions financières. Tout d’abord le choix sur la manière de taxer les puissants acteurs des marchés financiers qui peuvent se délocaliser facilement et ainsi exercer une pression forte sur les politiques. Concernant la manière de taxer, la taxe Tobin (taxe sur le chiffre d’affaires où l’on ponctionne un pourcentage sur toutes les transactions) n’est à mon sens pas la meilleure solution, sachant que les petites transactions quotidiennes ne sont pas déstabilisantes pour les marchés. On a arrêté de taxer le chiffre d’affaires pour taxer la valeur ajoutée, alors pourquoi ne pas faire la même chose sur les transactions financières ? Une des réticences justifiée est la question technique ! Quoi qu’il en soit, il est indispensable de taxer les transactions financières, car ce qui s’est passé depuis 30 ans au niveau de la finance est tout simplement scandaleux. La finance est d’ailleurs trop sérieuse pour être confiée aux financiers.

Sauver l’euro, est-ce primordial à vos yeux ?

C’est absolument indispensable car l’Europe n’existera plus au niveau mondial sans euro. Nous connaissons aujourd’hui, comme avant la mise en place de l’euro, un problème de dumping social et fiscal qu’il convient de régler, mais le dumping sur l’échange monétaire a, lui, été éliminé. Revenir en arrière serait une folie ! Il est clair que la crise a montré les défauts de la zone euro, défauts qui ne sont hélas pas au cœur du débat politique actuel puisque, même s’il est nécessaire de réduire le déficit public, ce n’est pas ce facteur qui est au centre du problème. Les pays modèles qui respectaient le traité de Maastricht étaient l’Espagne et l’Irlande alors que l’Allemagne, elle, n’a jamais respecté les taux d’endettement prévus. On constate actuellement que le résultat est à l’opposé de ce qui était escompté. Ce n’est donc pas en imposant à la Grèce ou l’Espagne un plan de rigueur que l’on va sortir la tête de ces pays de l’eau. Seule une relance de la production qui nécessite de l’investissement pourrait les sauver. Si les politiques persistent à imposer la rigueur, on ne sauvera pas l’Europe !

Pour les Français, l’euro signifie hausse des prix, crise, dettes des états et lourdeur du système décisionnaire. Pourquoi se battre pour une Europe qui ne sera jamais celle des États, souhaitée par le général de Gaulle ?

L’euro a signifié des taux d’intérêt qui n’ont jamais été aussi bas. Aujourd’hui, c’est surtout la hausse des prix de l’immobilier qui doit être enrayée pour résorber la crise du logement qui pénalise grandement les Français dans l’accès à la propriété. Il est facile de tout mettre sur le dos de l’euro ! L’Europe est indispensable, car la France ne représente que 60 millions d’habitants sur les 7 milliards que compte notre planète. Alors, si nous souhaitons peser dans le monde, soit nous devenons, comme la Suisse, un paradis fiscal qui vit aux dépens de ses voisins, soit nous optons pour un contexte d’union qui rassemble différents pays européens afin de ne pas subir le diktat des grandes nations en matière d’environnement et de matière premières. Personnellement, je n’ai jamais rêvé comme le général de Gaulle des états unis d’Europe. Il peut évidemment sortir de cette crise une Europe divisée, à plusieurs vitesses, et non pas celle des 27, idéalisée par certains.

Toute société naît, grandit, rayonne, s’essouffle et meurt. Ne pensez-vous pas que le système économico-politique que nous connaissons montre aujourd’hui ses limites et touche tout simplement à sa fin ?

C’est possible mais, généralement, ce genre de transition se passe assez mal. Votre théorie est effectivement une menace pour l’Europe, mais l’Histoire n’est jamais écrite au préalable. Donc, si nous sommes conscients de ce danger, il est grand temps de réagir.


Paul Booth, encre macabre
Frédéric Sedel, neurologue

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