Il devait être vétérinaire, il est depuis 20 ans l’un des DJ internationaux les plus réputés. Nous devions parler musique, notre entretien s’est vite focalisé sur la condition humaine et une société qui, chaque jour, s’éloigne un peu plus de ses racines. Sous le soleil du vieux port de la cité phocéenne, Jack de Marseille nous ouvre son cœur.
« On dit souvent des gens d’ici qu’ils ouvrent facilement les bras et oublient un peu trop de les refermer. »
Tu te destinais à devenir vétérinaire et tu es devenu DJ. Pourquoi ce revirement radical ?
Je suis un instinctif de nature. Ce sont les passions qui guident mes choix. Il y a eu les animaux, le sport (Jacques a été professeur de tennis) et puis la musique. Je suis parti à l’armée à la fin des années quatre- vingt et c’était le début de l’avènement de la house et de l’acid house. Pour moi, cela a été un flash, une révélation. J’ai commencé à acheter des magazines spécialisés, des maxi et à me plonger à fond dans l’univers des musiques électroniques. J’ai passé mon monitorat de tennis au Cap d’Agde et j’ai sympathisé avec un DJ du coin. Lorsque je suis sorti de l’armée, il est tombé malade et m’a proposé de le remplacer.
Après, c’est l’instinct qui t’a guidé !
Exactement. Arrive ce qui doit arriver. Je ne me suis pas posé de questions et, ensuite, ce sont les rencontres qui ont fait le reste. Bien sûr, je me suis investi à fond pour faire les choses le mieux possible, mais je laisse peu la place à la réflexion professionnellement parlant. J’ai très vite travaillé dans les clubs et j’ai pu vivre de cette passion pour la musique. C’était une époque de liberté totale, les balbutiements de la musique électronique.
Cette époque des premières raves dans les bois semble bien lointaine aujourd’hui alors que Cathy Guetta organise des dancefloors dans les stades (Unighted, le 7 août dernier dans le stade de Nice) pour 50 euros par personne non !
Comme tout mouvement musical, l’électro a été rattrapée par son succès ! Il y a un pillage dans l’electro comme dans le hip-hop d’ailleurs dû à l’appel de l’argent. Un domaine que le couple Guetta maîtrise parfaitement ! Je pense qu’ils sont encore passionnés par ce qu’ils font, mais ils ont appris à devenir au fil des années de vrais businessmen de la techno et ils vivent dans une véritable bulle. Certains oublient d’où ils viennent et c’est bien dommage !
Tu as choisi un pseudo de DJ en osmose avec la ville dont tu es originaire. Un moyen d’affirmer tes racines ancrées dans le Sud ?
Ce qui est drôle, c’est que ce n’est pas moi qui ai choisi ce pseudo. Au départ je n’avais pas de nom et un booker de Paris m’a dit que je devais absolument trouver un pseudo pour les flyers. Passionné par la musique de Chicago où il y a du Jack par ci, Jack par là, je me suis dit que DJ Jack serait mon nom. En 1997, j’ai participé à l’émission « La marche du siècle » présentée par Jean-Marie Cavada qui m’a annoncé comme Jack de Marseille. Et c’est resté !
Marseille te colle à la peau !
J’aime ma ville même si je ne suis pas toujours en harmonie avec la mentalité des gens qui y habitent. Marseille, j’ai toujours besoin d’y revenir ! Ce sont mes racines. C’est une histoire d’amour passionnelle avec ses hauts, ses bas, ses joies, ses clashes… Marseille, c’est 137 villages avec 137 identités différentes. Des immeubles populaires aux villas luxueuses en passant par les cabanons de pêcheur, ici, chaque endroit a une identité propre. Ce qui m’ennuie, c’est de voir des gens qui habitent ici et ne respectent pas cette ville. Avec le temps, la maturité, j’ai en définitive de plus en plus de mal avec la mentalité française en général.
Le fait de voyager à travers le monde pour te produire t’a permis de rencontrer d’autres cultures, d’autres mentalités !
J’ai effectivement la chance de partir tout le temps pour mixer à l’étranger et c’est une vraie soupape de sécurité. Vivre à Marseille 365 jours par an serait impossible pour moi aujourd’hui ! Je vais souvent dans l’Océan Indien qui est selon moi la plus belle réussite de mélange à tous les niveaux. Des gens qui vivent en harmonie, c’est si rare de nos jours ! Marseille avec ses 2600 ans d’histoire et sa condition de ville portuaire symbolisait à une époque cette mixité, ces cultures différentes, ce mélange de races, de traditions et cela se perd peu à peu. On dit souvent des gens d’ici qu’ils ouvrent facilement les bras et oublient un peu trop de les refermer. Je crois que, malheureusement, c’est une image assez juste !
Certains pays ou continents t’ont marqué plus que d’autres ?
L’Afrique est un endroit fabuleux. Les gens ne possèdent rien, mais ils ont un sourire qui a une valeur inestimable. Ils sont heureux de vivre et ce qu’ils dégagent est d’une puissance infinie. C’est une vraie leçon de vie. Notre société occidentale se perd un peu trop facilement dans le confort. Quatre jours à Dakar et, en rentrant chez moi, je souriais à tout le monde en disant bonjour dans la rue. Les gens me regardaient comme un extraterrestre. Jette un oeil autour de nous ! De nombreuses nationalités sont représentées et personne ne se dit un simple bonjour. Pourtant, il y a des Africains, des Comoriens, des Asiatiques mais ils ont oublié leurs racines. Tout le monde est entré dans un individualisme à outrance et ne vit plus en harmonie avec ses traditions. Mon discours peut paraître un peu barré ou utopique, mais voyager et m’imprégner d’autres cultures m’a permis de m’ouvrir l’esprit et les sens.
Tu penses que l’Europe, l’Amérique du Nord ont perdu leur richesse de cœur ?
C’est une évidence ! La société de consommation nous a donné des envies dont nous n’avions pas besoin. Tout est fait pour générer de l’argent ! Il est assez drôle de voir que l’intelligence de l’homme risque de le conduire à sa propre perte. Nous sommes devenus les principaux prédateurs de notre environnement, détruisant chaque jour un peu plus ce qui nous fait vivre. Mais c’est peut-être aussi le cycle normal de l’évolution. Détruire pour reconstruire !