Ce deuxième confinement, instauré depuis le 30 octobre dernier par notre gouvernement et souhaité plus souple afin de ne pas plonger le pays dans un marasme économique encore plus abyssal, pose pourtant nombre de questions sur la ligne de conduite pour le moins floue choisie par le maître des clés de l’Élysée. Alors que les salariés sont invités à se rendre sur leur lieu de travail s’ils ne peuvent exercer leur activité depuis leur domicile, que les banques, les supermarchés, les magasins de téléphonie et les écoles de nos chers bambins restent ouverts, les petits commerces doivent eux baisser leur rideau, considérés comme « non essentiels » et visiblement vecteur de propagation de la Covid 19. Ce coup de massue sur un secteur déjà en crise à quelques semaines des fêtes de Noël ouvre un nouveau boulevard à la vente en ligne et risque de se muer en dernier clou d’un triste cercueil dans lequel nombre de commerces seront bientôt enterrés. Lionel Saugues, vice-président de la Fédération Française des Associations de Commerçants et de la Confédération des Commerçants de France, tire, à juste titre, le signal d’alarme sur cette chronique d’une mort annoncée !
« On s’attend à une véritable hécatombe pour les petits commerces de la plupart des villes de France si cette crise sanitaire dure. »
Pouvez-vous nous expliquer le rôle de la Fédération Française des Associations de Commerçants et son mode de fonctionnement ?
Notre Fédération, la FFAC, est née en 1957 et a pour vocation de porter la voix des unions commerciales de France. Nos adhérents sont des fédérations départementales, régionales, des associations locales de commerçants et la FFAC représente aujourd’hui 6000 unions commerciales ce qui veut dire des dizaines de milliers de chefs d’entreprise. Nous avons une représentation assez large qui reflète notre volonté de couvrir tout le territoire puisque l’on a, en notre sein, des associations émanant de grandes métropoles mais aussi de villes moyennes ou de zones rurales et, plus récemment, des nouvelles unions commerciales comme la fédération des commerçants de l’île de la Réunion ou l’association Esprit Villages à Saint-Tropez qui nous ont rejoints. Notre conseil d’administration est composé de plusieurs élus qui ont des casquettes différentes comme notre président Jean-Claude Delorme, également trésorier de l’association, Centre-Ville en mouvement. Notre bureau est assez conséquent avec une expérience forte dans le domaine consulaire des collectivités ce qui nous permet de bien défendre l’intérêt de nos commerçants comme de nos artisans auprès notamment des pouvoirs publics.
Ce deuxième confinement, c’est un nouveau coup dur pour les petits commerces dits « non essentiels » et qui, une fois encore, doivent fermer leurs portes. Comment avez-vous réagi à ces nouvelles mesures prises par le gouvernement et annoncées pour lutter contre la propagation de la pandémie ?
Les commerçants de notre pays ont clairement conscience de la situation sanitaire alarmante que connaît notre pays. Ils ne vivent pas dans une bulle et ont même été particulièrement exemplaires ces derniers mois en respectant les gestes barrières, en sensibilisant leurs clients et, parfois même, en faisant la police dans leur boutique pour faire respecter les règles sanitaires. Aujourd’hui, les commerçants sont sous le choc et très en colère après les annonces faites par le président de la République et le premier ministre. Pour beaucoup d’entre eux, c’est un véritable coup de grâce et, forcément, nombreux s’interrogent quant à leur avenir. Il faut avoir à l’esprit que l’on connaît depuis deux ans maintenant une période très difficile pour le commerce avec successivement les crises sociales des gilets jaunes, un contexte sécuritaire extrêmement dur et une première vague de la Covid qui a mis à genoux beaucoup d’indépendants qui, aujourd’hui, n’ont plus de trésorerie.
Comprenez-vous cette terminologie même de « non essentiels » stigmatisante et le fait que les petits commerces soient pointés du doigt alors que les entreprises, les banques, les magasins de téléphonie, d’entretien automobile, les écoles, les grandes surfaces, eux, restent ouverts ?
Il est clair que l’on ne comprend pas cette stigmatisation qui a été faite des petits commerces et ce terme vexatoire de « non essentiels ». Au-delà de ces mots, c’est un profond sentiment d’incompréhension et d’injustice qu’éprouvent aujourd’hui les commerçants de notre pays. Nous n’avons pas compris, comme beaucoup de nos concitoyens d’ailleurs, en quoi nos boutiques du centre-ville seraient beaucoup plus un vecteur de propagation de la Covid 19 qu’un grand centre commercial périphérique par exemple. Nos rues sont pleines, les abords des écoles bondés, les jardins, les grandes-surfaces… Alors même que l’on demande aux commerçants de rester fermés pour limiter les déplacements. Nous sommes, dans l’esprit de beaucoup de commerçants, dans une sorte de reconfinement « light », qui génère une situation absurde. Est né chez eux un véritable sentiment d’injustice face à la concurrence déloyale des géants du numérique, à l’image d’Amazon par exemple.
Concernant les grandes surfaces, on a pu constater un hiatus puisque les rayons de produits « non essentiels » sont tout d’abord restés ouverts avant d’être fermés mercredi. On a quand même l’impression qu’en de nombreux domaines, le gouvernement navigue à vue ?!
Sur ce point, la mobilisation de tous les petits commerçants et celle de notre président à la Confédération des Commerçants de France, Francis Palombi, ont permis de faire changer la position initiale du gouvernement qui est revenu vers quelque chose de plus normal, plus équitable en décidant de fermer, dans les grandes surfaces, les rayons qui ne sont pas dédiés aux produits alimentaires. Ça a été compliqué, mais là, pour le coup, c’est pour nous une vraie victoire.
Avez-vous été reçu par le ministre de l’économie et des finances Bruno Le Maire afin de plaider la cause des petits commerçants ?
La Confédération des Commerçants de France dont je suis effectivement le vice-président a été en effet bien associée aux réunions organisées par les ministères et il faut s’en féliciter car c’est là l’occasion pour nous de faire remonter les difficultés rencontrées sur le terrain par nos commerçants et nos artisans. Globalement, on peut dire que la concertation et l’écoute sont là. Il faut reconnaître que le ministre Bruno Lemaire mais également Alain Griset, en charge des petites et moyennes entreprises et qui vient du monde l’artisanat, sont très à l’écoute et ont participé à la mobilisation financière de l’Etat à hauteur des 20 milliards d’euros. Cette aide particulièrement forte ne sera pourtant pas suffisante pour sauver des commerçants et des artisans qui sont aujourd’hui en grave danger sur le plan économique.
Peut-on justement déjà estimer les dégâts que causera ce deuxième confinement dont la durée n’est pas encore fixée et le nombre de fermetures de petits commerces qu’il risque d’entrainer pour l’année 2021 ?
Il est difficile aujourd’hui de donner des chiffres d’autant que les charges des commerçants ont été pour beaucoup reportées. Ce que l’on sait, c’est que la dette des commerçants aujourd’hui s’accumule et que l’on risque prochainement de se retrouver face à un véritable mur de dettes ! On s’attend à une véritable hécatombe pour les petits commerces de la plupart des villes de France si cette crise sanitaire dure. Cette deuxième vague tombe au plus mal puisqu’elle survient à quelques semaines des fêtes de fin d’année, période la plus importante pour nombre de commerçants et qui représente entre 30 et 50% du chiffre d’affaires annuel. Si le reconfinement s’inscrit sur la durée cela sera dramatique car il ne faut pas oublier que le mois de janvier, c’est la période des soldes ! On entre donc là dans les mois les plus importants de l’année et il n’est pas envisageable pour les commerçants et artisans de notre pays de manquer cette période cruciale. À défaut, ce sont des milliers de commerçants et d’artisans qui déposeront le bilan et des centres villes qui, dans beaucoup d’endroits, vont continuer à décliner, à se paupériser… Je peux vous dire que depuis la première vague de la Covid, pas un jour ne se passe sans qu’à notre fédération nous ne recevions de témoignages poignants de détresse de commerçants issus de toute la France. Hier encore, j’avais en ligne une personne qui, en Haute-Savoie, possède une boutique de prêt-à-porter et qui était totalement désespérée avec une perte de plus de 100.000 euros rien que pendant la première vague de la Covid. Tout ceci est très inquiétant pour notre pays eu égard au rôle majeur que notre commerce revêt dans nos villes, nos villages. Il ne faut pas oublier que le commerce en France, c’est 900.000 entreprises, soit une entreprise sur cinq et trois millions d’emplois.
Les petits commerces qui disparaissent dans un centre-ville, c’est bien souvent la ville tout entière qui se meurt avec ?!
On a l’habitude de dire que les commerces sont l’âme de notre territoire, mais c’est une évidence. On l’a d’ailleurs constaté lors de la première vague de la Covid où la fermeture des commerces de proximité posait de gros problèmes pour la population, particulièrement pour les personnes âgées.
Cette fermeture des petits commerces à quelques semaines des fêtes de Noël, c’est, comme on l’évoquait, à nouveau un boulevard pour les sites en ligne qui vont, une fois encore, s’avérer les grands gagnants de ce confinement. Pensez-vous aujourd’hui que nous nous dirigeons à plus ou moins long terme vers la mort programmée des petits commerces de proximité au profit des géants du web comme Amazon par exemple ?
Il est clair que les plateformes de e-commerce comme Amazon sont d’ores et déjà les grandes gagnantes du confinement. Cela a été très clair pour la première vague et c’est encore le cas à nouveau aujourd’hui. Il suffit de regarder l’insolente hausse du chiffre d’affaires d’Amazon ces derniers mois pour s’en convaincre. Pour autant, même si la période risque de porter un coup très dur à notre tissu commercial et artisanal, je reste persuadé que nos commerçants sauront à terme s’adapter comme ils ont toujours su le faire par le passé. Nous avons déjà connu des crises dans le monde du commerce avec, par exemple, l’avènement de la grande distribution il y a quelques décennies. Ce qui est clair aujourd’hui, c’est que le grand enjeu du commerce indépendant notamment, c’est de réussir ce fameux virage de la digitalisation dont on parle beaucoup. Aujourd’hui, seules 30% de nos petites et moyennes entreprises sont présentes sur la Toile. Ce n’est évidemment pas suffisant et c’est pour cette raison que la FFAC va prochainement annoncer un programme d’accompagnement pour nos commerçants particulièrement ambitieux avec un partenaire de choix. Il en est de notre responsabilité d’accompagner nos commerçants et de faire en sorte qu’ils soient plus visibles sur Internet avec, à terme, la possibilité de générer aussi du chiffre d’affaires en ligne. Dans ce domaine, les petits commerces ont pris beaucoup de retard car, même s’il existe des market places locales, elles ne sont finalement pas très connues et ne peuvent se mesurer à la puissance de frappe d’un Amazon par exemple. On ne combat pas là dans la même catégorie, c’est une évidence.
La maire de Paris Anne Hidalgo a déclaré récemment : « Je le dis vraiment aux Parisiennes et aux Parisiens : n’achetez pas sur Amazon. Amazon c’est la mort de nos librairies et de notre vie de quartier. » Vous en pensez quoi vous qui, avec dix présidents et vice-présidents ou directeurs généraux de fédérations de commerces avez publié une lettre ouverte à son intention ?
Sur le premier point, on ne peut qu’être d’accord avec la maire de Paris. Oui, évidemment, comme on l’a dit précédemment, acheter sur Amazon, c’est affaiblir le commerce de centre-ville ! Au-delà d’être une réalité, c’est même un choix de société. Pour autant, on veut sensibiliser aussi via notre lettre ouverte à Anne Hidalgo sur le fait que le commerce à Paris est en grave danger et ça, c’est une nouveauté. Généralement, lorsque l’on parlait des difficultés du commerce, c’était plutôt dans les villes rurales, les villes moyennes, peu dans les grandes métropoles françaises et encore moins au niveau de la capitale. Or, depuis quelques temps, on s’aperçoit que l’on reçoit beaucoup d’appels de commerçants indépendants de Paris intramuros qui connaissent de très grosses difficultés financières. Il faut comprendre que la crise des gilets jaunes concentrée sur la capitale pendant des mois et des mois a été fortement dommageable. Puis Paris a été sous couvre-feu avant même l’annonce du deuxième confinement. Les restaurants, les cafés sont à genoux dans de nombreux arrondissements. On dit donc à la maire de Paris « Attention ! » car les commerces de la capitale souffrent et les nouvelles mesures qui tendent à limiter le nombre de voitures dans Paris et la possibilité de se garer ne font que fragiliser un peu plus les commerces. Nous sommes dans un contexte sanitaire, sécuritaire et social compliqué, si on ajoute à cela des aménagements urbains brutaux et non concertés, cela peut avoir un impact très néfaste sur les commerçants et artisans qui souffrent déjà énormément.
On a vu que certains maires avaient décidé de braver l’État en signant des arrêtés pour que leurs « petits commerces » puissent rester ouverts et continuent ainsi leur activité. Est-ce une mesure que vous cautionnez et incitez-vous d’autres maires à en faire de même ?
J’ai moi-même été élu local à Saint-Etienne donc, à titre personnel, je ne suis pas partisan de ce type d’actions qui ne sont pas légales et ont toutes été retoquées par les préfets. Je me dis toujours que si les maires ne respectent pas eux-mêmes le cadre fixé par la loi, comment voulez-vous que nos concitoyens le fassent. Malgré cela, il est vrai qu’une cinquantaine d’arrêtés ont été pris par des maires et, à côté de cela, des alertes ont été faites du côté des associations des maires de France. Cela a permis d’envoyer un signal fort au gouvernement et de, par exemple, fermer les rayons de produits dits « non essentiels » dans les grandes surfaces. Il faut donc quand même remercier ces élus qui se sont battus à nos côtés et se féliciter de leur attachement aux commerces de centre-ville.
Quand le premier ministre, Jean Castex, déplore qu’on appelle les maires à : je cite « violer les lois de la République » pour rouvrir les commerces, on est là dans des termes quelque peu excessifs non ?!
Au-delà des mots, on a lancé avec notre fédération un appel auprès de tous les élus locaux de notre pays, que ce soient les maires, les présidents de confédérations pour qu’en fonction de leurs compétences respectives ils puissent se mobiliser massivement afin d’aider de manière très concrète les commerçants en complément des mesures qui ont été annoncées par l’état. Outre le fait que les arrêtés passés par les maires ne soient pas légaux, ils ne sont de toute façon pas suffisants. On a donc lancé un appel qui leur dit : « Si vous aimez les commerces de proximité, vous, élus, avez des leviers fiscaux, budgétaires dans vos mairies, vos agglomérations, vos métropoles qui sont importants et que l’on vous demande d’activer ! » Il y a le symbolique et il y a le concret ! Un maire peut, par exemple, exonérer de loyers, de redevances, de taxes… Sur les terrasses, sur la voirie, sur la cotisation sociale des entreprises. Les élus peuvent aider également les commerçants à passer au digital. On appelle donc les maires à se mobiliser de manière concrète et financière, comme l’état l’a fait. On peut se féliciter que beaucoup de villes et d’agglomérations aient pris des mesures en ce sens d’ailleurs, à Orléans, Vichy, Nancy, Metz, Rennes, Nîmes, Cannes ou la région Auvergne Rhône Alpes à l’initiative du conseil régional. Il y a 36.000 communes en France et l’on attend qu’un maximum d’élus se mobilisent.
Au-delà de l’enveloppe d’environ 20 milliards d’euros pour soutenir les commerçants en souffrance décidée par le gouvernement et les éventuelles mesures prises par des élus, pensez-vous qu’aider les petits commerces à la fin du confinement va devenir un acte citoyen, presque militant ?!
Très clairement ! C’est le consommateur qui a les cartes en main et la capacité de dire ce que sera le commerce de demain. Est-ce que l’on veut que le futur ne soit que de la vente en ligne avec un lien social et une convivialité qui va disparaître ou, à l’inverse, peut-on espérer une vraie prise de conscience de nos citoyens pour faire vivre le commerce de proximité ? Je passe d’ailleurs un appel à vos lecteurs en les invitant à faire cet acte citoyen que vous évoquez et privilégier les commerçants et les artisans de proximité. Retournez dans vos marchés locaux car c’est tout cela qui fait l’âme de nos villes et de nos villages.
Privilégions le réel au virtuel ?!
Historiquement, ce qui a créé les villes, c’est le commerce ! Alors, si demain on n’a plus de commerces, ce sera notre manière de vivre qui disparaîtra. Partout en France, on a la chance d’avoir de beaux centres-villes dynamiques et c’est ce qui en fait leur charme, leur beauté. Veut-on conserver cela ou le détruire ? C’est un questionnement que l’on a depuis une bonne dizaine d’années, bien avant la crise de la Covid face à la souffrance du commerce. Il faut se poser la question de savoir le modèle de société que l’on souhaite et quel type de ville l’on souhaite demain ?!