Le 18 septembre 1970 James Marshall Hendrix disparaissait. En quatre ans, l’enfant voodoo s’est octroyé une place au firmament du panthéon musical, laissant derrière lui, à 27 ans seulement, quatre albums en forme de pierres angulaires du rock. 40 ans plus tard, la France lui rend hommage par le biais de diverses manifestations dont la très attendue exposition Renoma du 16 septembre au 16 décembre à Paris. Au centre de ces évènements, un homme : Yazid Manou, spécialiste incontesté du divin gaucher. Alors qu’un livre sur ce fan devenu référence hendrixienne vient de paraître (“Blues pour Jimi Hendrix”, Castor Astral), Yazid revient avec passion sur la légende d’Hendrix. And the wind cries Jimi…
À 11 ans, lorsque tu découvres Hendrix, c’est LE flash !
J’ai vu Hendrix pour la première fois à l’émission « Point Chaud » d’Albert Raisner. Je suis resté bouche bée. Comme à partir de là, je tannais mes parents avec du Hendrix par ci, Hendrix par là et que je passais mon temps dans les bouquins à pêcher des informations à son sujet, ils m’ont offert l’album « Electric Ladyland ». Je me souviendrai toujours du moment où j’ai posé le saphir sur le vinyle. Les notes ont claqué à mes oreilles et c’était comme une première éjaculation. Je ne fais pas là de comparaison au niveau du plaisir, mais juste cette sensation nouvelle ressentie par ton corps et que tu es incapable d’expliquer par des mots. Je ne savais pas du tout ce qui m’arrivait. Par la suite, je me suis repassé l’intro en boucle, mais jamais plus je n’ai éprouvé cette sensation unique de première fois. C’était tout simplement magique !
Comment à un peu plus de vingt ans, en travaillant dans le fret, parvient-on à organiser un festival pour le 20 eme anniversaire de la mort d’Hendrix en compagnie de Noel Redding (bassiste de l’Experience) et Randy California (Spirit) ?
Je travaillais depuis 1987 chez des transitaires. En même temps, je traînais tous les soirs depuis 1984 au New Morning. J’allais chercher les musiciens à l’aéroport, j’achetais un sandwich pour Archi Shepp, je plaçais les gens… Il faut savoir, qu’à l’époque, il y avait très peu de salles de 500 places dans Paris et le New était la plus prisée. Tous les producteurs y faisaient donc jouer des artistes et, au fil du temps, j’ai connu un peu tout le monde. J’étais en relation par courrier avec une américaine, Nona Hatay, qui avait photographié Jimi au Madison Square Garden de New York en 1969. Elle voulait organiser une expo photos pour les 20 ans de la mort d’Hendrix et j’ai immédiatement pensé au New Morning. Ils étaient partants pour prêter le lieu, mais beaucoup moins enthousiastes pour payer les frais d’acheminement des photos en provenance de Boston. J’ai donc branché la FNAC Montparnasse sur le coup ! Eux étaient d’accord, mais ils voulaient un groupe pour célébrer l’événement. J’ai parlé du projet à mes contacts et surtout à Caesar Glebbeek qui est la bible d’Hendrix. Le buzz a pris petit à petit et j’ai commencé à recevoir des cassettes de groupes qui voulaient participer à cette manifestation. Et Noel Redding est alors venu se greffer au projet ! J’avais obtenu le numéro du bassiste de l’Experience par le biais de Caesar. Noel vivait alors en Irlande et se produisait dans des pubs où il jouait du folk et des reprises rock. Le projet lui a tout de suite plu. À partir de là, j’ai vu plus grand et j’ai branché tous les producteurs dans l’optique d’organiser un gros concert. Tous ont décliné l’offre et seul Alex Calin, producteur de Jad Wio et Dominic Sonic, a accepté de me suivre. Les artistes français ont su que Redding et Randy California seraient présents à l’événement et, bien sûr, cela nous a ouvert des portes. Paul Personne et Louis Bertignac nous ont rejoints. Banco ! Ensuite, comme Hendrix était passé trois fois à l’Olympia, cette salle s’est imposée comme l’endroit logique du concert. Au final, une semaine de festivités. Je suppose que ton travail dans le fret est vite passé au second plan ! On était en 1990, deux ans avant l’ouverture des frontières Européennes pour l’échange de marchandises. L’activité du fret tournait au ralenti, l’avenir devenait très incertain dans ce secteur et j’avais tout le temps d’organiser les 20 ans de la mort d’Hendrix du bureau. Le problème, c’est qu’à l’époque Internet n’existait pas. Résultat, je passais tous mes coups de fil et mes fax depuis mon lieu de travail. Le patron de notre filiale, qui était lui aussi un fan d’Hendrix et avait gagné un concours musical en reprenant « Hey Joe » avec un trio pendant son adolescence, me couvrait. Les ennuis ont débuté le jour où le siège de l’entreprise a appelé en demandant des comptes sur ce Yazid qui avait multiplié par 100 le budget téléphone de la société. J’ai donc été licencié peu avant le concert de l’Olympia. Un jeune chômeur qui organise un tel événement pour son idole a forcément décuplé l’intérêt des journalistes !
Tu as fantasmé Hendrix, peut-être aurais-tu été déçu en le rencontrant !
J’en doute ! Bien sûr tout dépend de la circonstance dans laquelle j’aurais pu le rencontrer, mais si je me fie à tout ce que j’ai pu lire sur lui en 33 ans et aux personnes qui l’ont connu et que j’ai croisées, je n’ai jamais entendu la moindre chose négative à son sujet. Hendrix, ce n’était pas Elvis, Jim Morrison ou Phil Spector qui, eux, étaient des personnages qui pouvaient s’avérer détestables. Je crois que l’adjectif cool a été inventé pour Jimi !
Bâtir sa carrière sur un homme que l’on a jamais rencontré n’est-il pas trop frustrant ?
Absolument pas ! À la seconde où j’ai découvert Hendrix, il était déjà mort. Cela peut paraître étrange, mais comme je suis né en 1965, je me dis qu’on a été ensemble sur cette terre pendant cinq années et surtout que j’aurais peut-être la chance de le côtoyer dans l’au-delà ! Ensuite, il est vrai que cette fascination pour un mort m’a poursuivi dans mon métier où je suis principalement l’attaché de presse des rééditions d’artistes ayant disparu ! De toute façon, j’ai du mal à imaginer un Hendrix vieux, bouffi comme l’était Elvis à la fin de sa vie. Regarde Brian Wilson aujourd’hui, quelle horreur ! Jimi est parti au firmament de sa gloire et l’on sait tous qu’un bon héros est un héros mort ! Je suis intimement persuadé que mon rapport à Hendrix serait différent s’il était encore vivant. Il est aussi entré dans la légende parce qu’il est mort tragiquement à 27 ans dans des circonstances assez mystérieuses.
Justement, quelle est la vraie version au sujet de sa mort ? La thèse de James « Tappy » Wright, un de ses ex-roadies, selon laquelle Jimi aurait été assassiné par Michael Jeffery (manager d’Hendrix) en lui faisant ingurgiter de force des pilules et de l’alcool te paraît-elle plausible ?
La façon dont Jimi est mort peut laisser place à toutes les suppositions possibles. Il y a tant de choses dites mais invérifiables qu’on ne sait plus trop quoi penser. La version officielle est qu’il est mort étouffé par son vomi après un mélange d’alcool et de somnifères. Selon Tappy Wright, Jeffery lui aurait confié un an après la mort d’Hendrix que c’est lui qui avait maquillé le meurtre pour toucher l’assurance-vie de deux millions de dollars (ce fait n’a jamais été corroboré). Imagine le truc, Jeffery demande à Monika (la petite amie du guitariste) de faire boire Jimi. Puis, il arrive avec des copains pour tenir Hendrix et lui faire avaler de force neuf somnifères avant de lui vider dans la gorge des bouteilles de vin. Je n’y crois pas une seconde ! S’il avait voulu le tuer, une piqûre d’héro pour une OD suffisait ! De toute façon, Jeffery est mort dans un accident d’avion en 1973 au-dessus de Nantes et Monika s’est suicidée en 1996 alors cette version reste une parmi tant d’autres.
On a également parlé de suicide !
À cette période, Jimi était complètement déboussolé et très souvent défoncé. Il était fatigué, sans fric, avec un bassiste qui était resté perché sous acide (d’où l’arrêt brutal de la tournée européenne), des filles lui couraient après pour qu’il reconnaisse sa paternité et il se posait des tonnes de questions sur son avenir. Allait-il si mal qu’il aurait mis fin à ses jours ? Mystère ! Le nom d’Hendrix est aujourd’hui une mânes financière et l’on note d’ailleurs qu’il a sorti plus d’albums post mortem que pendant son vivant. Cette manie de faire renaître les grands artistes de leurs cendres n’est-elle pas un procédé quelque peu douteux ? Je ne sais pas si je suis bien placé pour te répondre car je m’occupe des grands qui sont morts pour faire de la promo sur ce genre d’albums post mortem. Si l’on respecte Hendrix à la lettre, perfectionniste qu’il était et qui enregistrait plusieurs dizaines de fois un morceau avant d’en être satisfait, effectivement on n’aurait plus rien dû sortir post mortem. Après, c’est une question de business et les albums parus depuis sa disparition peuvent permettre au grand public de découvrir certains morceaux qui, jusqu’alors, n’existaient que sur des albums pirates. Janie Hendrix, la sœur adoptive d’Hendrix, qui gère aujourd’hui les droits, fait fructifier le filon. L’éthique et le business ne font hélas pas bon ménage !
Que reste t-il aujourd’hui de potable à sortir selon toi puisque la sœur de Jimi annonce un disque par an pour la prochaine décennie ?
Si j’en juge par la sortie en mars 2010 de l’album « Valleys Of Neptune », je dirais pas grand-chose ! Ce disque n’est que du live en studio. Jimi aimait répéter les morceaux ou des ébauches en studio et c’est ce que contient cet album. Jamais il n’aurait accepté la parution d’un tel disque ! Si on écoute attentivement l’album, on se rend compte que, pour le morceau « Stone Free », il s’agît d’une piste voix déjà présentée sur une autre version mélangée à une nouvelle prise guitare. On se retrouve donc avec des versions hybrides et l’on se dit que l’avenir ne nous apportera donc que du Hendrix rafistolé. À part le titre éponyme de l’album, tous les autres sont ultra connus des fans. Après, il reste des lives très intéressants à publier tel que celui du 24 février 1969 au Royal Albert Hall de Londres qui contient les plus belles versions de « Little Wing » et de « Voodoo Child (slight return) ». Malheureusement, les lives n’excitent que quelques fans donc ils sont, financièrement, de peu d’intérêt pour la sœur d’Hendrix !
Pourtant de très bonnes choses sont sorties sous l’ère Douglas !
Effectivement. Alan Douglas, qui a géré les droits d’Hendrix de 1974 à 1994, a publié de grandes choses. « The Jimi Hendrix Concerts » , double album live était une superbe compilation de ses moments les plus spectaculaires sur scène regroupant des extraits de New York 70, Winterland, et l’Albert Hall. Le coffret « Stages », quadruple CD live avec Stockholm 67, Olympia 68, San Diego 69 et Atlanta 70 était également un grand moment. Les fabuleux albums, « Rainbow Bridge », « Cry Of Love » , « In The West », « Radio One » ou « Blues » réservaient eux aussi d’excellentes surprises. Tous ces albums ont malheureusement été retirés de la vente lorsque la sœur d’Hendrix a gagné son procès pour obtenir la main mise sur la gestion des droits même si l’on apprend qu’elle va rééditer les enregistrements de la BBC (« Radio One ») et l’album « Blues » en octobre.
Hendrix a beaucoup jamé et l’on dit que des bœufs avec d’autres artistes restent encore aux oubliettes !
J’ai écouté les bandes avec John McLaughlin (guitariste de jazz ayant, entre autres, joué aux côtés de Miles Davis). Sur les quarante-cinq minutes, il doit y avoir une dizaine de minutes intéressantes. Il y a également des bandes avec Zappa, Roland Kirk, Taj Mahal, l’organiste Larry Young, Stephen Stills, Johnny Winter et B.B. King.
Et les rumeurs d’une jam entre Hendrix et Miles ?
Encore une fois, ce ne sont que des rumeurs. Il se peut qu’ils aient joué ensemble mais, à priori, rien n’a été enregistré. Lorsque l’on cite le nom d’Hendrix, on pense tout de suite à la six cordes. Pourtant, le divin gaucher était également un merveilleux chanteur. C’est, je crois, indirectement Bob Dylan dont il était fan qui l’a poussé à chanter ! Lorsque Chas Chandler a découvert Hendrix à New York au Café Wha? en août 66 avec le Jimmy James & The Blue Flames (avec Randy California), Jimi ne chantait pas. Chandler qui cherchait à produire un trio a forcé Hendrix à se mettre au chant pour enregistrer la reprise de « Hey Joe ». Jimi était fan de Dylan dont il a repris par la suite plusieurs compositions et il s’est dit que si un type à la voix nasillarde pouvait se coller au chant, pourquoi pas lui ! Il est drôle de savoir qu’au début de sa carrière, Jimi, en studio, chantait derrière un paravent pour ne pas être vu des autres musiciens. Pour la face B de « Hey Joe », Jimi voulait enregistrer une autre reprise. Chas lui a dit qu’il devait composer sans quoi ils ne toucheraient aucun royaltie. Il l’a enfermé dans le studio jusqu’à ce que Jimi accouche de « Stone Free ». Après, la légende était en marche !
Hendrix a également un parcours très lié à celui des Rolling Stones !
L’histoire a retenu que c’était Chas Chandler qui avait découvert Hendrix au Café Wha?. Ce qu’il faut savoir, c’est que c’est Linda Keith, la copine de Keith Richards à l’époque, qui a conduit Chas là-bas car elle savait qu’il cherchait à produire un artiste. Linda était raide dingue de Jimi et leur relation rendait Keith très jaloux. Un jour, elle a même pris l’une des guitares Fender Stratocaster de Richards pour l’amener à Jimi qui jouait dans un club. Fou de rage en constatant cette disparition, Keith s’est rendu dans le club avec un pistolet. Heureusement, une fois sur place, les gens ont réussi à le calmer. Imagine qu’en 1966, Hendrix, encore inconnu, se soit fait tuer par Keith Richards. Cela aurait bouleversé l’histoire du rock !