Ancien directeur délégué du groupe audiovisuel public France Télévisions en charge de la communication, maître de conférences en communication politique à l’Institut d’études politiques de Paris et membre actif de l’équipe de Jean-Marc Morandini sur Europe 1 dans le Grand direct des médias où, chaque jour, il décrypte l’actualité sous l’angle de la communication, Bastien Millot est un homme aux multiples facettes. Affaire DSK, primaires socialistes, traitement de l’info ou encore grossesse de la première dame de France, pour Agents d’entretiens, ce spécialiste de la com analyse les grands bouleversements actuels du monde politique.
« Si la vision de ceux et celles qui représentent l’état ne change pas, on se dirige droit vers un nouveau 21 avril ! »
Avec un peu de recul, comment analysez-vous l’affaire DSK dans son traitement médiatique ?
Il y a, je pense, deux angles principaux dans les bouleversements engendrés par cette affaire : c’est tout d’abord la fin d’un tabou ! Celui des enquêtes privées et fouillées sur la vie privée des hommes politiques. Ces derniers se sentaient, disons, un peu à l’abri de ce genre d’exposition médiatique. L’affaire DSK a modifié sensiblement la donne. Aujourd’hui, les affaires de mœurs concernant les hommes politiques surgissent, se multiplient et se répandent comme des traînées de poudre à partir d’allégations de plus en plus fréquentes. L’autre point fondamental concernant les déboires de l’ancien patron du FMI, c’est bien évidemment l’ampleur du traitement médiatique lié à cet événement. 150 000 couvertures de magazines dans le monde ont été jusqu’à présent consacrées à cette affaire ! C’est certainement l’un des faits les plus traités de tous les temps et cela, quasiment en temps réel !
Cette affaire pose également la question d’un nouveau traitement de l’information par le web !
Effectivement, grâce à Internet, le monde s’est tenu informé en temps réel de l’évolution de l’affaire. Tout est parti d’ailleurs d’un mot livré sur Twitter qui annonçait l’arrestation de Dominique Strauss-Kahn. Aujourd’hui, entre les réseaux sociaux, les forums, toute personne possède les moyens nécessaires pour participer à l’information. Ce domaine n’est plus réservé aux seuls journalistes ! Ce côté contributif modifie diamétralement la donne. Les sites d’infos du web et les chaînes d’infos en continu proposent également une vision immédiate ou polémique de l’information, loin de ce que pouvaient jusqu’alors offrir les grands journaux télévisés des chaînes nationales. Suivre la comparution de DSK au cœur même d’un tribunal empli de journalistes, qui tiennent informés le monde via des réseaux sociaux du web ou leurs confrères par le biais de sms, est un élément qui modifie en profondeur le traitement de l’information.
Ne pensez-vous pas que les journaux télévisés nationaux semblent d’ailleurs aujourd’hui plus préoccupés par l’audimat que par l’information elle-même ?
C’est un peu la dictature de l’émotion, la course à l’audience des chaînes infos et même généralistes ! On met en œuvre des moyens considérables pour traiter un événement et on se rend compte qu’un sujet est chassé par un autre. Hélas, le droit de suite existe peu. On est aujourd’hui loin du journal télévisé décryptage d’il y a une dizaine d’années. Désormais, le sensationnel prévaut sur la volonté d’informer.
Les conditions de libération de Dominique Strauss-Kahn en attendant le procès sont étonnamment sévères et lourdes financièrement. Comment l’expliquer ?
La justice américaine est connue pour sa volonté de frapper au portefeuille ! C’est toujours le cas pour des personnes influentes et importantes médiatiquement. Ce fut le cas pour Bernard Madoff comme pour Michael Jackson. Il n’y avait aucune raison pour que, financièrement, il n’en soit pas ainsi pour Dominique Strauss-Kahn ! Personnellement, je pense que les mesures décidées par la justice américaine pour la libération conditionnelle de DSK sont à la mesure de l’émotion suscitée par cette affaire auprès de la population ! Je crois également que l’affaire Polanski et l’absence d’accords d’extradition entre la France et les États-Unis ont pesé dans les mesures restrictives imposées à DSK. Je pense d’ailleurs que les Français ont été plus choqués par les images d’un possible président menotté et emmené par la police que par les mesures inhérentes à sa libération sous caution ! Outre la population, on a constaté un véritable émoi au sein du monde politique hexagonal ! Effectivement, le monde politique français a été frappé de stupeur en découvrant les images de Dominique Strauss-Kahn. Au-delà des images proprement dites, ce qui les a laissé ébahis, c’est la rapidité avec laquelle un homme parmi les plus puissants de la planète et promis à un avenir de potentiel président de la République française pouvait tomber si bas ! C’est tout le positionnement privilégié du monde politique qui s’écroulait devant leurs yeux, en direct à la télévision. Certains, à gauche, voyaient également en cette chute la fin de leur propre carrière politique, puisqu’ils misaient énormément sur le candidat DSK pour la présidentielle de 2012 !
Aujourd’hui, la somptueuse demeure de plus de 600 m2 louée 35 000 dollars par mois par Anne Sinclair fait grincer des dents ! Vous jugez ce choix, disons, peu opportun ?
J’estime que c’est un choix qui relève de la vie personnelle. Si sa femme, Anne Sinclair, a les moyens nécessaires pour louer une telle demeure, cela ne regarde plus qu’eux, sachant que DSK est hors-jeu politiquement, même si, effectivement, cela ne donne pas au PS l’image d’un parti de proximité et donc, se transforme en un problème supplémentaire à régler en perspective de la présidentielle.
Vous pensez donc, contrairement à Antonio Duarte du club DSK, que l’avenir politique de Dominique Strauss-Kahn est pour le moins sombre ?
Si je me place du point de vue de la communication et de l’image, je vois mal quelqu’un qui a subi des allégations de ce type revenir sur le devant de la scène politique. Même si le procès a lieu rapidement, les primaires se seront déroulées, et le jeu d’échec de la présidentielle sera en marche ! Dans ces conditions, même blanchi, difficile selon moi pour Dominique Strauss-Kahn de rattraper le train en marche !
Si les allégations concernant DSK sont vraies et donc connues par ses amis du PS, ne croyez-vous pas que pousser l’ex-président du FMI vers la présidentielle de 2012 en raison de sa position dans les sondages pouvait être un danger pour la position de la France sur l’échiquier mondial ?
Je n’ai pas rencontré une seule personne qui puisse dire qu’il y avait des signes avant-coureurs chez Dominique Strauss-Kahn pouvant laisser présager une telle affaire. Entre être un amateur de sexe et abuser sexuellement d’une personne, il y a là un fossé pour le moins immense. Pousser un séducteur à se présenter à la plus haute place de l’état français n’est en aucun cas un crime. Je pense, par contre, que le comportement des hommes politiques en France par rapport à la gent féminine doit changer. Pour être porté au pouvoir, l’homme politique joue de son influence, de son pouvoir de séduction auprès de son électorat. Il est parfois tentant de mettre en application ce pouvoir de séduction auprès des femmes, mais il convient de ne pas franchir la ligne jaune afin d’éviter que la drague ne tourne au harcèlement ou pire encore, à l’agression.
Aujourd’hui, le PS doit donc revoir la donne avec une Martine Aubry de plus en plus dans le rôle de la candidate potentielle et un François Hollande pris pour cible. Pensez-vous qu’avec une telle division, le PS peut croire à une victoire à la présidentielle de 2012 ?
Cela va dépendre de la façon dont le PS va gérer l’après-primaires. Il va y avoir, bien évidemment, une lutte intestine qui s’annonce entre le camp Aubry et le camp Hollande. Ensuite, une fois que le candidat ou la candidate choisit pour mener le PS vers 2012 sera défini, il va falloir une véritable union pour espérer l’emporter. Dans le camp de l’UMP, il est certain que la stratégie de campagne va être revue de fond en comble puisque Nicolas Sarkozy s’attendait à se retrouver en face de Dominique Strauss-Kahn. Aujourd’hui, la donne est totalement modifiée, et il devra donc revoir sa politique de campagne en fonction du candidat choisi par le PS.
Ne pensez-vous pas que tous ces événements ne font que renforcer le fossé qui se creuse entre les politiques et les citoyens ?
Dans cette campagne pour 2012, les politiques ont plusieurs défis à relever. Cela passe inévitablement par une crédibilité retrouvée et la réinstauration obligatoire d’un lien avec le peuple. Je crois également que ce retour à la confiance passe par une modification profonde du système politique et de sa constitution, plus du tout adaptée à notre temps. Aujourd’hui, dans la bouche des gens, sur les marchés, dans les cafés, on n’est pas loin du « Tous pourris ! » concernant la classe politique. Si la vision de ceux et celles qui représentent l’état ne change pas, on se dirige droit vers un nouveau 21 avril !
L’affaire DSK offre-t-elle un boulevard à Nicolas Sarkozy ?
Un boulevard, c’est un terme très audacieux ! Je dirais plus volontiers que cela lui offre une opportunité supplémentaire. Avec l’affaire DSK, la gauche ne pourra plus taper sur la vie privée de Nicolas Sarkozy ou encore sur son côté bling bling ! Le PS va donc devoir revoir son axe de campagne basé sur : « Sarko président des riches ! »
Concernant la grossesse de la première dame de France, doit-on parler d’heureuse coïncidence ou de merveilleux plan de communication ?
Clairement, d’une heureuse coïncidence. Ne voyons pas le plan com’ programmé partout ! Par contre, pour ce qui est de la naissance, Nicolas Sarkozy et ses conseillers devront être vigilants dans le traitement de l’information. Les Français ne veulent pas d’une Mazarine bis, d’un enfant élevé avec les deniers de la république ! Sinon cet heureux événement pourrait donc se retourner contre le chef de l’état en matière de ressenti des Français si le couple présidentiel en fait trop. À voir néanmoins comment est gérée l’annonce de la grossesse, je pense que Sarkozy saura éviter ce piège !
Mis en cause dans une affaire d’agression sexuelle, Georges Tron, secrétaire d’État à la Fonction publique vient de donner sa démission du gouvernement. Pensez-vous que les affaires de mœurs vont se multiplier dans les milieux politiques ?
Ce qui est sûr et certain, c’est que la parole se libère. Je sens aujourd’hui au sein de la classe politique plus de retenue dans les relations hommes-femmes, et on ne peut que s’en féliciter !