Pour son entrée sur les parquets de la Ligue Nationale de Basket, quelques mois seulement avant un premier confinement largement préjudiciable, Michel Mimran, son nouveau directeur général, a dû s’accrocher dans une raquette sujette à de fortes turbulences. Matchs annulés ou reportés, diffuseurs qui oublient de payer la facture, clubs au bord de la faillite… Cette pandémie de la Covid-19 a bousculé une Jeep Elite devenue chancelante. À l’heure d’un confinement bis et avec un mois de novembre où seules les rencontres télévisées sont maintenues afin d’éviter des dépôts de bilan en cascade, les filets de la LNB tremblent. Michel Mimran nous livre son analyse de la situation.
« Nous vivons une période terrible, peut-être la plus grande crise que le sport professionnel ait connu. »
Pour votre arrivée comme directeur général de la Ligue Nationale de Basket, on ne peut pas dire que vous ayez bénéficié de conditions optimales avec un premier confinement qui a mis à mal la Jeep Elite et ses clubs. Cette pandémie, c’est de fait toute la colonne vertébrale du sport français qui se fissure ?!
L’image que vous utilisez est violente, mais elle exprime assez bien la gravité de la situation. Un sport comme le basket, privé de son public, de ses droits télévisés a, de fait, un problème pour se tenir droit. Je pense donc hélas que la fissuration de la colonne vertébrale que vous évoquez n’est pas loin de la vérité. Il faut que les choses se redressent et que l’on trouve des solutions pour continuer à avancer. On se rend compte que même les sports qui, privés de leur public, bénéficient de droits télévisés et donc continuent à avoir des ressources financières, sont également au bord du gouffre. Que ce soient les sports indoor (basket, volley, hand) comme les grands sports collectifs outdoor. Nous vivons une période terrible, peut-être la plus grande crise que le sport professionnel ait connu.
La Ligue nationale de basket a donc décidé de suspendre partiellement les saisons de Jeep Elite et de Pro B en ne maintenant que les rencontres télévisées lors du mois de novembre pour « préserver l’économie des clubs et éviter une cascade de dépôts de bilan ». Je suppose que cette décision a été le fruit d’âpres discussions ?
On ne suspend pas la saison même si l’on peut comprendre l’utilisation de ce terme. Les journées sont reportées en attendant de savoir quand prendra fin cette période de confinement. Nous avons effectivement décidé de conserver les matchs télévisés ce qui a été, comme vous le dites, le fruit d’âpres discussions avec les clubs. En effet, pour pouvoir jouer, il faut des salles ouvertes et, pour que ces salles soient ouvertes, les clubs doivent accepter de jouer à huis-clos, c’est-à-dire sans la moindre recette. Comme il n’y a pas de droits télévisés qui tombent, pas un euro ne rentre dans les caisses. Certains clubs ont accepté ce paramètre comme les Metropolitans 92 de Boulogne-Levallois, l’AS Monaco, l’ASVEL Lyon-Villeurbanne… Ce qui nous permet d’organiser des matchs qui sont télévisés. Nous avons fait ce choix car il était important de ne pas disparaître et de faire vivre le basket auprès des fans qui, depuis trop longtemps, sont privés de leur sport. Nous avions également des accords nouveaux avec des diffuseurs afin que la retransmission des matchs de basket puisse revenir en clair à la télévision. Les clubs qui ne souhaitent pas jouer à huis-clos ne sont aucunement obligés de s’y plier puisqu’il n’y a aucune contrainte à ce niveau de la part de la Ligue. Ceux qui le souhaitent le font dans le cadre d’une télé diffusion. C’est la formule que nous avons trouvée afin de passer cette période difficile de confinement, mais une formule qui ne pourra pas durer trop longtemps.
Justement, si le confinement se poursuit tout au long du mois de décembre en raison de l’impossibilité d’endiguer la propagation de l’épidémie, avez-vous déjà anticipé un scénario ?
La visibilité est compliquée et nous travaillons donc sur des hypothèses. Le plus difficile est de ne pas savoir, d’être dans l’incapacité de prévoir et, malheureusement, c’est l’une des épreuves supplémentaires que cette pandémie fait vivre à tous les sports. Si cette situation devait durer, nous serions dans l’obligation de prendre une nouvelle décision dans une assemblée générale afin d’envisager la suite de cette saison. Pour l’instant, on préfère se dire qu’il nous reste encore suffisamment de temps pour prévoir la suite malgré les retards de matchs qui sont en train de se cumuler. Pour l’instant, la question est de savoir comment mener cette saison à son terme ou, tout du moins, la plus proche de son terme. L’assemblée générale de la Ligue avait voté au mois de mai la possibilité de mettre en place un système de classement des clubs si plus de la moitié des matchs de la saison étaient joués.
La phase régulière devrait donc aller jusqu’au 30 juin et il n’y aura ni play-offs, ni de Leaders Cup en février afin de libérer des dates. Avec les jeux olympiques qui devraient enfin se tenir cette année, vous allez devoir faire face à un véritable casse-tête au niveau du calendrier ?!
Pour l’instant les play-offs sont maintenus car il n’y a eu aucune décision prise à ce sujet au sein de la Ligue Nationale. Effectivement, on est en droit de se demander, au vu de cette saison chaotique, comme faire en sorte d’aller jusqu’aux play-offs mais nous mettons tout en œuvre pour que ces derniers soient maintenus. Après, effectivement, la décision a été prise de reporter le All Star Game et la Leaders Cup, ce qui ouvre quelques fenêtres pour rattraper des matchs. Les jeux olympiques auront-ils lieu ? Bien sûr, tout le monde le souhaite ! Le problème, comme je vous le disais, c’est cette incertitude dans laquelle nous sommes plongés et qui nous laisse dans le flou concernant le planning établi de la saison régulière de Jeep Elite. Pour l’instant, on a géré le mois de novembre et, même si l’on ne sait pas encore ce que sera décembre, nous commençons à anticiper en prévoyant plusieurs scénarios. Aujourd’hui, certains avancent que le confinement prendra fin le 15 décembre afin de permettre aux français de passer les fêtes en famille alors que d’autres pensent que cette situation va perdurer jusqu’au mois de février. Quoi qu’il en soit, quand bien même le déconfinement se ferait mi-décembre, rien ne nous assure que les gens pourront se réunir dans des salles pour assister à des matchs de basket !
Cette crise sanitaire n’était bien évidemment pas prévue contractuellement dans les accords entre la ligue et ses partenaires. Une clause va-t-elle de fait être ajoutée en ce sens dans les contrats pour les années à venir ?
Je pense que cela serait prudent de l’intégrer dans les intérêts des deux parties car nous ne sommes pas à l’abri que ce qu’il s’est passé avec cette pandémie ne se reproduise un jour sous une autre forme. Du fait du caractère inédit de la situation liée à la propagation de ce virus, nous avons tous improvisé, calculant le manque à gagner pour les partenaires tout autant que le manque de visibilité… Certains ont pu renégocier avec leurs ayants-droits là où nous malheureusement, à la LNB, n’avons pas eu cette opportunité. Je pense effectivement que dans les futurs contrats qui lieront les ayants droit aux partenaires et médias, il faudra prévoir d’aborder cette situation d’une potentielle pandémie. C’est une très bonne question mais qui peut s’avérer très complexe à rédiger, sauf si l’on se limite à un prorata de visibilité. Quoiqu’il en soit, il est difficile de calculer le réel manque à gagner. Je vous rejoins sur la nécessité de l’existence future de cette clause mais sa rédaction ne sera à mon avis pas évidente à notifier.
Lors du premier confinement, un partenaire et diffuseur de la ligue de Basket, RMC pour ne pas le citer, avait suspendu son paiement. Même si le sport de haut niveau laisse peu de place à la philanthropie, comprenez-vous cette décision surtout lorsque l’on parle de sommes dues et est-ce pour assurer les recettes des droits télévisés que vous avez opté pour cette formule du mois de novembre ?!
Même si, comme vous le dites, on ne s’attend pas à de la philanthropie dans le sport, je dirais quand même que la plupart des partenaires de la LNB ont appliqué cette vision solidaire inhérente au terme de partenariat qui nous lie. Nous n’avons donc pas trop eu à pâtir d’une attitude disons trop revendicative de la part de nos partenaires qui ont parfaitement compris la situation complexe dans laquelle nous nous trouvions. Cela ne veut pas dire pour autant que nous n’avons pas dû revoir à la baisse ce qu’ils nous devaient, chose tout à fait normale puisque nous avons arrêté de jouer à partir du mois de mars. L’accord qui nous a lié à donc tenu compte de la situation spécifique pour les uns et les autres, ce qui a permis que les décisions ou renégociations soient faites en bonne entente. Pour ce qui est de RMC, notre diffuseur, nous ne parlons même pas là de philanthropie mais de la réalité d’un contrat. Alors que la facture aurait dû être réglée par RMC au mois de janvier dernier, nous n’avons, à ce jour, toujours pas perçu un euro concernant la deuxième échéance qui correspondait aux matchs joués entre le mois de janvier et le mois de mars et qui se sont effectivement déroulés. RMC pouvait justifier le fait qu’il ne paierait pas 100% du contrat, mais de là à dire qu’il ne paierait pas la deuxième échéance, je trouve cela pour le moins étonnant.
Et là concrètement, on en est où ?
Là, ce sont les avocats qui discutent ! Je suis le premier à le regretter. La proposition financière faite par RMC ne pouvait pas nous satisfaire car elle était bien en deçà du nombre de matchs que nous avions déjà joués. Aujourd’hui, nous attendons de voir comment nous allons pouvoir régler ce différend qui dure depuis des mois et fait que la Ligue se trouve aujourd’hui dans une situation financière pour le moins complexe
Au-delà des conséquences économiques de cette crise de la Covid 19 pour le monde du sport, n’est-ce pas également l’âme du sport qui disparait pour les joueurs avec ces huis-clos qui signifient plus de sixième homme pour les encourager ?!
J’ai lu beaucoup de choses sur cette question même si l’image la plus juste me semble en effet celle que vous prenez. Un sport professionnel sans public n’a pas d’âme ! Après, certains journalistes au regard de la champion’s League en football ont expliqué que la compétition avait pu se dérouler dans de bonnes conditions et que, finalement, c’est au départ sans public que l’on a tous commencé un sport. Que ce soit dans la cour de l’école, sur le terrain du quartier ou même pour nos premiers pas en club. Aucun sportif ne peut donc dire qu’il ne sait jouer que devant du public. Pour autant, ce qui fait le niveau de performance du sport professionnel, son énorme attraction pour les fans et sa puissance économique, c’est le public et le fait que cela soit un spectacle avec un décorum apte à fasciner. Cet élément de fascination qui est le cœur du sport professionnel, c’est effectivement le fait de jouer dans un stade plein. Pour les joueurs comme pour les présidents de clubs, les médias ou les partenaires, l’absence de public pose donc un problème fondamental. C’est d’ailleurs, notons-le, la première fois que pendant une période aussi longue le sport professionnel est privé de son public. Le basket a été un peu protégé à ce niveau-là en début de saison car, même si l’on avait aucune salle pleine, on bénéficiait quand même d’un peu de spectateurs.
Vous pointez du doigt des journalistes qui mettent en avant le bon déroulement de la champion’s League en football mais, même pour le téléspectateur, regarder comme moi par exemple les matchs du XV de France dans un Stade de France vide, on sent bien l’absence de frisson, de cette âme liée comme vous le dites au décorum !
Ce que j’entends dans votre affirmation ce n’est pas que l’on perd quelque chose qui semble une évidence mais la question qui consiste à se poser la question quant à savoir ce que l’on perd. Tout n’a pas encore été dit là-dessus mais moi qui ait eu l’occasion d’assister à plusieurs matchs à huis-clos où le public se limitait à une petite dizaine de personnes, j’avoue qu’il n’est pas simple de mettre des mots justes pour expliquer ce manque justement. Alors, oui, on perd l’ambiance mais au-delà de cette ambiance je vous rejoins sur le fait que l’on perd également une substance essentielle que l’on peut appeler l’âme du sport. Même si j’ai senti pendant ces huis-clos des basketteurs qui jouaient avec une très forte énergie, je me disais néanmoins qu’il était primordial que le public puisse revenir au plus vite les encourager pour retrouver ce « jus » nécessaire qui leur permet de se transcender. Ce supplément d’âme que l’on évoquait et qui à huis-clos leur demande d’aller chercher au plus profond d’eux-mêmes pour trouver l’énergie nécessaire afin de se donner à 100% dans leur match.
Le confinement, c’est aussi l’arrêt du basket amateur et forcément une baisse sensible de licenciés. Il va falloir du temps pour panser les plaies ?!
J’en ai peur ! Dans la vie, dans le business… Ce que vous perdez, il est très compliqué de le récupérer totalement. Les licenciés, c’est la grande préoccupation actuelle de mes amis de la Fédération. La rentrée scolaire est de fait le moment décisif où les clubs notent le plus d’adhérents et, cette année, forcément, avec cette pandémie, l’année tronquée depuis mars et la perspective d’un confinement bis dans lequel nous sommes aujourd’hui, les sportifs étaient moins enclins à s’inscrire en club. Résultat, même si certains ont repoussé leur inscription, d’autres seront hélas passés à autre chose et il sera impossible d’aller les rechercher. À l’adolescence, le centre d’intérêt sportif n’est pas toujours arrêté et c’est tout un travail de longue haleine des clubs qui est donc parfois réduit à néant par cette fermeture que nous impose cette pandémie. Prenez celles et ceux qui ne se sont pas cette année réinscrits dans les clubs de basket en attendant de voir comment la situation allait évoluer. Peut-on affirmer que 100% d’entre eux s’inscriront à nouveau lorsque la situation sanitaire sera redevenue normale ? Cela semble utopique ! C’est donc une situation très triste et même violente pour tous les gens qui gèrent ces clubs depuis des années, souvent bénévolement. Au-delà du sport professionnel et du business qu’il représente, on parle là de passion, de partage, de liens entre les personnes… Quand vous perdez ces éléments là, vous perdez beaucoup plus qu’un adhérent et un chiffre d’affaires.
Vous évoquez la partie business du sport. Début 2020, L’AccorHotels Arena de Paris a accueilli son premier match de NBA avec la réception des Charlotte Hornets et des Milwaukee Bucks avec des places qui se sont envolées en quelques minutes. La NBA où plusieurs français brillent, c’est au-delà de son intérêt sportif, une histoire de gros sous avec des sommes colossales. Lorsque l’on voit le budget des clubs français qui, pour les plus gros tournent à environ 5 millions d’euros et que l’on sait que le salaire de LeBron James s’élève à 31,52 millions (sans compter les 48,8 millions de contrats publicitaires), on est là clairement face à deux mondes ?
Ce sont là deux galaxies qui ne se côtoient pas. Cet écart colossal existe dans d’autres sports du reste même si l’on s’en étonne. Si vous prenez le salaire moyen d’un footballeur dans un championnat européen moyen et que vous le comparez aux salaires des stars du ballon rond dans les clubs les plus prestigieux, on est à des années-lumière. Vous vous dites que ce n’est pas le même sport. Les grands écarts économiques entre les entreprises ou les individus et ceux qui font sur le papier la même activité et gagnent 1000 fois moins, c’est monnaie courante. N’oublions pas que si le basket en France est dans le top 5 des sports collectifs, la NBA est l’équivalent disons du football en Europe en matière de notoriété comme de revenus dans, de surcroît, un pays comme les Etats-Unis où le sport en général revêt une puissance économique incroyable. À partir de là, le chiffre d’affaires engrangé par le basket et la NBA peut difficilement être comparé à celui de la Jeep Elite en France. Après, vous savez, l’économie se régule donc si un club comme les Lakers peut payer sa star LeBron James cette somme, c’est qu’ils y trouvent leur compte.
Vous êtes ancien directeur marketing du PSG entre 2009 et 2018. L’ubuesque imbroglio Mediapro dans lequel se trouve empêtré le football français, ça vous inspire quoi ?
Il se passe quelque chose avec Mediapro que beaucoup de gens commentent et je trouve que le commentaire est toujours facile. Il y a eu un contrat qui a été apporté à la LFP et lorsque l’on regarde la somme de ce contrat, on se dit qu’il n’était pas facile à refuser. À ce moment-là, tout le monde s’en était satisfait d’ailleurs. Ma seule remarque est qu’une simple division permettait de voir qu’avec uniquement le nombre d’abonnés de la chaîne, il en fallait plus de 3,5 millions pour que ce contrat s’avère rentable. Je n’ai pas la prétention d’avoir l’intelligence de ceux qui ont passé ce deal et donc je pensais qu’ils avaient élaboré une stratégie qui allait, en termes de rentabilité, au-delà des simples abonnés de leur chaîne. Lorsqu’un mois après la signature, le patron de Mediapro explique que cela va s’avérer très compliqué d’être rentable, j’ai simplement trouvé cela pour le moins étonnant puisque, pour le coup, une simple opération mathématique avait démontré cette problématique dès le départ. Aujourd’hui, les conséquences sont dramatiques pour le foot mais comme toute économie qui vit sur une bulle spéculative d’ailleurs. Pour le basket, l’économie est assez saine puisqu’elle repose sur le fait d’avoir du public dans une salle. Avant la pandémie, personne ne pouvait imaginer que l’on serait effectivement confrontés à une incapacité de remplir nos tribunes pour des raisons sanitaires. Ce qui se passe avec les droits médias dans certains sports comme le football, c’est différent car tout repose sur un seul contractant : Votre diffuseur ! Et là, en cas de défaillance de ce dernier, comme c’est aujourd’hui le cas avec Mediapro, vous pouvez vous dire que vous allez au-devant de beaucoup de soucis. Pandémie ou pas, il fallait aller chercher 3,5 millions de spectateurs à 25 euros par mois, ce qui est quand même sur le papier très compliqué, même en temps normal.