Le dernier album de Lou Tavano résonne aujourd’hui comme une parfaite allégorie de la période pour le moins unique que nous venons de traverser. Avec « Uncertain Weather » le duo, à la ville comme à la scène, composé de Lou et Alexey Asantcheeff s’est accordé une thérapie musicale, isolés en Ecosse au milieu des Highlands, pour qu’au-delà de la mélodie, les mots puissent soigner les maux.
« Dans le processus de composition, tout se fait à quatre mains, deux cerveaux et deux cœurs. »
Crédits photos Arthur Wollenweber
Le temps est-il moins incertain qu’il ne l’était ?
Alexey : Bien au contraire ! On ne sait pas trop vers quoi l’on se dirige, ni ce qui nous attend après cette période toute particulière qu’a été celle du confinement. Nous concernant, ce sentiment d’incertitude quant à l’avenir est quelque chose que l’on connaît depuis deux ou trois ans. On devrait donc commencer à s’y habituer ! Mais aujourd’hui, avec les fermetures de tous les magasins, les ventes « physiques » des disques sont au point mort, c’est un coup d’arrêt violent.
Lou : Le temps était incertain à l’époque où l’on a composé cet album « Uncertain Weather », mais on ne se doutait pas que cela allait tant faire écho à l’actualité. Pour tous les musiciens et les intermittents du spectacle, il va être difficile de se relever d’une si longue période d’inactivité.
Piano à cinq ans, chant à dix et théâtre à quinze… La scène s’est vite avérée comme une évidence à vos yeux ?!
Lou : La scène m’est surtout vite apparue comme une urgence, un endroit où, curieusement, je me sentais en sécurité. Une sorte de cocon dans lequel je me sentais protégée, même si j’y étais exposée et sous les feux des projecteurs. Etonnement, et même si cela peut paraître paradoxal, c’est sur scène que je m’autorise à être pleinement moi-même.
Avec Alexey le processus d’écriture et de composition est-il un travail à quatre mains ?
Lou : Encore plus profondément sur ce disque que pour le précédent, nous avons vraiment écrit à quatre mains. Les gens ont tendance à imaginer que j’écris les paroles et Alexey la musique. En réalité, la composition se découpe en plusieurs étapes. Alexey aime s’abandonner au piano et, lors de sa pratique quotidienne de l’instrument, naissent certaines atmosphères, des mélodies. Cela m’inspire et me fait visualiser des tableaux très précis que je couche sur papier, dans une sorte de processus d’écriture automatique. Comme cet album raconte une histoire très personnelle, certaines choses avaient besoin d’être dites…
Alexey : Une fois que l’idée de départ a germé, on travaille ensuite ensemble la mélodie, l’écriture des paroles. Dans le processus de composition, tout se fait à quatre mains, deux cerveaux et deux cœurs.
À l’écoute de votre album, on a presque l’impression que vous l’avez abordé comme une sorte de thérapie !
Lou : Je crois que cela nous a fait du bien d’écrire cet album et de tourner une page disons plutôt sombre. En même temps, on n’a pas du tout voulu faire de cet album quelque chose de voyeuriste. Au-delà de notre propre histoire, c’est à mon sens le sentiment et le ressenti de choses universelles qui transpirent dans ce disque. L’important était de trouver les mots justes afin que le message des morceaux fasse écho à l’auditeur.
Vous vous êtes isolés en Ecosse à Greenock pour enregistrer ce « Uncertain Weather ». Une maison vide avec une vue sur les Highlands, c’était un lieu propice à la composition ?
Alexey : C’est sûr qu’aujourd’hui, dans le XVIIIe arrondissement de Paris, avec une vue sur l’immeuble d’en face, c’est autre chose ! On a voulu s’affronter sur cet album et forcément, une thérapie, même en musique, n’est jamais chose facile. Le rendu final nous a permis d’exprimer la multitude des émotions, des impressions qui grouillaient en nous… Aussi bien le feu que la glace, l’abîme que la cime. On espère avoir touché à l’universel en racontant notre histoire personnelle.
Lou : Quel que soit le cadre, quand on entre dans le domaine de l’intime, que l’on se livre totalement dans des compositions, le processus d’écriture n’est jamais chose facile. Cela n’a pas été tout rose malgré le cadre propice à la composition et tout cet espace qui nous entourait. Nous avons souhaité véhiculer des choses fortes sans pour autant nous apitoyer sur nous-mêmes malgré les difficultés. Le but était de prendre du recul et mettre des mots, de l’esprit, du réel sur ce qui se passe au plus profond de notre être. Le recul permettait de trouver de l’espoir et des solutions aux questionnements, aux soucis. Ecrire nous a permis de trouver de la beauté sur des choses qui, au départ, ne l’étaient pas.
C’était mettre des mots sur vos propres maux ?!
Lou : C’est exactement ça ! C’est d’ailleurs ce qui est dur, d’être, dans les mots, le plus proche de la vérité pour exprimer les maux. Le ressenti est aussi abstrait qu’il est précis dans nos têtes et trouver les paroles qui vont résonner, être ciselées pour exprimer de la manière la plus juste possible ce que l’on a au fond de soi est un exercice assez périlleux.
La chanson, est-ce puiser dans son Moi pour s’adresser à l’autre ?
Lou : C’est ce que l’on a toujours fait et aussi notre façon d’imaginer la musique. Il y avait une véritable urgence à exprimer cet ouragan qui était en nous.
Alexey : Un artiste qui veut faire passer un message, ça sera toujours forcément son propre ressenti, sa propre vision subjective dans laquelle il puisera et un matériau qui servira à affirmer une forme d’art quelle qu’elle soit. On ressent tous les mêmes joies, les mêmes peines, on a juste une manière différente d’exprimer toutes ces émotions qui nous traversent.
Dans ce nouvel album, l’anglais se mêle au français. Comment s’opère le choix de la langue en fonction du morceau ?
Lou : Ça part toujours de l’écriture automatique avant même que les mots ne deviennent un morceau. Au départ, c’était juste le besoin d’exprimer des choses et de les coucher sur papier afin que les écrits restent. Pour les textes en français, la musique est venue dans un second temps. La plupart des mélodies existaient déjà et, en puisant dans ce qui avait été enregistré, on se disait : « Là ça colle vraiment avec cette idée ! ».
Parmi vos références musicales, vous citez tout autant Nina Simone que Tracy Chapman ou Joni Mitchell. Ces femmes sont-elles des « exemples » aussi bien musicalement qu’humainement parlant ?
Lou : Ce sont des artistes qui résonnent en moi mais plus dans l’urgence qu’elles avaient à exprimer des idées que dans le côté revendicatif. J’aime ces artistes qui crient leur vérité au monde. C’est en ce sens qu’elles ont été pour moi de réelles inspirations.
Justement, pendant la phase de composition, vous écoutez de la musique ou vous essayez de vous cloisonner ?
Alexey : On respire musique quasiment 24h/24. Il n’y a que quand on dort que la platine vinyle cesse de tourner, et encore je suppose que nos inconscients travaillent là encore en musique. S’il n’y a pas de Bob Marley, c’est que la journée sera mauvaise. Chaque album de cet immense artiste que j’écoute me ramène indubitablement à une période de ma vie. C’est vraiment à chaque fois une redécouverte permanente. « Time Will Tell », le dernier morceau de l’album Kaya, est un titre qui restera ancré en moi toute ma vie. Cela résonne du reste bien avec la période actuelle ! On va vers le paradis alors que c’est l’enfer, ou inversement ?! Chacun peut se faire là sa propre opinion. On pioche dans notre collection de vinyles au grès de nos envies.
Lou : « Le Sacre du Printemps » et « L’oiseau de Feu » de Stravinsky ont pas mal tourné sur la platine également. Tout comme Chopin, Brad Mehldau, Nas, Francis Cabrel, Joni Mitchell et son album en hommage à Mingus… On aime vraiment toutes les musiques.
Plus de concerts, un confinement pas forcément propice à l’émancipation artistique, comment voyez-vous l’avenir ?
Alexey : Un nouvel album ! Chaque nouveau disque est une nouvelle remise en question mais également une reconstruction, une renaissance.
Lou : Oui, ça c’est son côté positif qui parle ! Alexey a raison sur le fait qu’il ne faut jamais s’arrêter de créer et toujours voir devant soi. Après, c’est vrai que nous, artistes, on peut se demander de quoi sera fait l’avenir. Car même avec le déconfinement, ce n’est pas demain que les salles de concert vont ouvrir à nouveau. On ne va bien sûr pas s’arrêter de composer, de faire de la musique, mais quant à savoir si l’on pourra continuer à en vivre, je me pose la question. En même temps, il n’y a jamais eu autant de joie qu’en période de crise. C’est notre manière de lutter contre le sort, de survivre. Le prochain album sera donc plein de liberté, de vie, de lumière. Le retour sur « nous » de « Uncertain Weather » ne m’a pas laissée indemne donc j’ai désormais besoin d’un peu plus de légèreté. J’ai l’impression d’avoir dit des choses nécessaires et de commencer aujourd’hui une nouvelle vie de femme épanouie.
Plein de projets donc…
Alexey : Avant le confinement, nous avons eu la chance de partir au Maroc et de découvrir la musique Gnaoua, Chaabi ou Issaouie. Toutes ces célébrations de joie, de vie, d’exaltation nous ont beaucoup nourris et sont désormais des choses qui résonnent dans nos têtes. Cela s’est imprégné en nous.
Lou : Ce confinement m’ouvre sur le fait que j’ai besoin d’échanger, d’apprendre des autres. Je n’aspire qu’à une chose, c’est pouvoir sortir pour jouer avec des gens que je ne connais pas et découvrir de nouvelles cultures. Hier, on a eu la chance de faire un concert live en ligne et je dois avouer que partager, même virtuellement, nous a fait un bien fou !