Libraire, écrivain, Stéphane Bourgoin s’est bâti une réputation de spécialiste mondial des tueurs en série. Sa « vocation », née d’un drame personnel, permet de mettre en lumière la psychologie de ces serial killers qui effraient autant qu’ils fascinent. Allumez les bougies et plongez dans l’antre de l’horreur !
« Les jeux vidéos qui banalisent le tueur en série en mettant le joueur dans sa peau sont un véritable danger. »
De nombreux films ou séries à succès mettent en scène des serial killers (vendredi 13, Halloween, Dexter, le Silence des Agneaux…) Comment expliquer cette fascination pour les tueurs en série ?
L’intérêt du public pour les tueurs en série a vraiment débuté en 1991 avec la sortie du film de Jonathan Demme, « Le Silence des Agneaux », tiré du roman de Thomas Harris. Le personnage d’Hannibal Lecter, ce psychiatre cannibale, joué par Anthony Hopkins a fasciné les spectateurs. Auparavant, il y avait effectivement dans les années soixante-dix et quatre-vingts des tueurs comme Jason (« vendredi 13 ») ou Michael Myers (« Halloween »), mais avec Lecter on ajoute une part psychologique qui rend le personnage bien plus réel. Pour faire un bon film policier, il faut un bon méchant disait Alfred Hitchcock et c’est définitivement le cas avec le film de Demme. Un site comme « www.supernaught.com » offre la possibilité d’acheter des objets signés par des tueurs en série.
Ne trouvez-vous pas que c’est pousser la fascination un peu loin ?
C’est évident ! Une association de victimes basée à Boston tente de légiférer ce merchandising. Rognure d’ongles de Charles Manson, cendres de tueurs en série, dessins de John Wayne Gacy, on peut tout acheter sur ces sites du crime. Là, on entre dans une fascination malsaine et dangereuse. Par le biais de mon site (http://www.au-troisieme-oeil.com/), je reçois entre 100 et 150 mails par jour de personnes qui me demandent des renseignements sur les tueurs en série. Il est assez étonnant de noter que 75 % des mails reçus sont rédigés par des femmes. Elles s’intéressent à la psychologie des tueurs en série et certaines éprouvent même une sorte de fascination érotique à l’égard de ces hommes. Hannibal Lecter avait dressé le portrait d’un être cultivé, brillant et certaines femmes imaginent que tous les serial killers ressemblent au personnage du film. Elles pensent être capables d’analyser et comprendre ce qui se cache derrière ces crimes monstrueux, mais ce n’est qu’une illusion !
Selon vous, les serial killers sont-ils le reflet des malaises de la société dans laquelle ils vivent ?
Toute forme de délinquance représente le malaise d’une société. Si la criminalité baisse aujourd’hui dans tous les pays du monde, on note pourtant que les crimes ultra-violents, accompagnés d’actes de torture sont en constante augmentation. L’être humain est malheureusement le maillon faible de notre monde et la violence à son encontre un langage par rapport à l’agression ressentie vis-à-vis de la société. On pointe souvent du doigt la violence véhiculée dans les films ou la télé pour expliquer ce phénomène. Selon moi, ils n’ont pas la moindre influence car le spectateur est, dans ce cas précis, passif. Par contre, je crois que les jeux vidéos extrêmes qui banalisent le tueur en série en mettant le joueur dans sa peau sont un véritable danger. Enfermé dans son monde de violence dans lequel il passe plusieurs heures par jour, l’adolescent, de surcroît en proie à des problèmes psychologiques, risque d’être insensibilisé à la violence et peut alors déraper.
À la vue de l’évolution de notre société, pensez-vous que les serial killers augmenteront en nombre au cours des prochaines décennies ?
C’est très difficile à dire ! Nous n’avons pas vraiment de statistiques sur les meurtres de tueurs en série au niveau mondial, car tous les homicides sont pris individuellement. Par contre, il est indéniable que les violences contre les personnes ne cessent de croître. Les médias ne parlent que de quelques tueurs en série « emblématiques », mais il ne faut pas oublier que ces 10 dernières années, nous en avons recensé pas moins de 97 en hexagone ! Certains comme Louis Poirson, Denis Waxin ou Jacques Plumain sont passés totalement inaperçus.
Vous avez interviewé les plus célèbres tueurs en série. Pourtant vous dîtes qu’un seul vous a fait froid dans le dos en croisant son regard : Gerard Schaefer que vous avez qualifié de mal absolu ! Pourquoi ce sentiment ?
J’ai eu une réaction physique que je n’ai jamais ressentie avec d’autres tueurs. J’ai immédiatement eu la chair de poule en croisant son regard. Il y a trois mois, j’ai d’ailleurs sorti un dvd avec l’intégralité de l’interview de Schaefer. Ce dernier a été accusé de deux meurtres et soupçonné de trente-deux autres. Manipulateurs, menteurs, psychopathes, les tueurs en série aiment jouer avec la personne qu’ils ont en face d’eux. Ils ne se baladent pas avec des masques de hockey ou des griffes d’acier comme dans certains films ! Ils présentent une face de normalité absolue vis-à-vis de la société. Par contre, ils n’ont aucun sentiment ou empathie pour quiconque.
Chez le tueur en série, ce n’est pas tant le sexe qui importe mais le besoin de contrôle, l’humiliation de la victime. Viol, torture, meurtre ne sont pour lui que les moyens pour parvenir à cette toute puissance. 95 % des serial killers viennent effectivement de familles à problèmes, mais pas obligatoirement liés au sexe. Il n’y a, hélas, pas de profil type. Leur seul point commun est une totale absence de remords concernant leurs actes et une dangerosité extrême.
En lisant vos ouvrages, on constate que la plupart des pulsions meurtrières des serial killers sont d’origines sexuelles et prennent racine dans leur enfance. Pensez-vous que les traumatismes enfantins sont le point de départ de tout serial killer ?
Votre vie consacrée aux serial killers naît d’un drame personnel, le meurtre en 1976 de votre petite amie. Avoir étudié et interviewé ces hommes vous a t-il permis de percer l’abcès de ce tragique passé ?
Au départ oui ! Mais depuis pas mal d’années maintenant, c’est un sujet qui me passionne sans me fasciner pour autant. Lorsque je rencontre un tueur en série, je dois tenter d’établir un lien avec une personne menteuse et manipulatrice, ce qui est loin d’être évident. Souvent condamnés à la peine de mort dans certains états américains ou à l’enfermement à perpétuité dans des prisons de très haute sécurité, ils n’ont que très peu de visites. Pour certains, je suis une forme de distraction, pour d’autres un moyen de revivre leurs crimes. La plupart aiment la confrontation, une sorte de duel psychologique qu’ils instaurent dans le style de la rencontre entre Jodie Foster et Anthony Hopkins dans « Le Silence des Agneaux. »
À l’heure de la police scientifique, il semble peu probable que des hommes comme Lucas, Fish ou Gein auraient pu commettre autant de meurtres de nos jours. Pensez-vous que les serial killers seront peu à peu remplacés par les mass murderers qui défraient la chronique aujourd’hui ?
C’est évidemment plus difficile grâce à l’évolution des moyens mis en œuvre par la police, mais aucunement impossible. Aux Etats-Unis, par exemple, la police vient d’arrêter, il y a peu, Lonnie David Franklin Jr., surnommé «Grim Sleeper» (accusé d’avoir tué et violé une dizaine de femmes) au bout de 25 ans. Ce tueur a commis ses premiers crimes dans les années 80 puis s’est arrêté pendant une période de 13 ans, d’où sont surnom ( « Le sinistre endormi »). Les tueurs en série n’ont aucunement envie de se faire prendre et, même si la pulsion de meurtre se fait sentir, ils peuvent s’en dissuader si la situation n’est pas propice, voire dangereuse. Ce sont des êtres cycliques, mais doués d’une grande intelligence, donc difficiles à appréhender. Le mass murderer (tueur de masse qui tue au moins quatre personnes d’affilée dans un même endroit) a une logique diamétralement opposée. C’est un suicide organisé, orchestré pour rester dans l’histoire en emportant avec lui le plus de victimes possibles. Ce sont des personnes ayant de forts troubles psychologiques, de véritables bombes à retardement prêtes à exploser. Ils mettent leurs crimes en scène en se grimant, postant des vidéos sur des sites… Le rôle des médias est extrêmement nocif chez ce type de tueur car c’est la reconnaissance du monde qu’ils souhaitent et, en publiant leur identité, on les conforte dans ce processus. En taisant leurs noms, donc en les plongeant dans l’anonymat, les médias pourraient éviter aux adolescents désorientés de vouloir imiter ces tueurs de masse !