Musique

Carmen Souza, au nom du père

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Compositrice, chanteuse, guitariste, pianiste, Carmen Souza mêle, tout en nuances, un jazz mâtiné de sonorités du Cap-Vert, son pays d’origine. En compagnie de son binôme et bassiste de toujours, Theo Pas’cal, Carmen la bohème nous emporte, en un album hommage, sur les traces de son compatriote et inventeur du hard-bop, le génial et regretté fondateur des célèbres « Jazz Messengers », Horace Silver. Quand la saudade devient hymne à la joie !


« Je crois qu’il faut prendre cette crise épidémique comme un avertissement à l’espèce humaine. »

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La musique est-elle le reflet de la personne que vous êtes, une combinaison de vos diverses influences entre Gospel, chansons traditionnelles du Cap-Vert dont vous êtes originaire et jazz ?

La musique est le miroir de qui vous êtes réellement. Ce que je suis dans la vie, je le transmets effectivement par le biais de mes compositions. La musique a cette faculté de vous permettre d’exprimer des émotions au-delà des mots. C’est une sorte de plongée merveilleuse dans la psyché de l’artiste. J’ai toujours été attirée par divers genres musicaux, du jazz à la world music en passant, comme vous le disiez, par les rythmes des chansons traditionnelles du Cap-Vert. J’aime cette idée de pouvoir passer d’une ambiance à une autre, de n’être enfermée dans aucun carcan et pouvoir ainsi bousculer un peu les styles et casser cette barrière du genre. Ma musique est un doux mélange, une parfaite représentation sonore de la personne que je suis au fond de moi.

Vous jouez de la guitare, du piano et même votre voix est un instrument au cœur de vos compositions. Cette particularité vocale était-ce quelque chose de spontané ?

Cela a été assez spontané car comme je n’ai pas commencé la musique par un instrument, je n’avais à disposition que ma voix. Elle est donc venue ajouter à ma palette musicale une couleur supplémentaire. Ce n’est qu’en découvrant le jazz que j’ai compris jusqu’où il était possible d’emmener un instrument et à quel point il devenait le prolongement de l’artiste, une sonorité unique qui permet de le reconnaître à la première note. Prenez le cas de Miles Davis, John Coltrane ou encore Charles Mingus, la façon qu’ils avaient de faire résonner leur instrument est si unique qu’on ne peut les confondre avec personne d’autre. Ils ont au cœur même de leur instrument leur propre voix. J’ai tenté de reproduire cela avec mes capacités vocales pour exprimer différents sentiments, différents sons ou textures. Comme je chante majoritairement en créole, d’une île à l’autre l’accent est différent ce qui me permet un registre beaucoup plus large, apportant une touche poétique à mes compositions je pense.

Entretien

Comme vous le disiez, il suffit d’entendre une note de Coltrane, Miles ou Mingus pour les reconnaitre. C’est la même chose avec la voix d’Ella Fitzgerald à laquelle on vous compare souvent. Cela doit, je suppose, vous toucher ?

C’est assez dingue pour moi et si glorifiant d’être comparée à une si grande dame, une immense artiste. Ella Fitzgerald est certainement la chanteuse pour laquelle j’ai le plus de respect. Au-delà de ses capacités vocales hors du commun, j’admire sa capacité à apporter par le biais de sa musique de la joie pure. C’est forcément un honneur que les gens voient entre elle et moi des points communs, mais je reste très humble par rapport à cela car je sais très bien que le talent de cette dame est juste inégalable.

Ella Fitzgerald, Nina Simone ou Joni Mitchell, ces trois femmes sont-elles des exemples pour vous tout autant pour leurs dons musicaux que pour leurs personnalités ?

J’adore les compositions de Joni Mitchell. Elle est un exemple de toute l’émotion que la musique est capable de véhiculer. Il suffit d’écouter l’un de ses albums pour comprendre ce que pouvait être sa vie, les sentiments qui étaient les siens au moment où elle a composé. Elle est sa musique, elle ne ment pas. C’est ce que j’admire chez cette artiste, une véritable poétesse. J’ai aussi un faible pour Billie Holiday qui a connu une vie si compliquée et dont la musique était la seule échappatoire, sa bouée de sauvetage dans un monde si dur à son égard. Toutes ces femmes n’ont jamais eu peur de prendre des risques, de suivre un chemin sans se soucier de la mode ou des trucs dans le genre. Elles sont authentiques.

Comment vous est venue l’idée d’un album hommage au merveilleux pianiste qu’était Horace Silver ?

L’idée de départ est que, comme moi, Horace Silver était originaire du Cap-Vert et, dans sa musique, on retrouvait cette influence mêlée au jazz. À l’époque, peu de gens connaissaient les sonorités du Cap-Vert et Horace Silver arrivait avec une musique totalement novatrice emplie de swing, avec un groove incroyable. Je crois qu’il a grandi en écoutant son père et ses amis jouer le dimanche soir. Il a donc intégré en lui tout cet univers musical qui a baigné sa jeunesse. Je dois dire que lorsque j’ai découvert ce pianiste, cela a été un vrai choc car son univers combinait parfaitement toutes les influences, les couleurs qui me touchaient et me rappelaient, à moi aussi, des souvenirs d’enfance. Dans sa musique, ce sont toutes mes propres racines que je pouvais percevoir. Il a donc été bien délicat de faire un choix parmi toutes ses magnifiques compositions lorsque je me suis décidée à lui rendre hommage avec un album. Bien sûr « Cape Verdean Blues » ou « Song for my father” étaient des incontournables, des hymnes que j’aime tant et que j’ai pris un immense plaisir à interpréter.

Entretien

C’est votre papa qui vous a fait découvrir le répertoire d’Horace Silver ?

Pas vraiment, en fait mon père n’est pas un très grand amateur de jazz. C’est mon bassiste qui m’accompagne depuis plus de vingt ans maintenant, Theo Pas’cal, qui m’a fait connaître la musique d’Horace Silver. Plus largement il m’a fait découvrir le jazz. Le morceau « Song for my father » était pour le pianiste un hommage à son propre père et aux efforts auxquels ce dernier a dû consentir pour pouvoir l’élever dignement. La maman d’Horace est morte alors qu’il était encore très jeune et c’est donc seul que son père s’est occupé de son éducation. Reprendre ce morceau, c’était également pour moi l’occasion de dire merci à mon père qui, quand j’étais enfant, travaillait dans la marine marchande et que je voyais peu. Il s’est toujours démené pour que je puisse manger à ma faim.

« The Silver messengers », nom du groupe qui vous accompagne pour cette album hommage est une référence aux « Jazz messengers » créés par Art Blakey et Horace Silver. Est-ce là l’idée de ce que doit être le compositeur, un messager musical ?

Nous sommes dans cet album tout à la fois des messagers avec notre propre message mais également avec celui de rendre hommage au grand homme qu’était Horace Silver. J’espère que cela incitera certaines personnes à plonger dans sa musique qui mérite tant qu’on s’y attarde. Il a été si novateur dans sa composition… Et même si son style n’était pas toujours bien compris, lui suivait son cœur sans jamais dévier du chemin, du but qu’il s’était fixé.

Et n’est-ce pas trop difficile de mettre des mots sur de tels classiques instrumentaux passés à la postérité ?

Généralement, dans le processus de création des morceaux, Théo arrive avec une idée mélodique et cette mélodie très rapidement me parle et m’inspire des idées, des mots. Pour ce qui est de la musique d’Horace Silver, souvent ses morceaux faisaient naître en moi une histoire. Le titre même de la composition était une source d’inspiration. Je me suis également énormément documentée sur sa vie. Pour le morceau « Nutville » par exemple, on pense forcément à un endroit un peu fou, c’est ce que cela évoque. J’ai donc transposé cela dans un monde actuel un peu dingue mais encore en deçà de la réalité si l’on en juge par ce que nous traversons actuellement avec cette crise du Covid !

Entretien

Justement vous évoquez la situation de confinement inédite que nous visons actuellement. Comment faites-vous face à cette situation pour le moins anxiogène ?

C’est si étrange. Parfois je me réveille au milieu de la nuit en me disant que ce n’est qu’un cauchemar, mais en fait non, hélas, ça ne l’est pas ! Je crois qu’il faut prendre cette crise épidémique comme un avertissement à l’espèce humaine. Il est peut-être temps de changer notre mode de vie et, de toute façon, nous ne vivrons plus demain comme ce fût le cas avant cette épidémie. Il est impensable de revenir à la « normalité » telle qu’on l’imaginait. Au-delà du drame de la situation et de ce que vivent certaines personnes, il faut prendre cela comme un message qui doit réveiller nos consciences. Notre relation à l’autre, le non-respect de notre environnement, notre manière de consommer, cette société de l’argent roi… Je crois qu’il est temps de revoir tout cela ! Tentons au moins de tirer des leçons bénéfiques de cette crise pour aller de l’avant car aujourd’hui, ce qui était la fiction que l’on voyait dans certains films catastrophes est devenue notre réalité. Et une réalité qui fait mal ! J’espère ne pas être trop utopiste en disant cela et en fondant encore un grand espoir sur le genre humain !

J’ai entendu votre reprise du morceau « Sous le ciel de Paris » interprété entre autres par Edith Piaf ou Yves Montand et qui célèbre Paris à travers le monde. Qu’évoque Paris pour vous ?

Cette chanson est vraiment belle et il est drôle que vous me posiez la question car nous venons il y a peu d’en enregistrer une nouvelle version pour un concert live en ligne diffusé sur Quest Tv, la chaîne de Quincy Jones. Théo et moi avons eu la chance de venir à Paris et d’expérimenter cette ville au petit matin quand les rues sont encore quasiment désertes et que l’on voit le soleil qui se lève sur la Seine. J’ai gardé cette image de Paris ancrée en moi car contrairement à la plupart des musiciens, nous adorons les petits matins.


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