Merci à Raphael de « Appelation & Co », 3 rue de Chomel, 75007 Paris
www.sommelier-vins.com
Après être passé par les illustres établissements que sont le Plaza Athénée d’Alain Ducasse, Guy Savoy ou Le Fouquet’s, Emmanuel Delmas distille sa connaissance du vin sur son blog (www.sommelier-vins.com) devenu une référence. À quelques jours de l’annuelle « foire aux vins » qui fait recette dans les hypermarchés, le sommelier nous prodigue ses conseils de sélection et de dégustation.
« Personnellement, je ne mets jamais plus de 40 euros dans un vin. Au-delà, cela devient du snobisme, de l’élitisme. »
Le goût du vin a-t-il évolué au fil des années ?
L’évolution du goût est la résultante de plusieurs facteurs. Tout d’abord, il y a eu l’effet Parker. Robert M. Parker avec ses guides sur le vin est vite devenu une référence dans le Bordelais. Conséquence, les vignerons ont apporté des modifications sensibles afin de plaire à ce critique. Cela a malheureusement donné naissance à des vins putassiers, bodybuildés, trop puissants, marqués par un élevage en fût de bois. Cet effet Parker est en train de se gommer petit à petit et, pour le bien de tous, on s’éloigne peu à peu de cette uniformisation des vins qui donnent tout en bouche, mais qui sont affreusement maquillés et manquent d’élégance. Ensuite, il y a l’effet climatique. Il semble qu’il fasse plus chaud ces dernières années, ce qui entraîne des vins plus denses mais qui, hélas, manquent d’acidité, l’épine dorsale du vin. Ensuite, la consommation de vin proprement dite a énormément changé. Dans les années cinquante et soixante, on élaborait des vins que je qualifierais de « vins boissons ». Les Français buvaient du vin à chaque repas. On préparait donc des vins de table tournant entre 10 et 11° pour répondre à leurs attentes. Aujourd’hui, le vin se déguste entre amis, plutôt le week-end et entre plus dans la dégustation que dans la consommation de masse.
Et concernant l’utilisation massive de pesticides ?
Pendant la seconde guerre mondiale, une grande partie des cultures a été saccagée. L’apparition des pesticides et autres herbicides a facilité la vie des agriculteurs en protégeant les cultures, mais en contrepartie cela a totalement dénaturé le sol. Il suffit pour s’en convaincre de tirer sur un pied de vigne en début de rang par exemple. La vie microbienne y est désormais absente. Plus de coccinelle, d’abeille ou de ver de terre ! Conséquence, les racines de la vigne deviennent paresseuses. Normalement, il faut savoir que les racines peuvent plonger entre 20 et 70 mètres dans la terre. Elles livrent le message du sol, un vin respirant. Les racines vont puiser les oligoéléments, la minéralité et donc l’acidité du vin. 80 % de « l’âme » du vin se fait à la vigne et le traitement abusif de pesticides fabrique un raisin qui a plus de mal à mûrir et donc des vins très consensuels, sans véritable fond. Conséquence, il va falloir gommer ces incohérences de la vigne par le biais d’œnologues, des chimistes qui tentent de rectifier les carences de la terre. Le vin est donc hélas transformé artificiellement pour répondre à des critères de goût.
La France reste-t-elle LE pays du vin ou est-elle de plus en plus concurrencée ?
La France est définitivement le pays du vin ! Notre pays possède des terroirs fabuleux un peu partout, une variété de climat exceptionnelle et un terrain propice à la culture de la vigne. L’Europe en général est un continent fait pour le vin. Des pays comme le Portugal ou l’Italie ont des cépages très intéressants. Pour résumer, disons que notre hexagone possède un savoir-faire mais qu’il nous manque un faire savoir qui est le propre de l’Amérique du Sud par exemple. Là-bas, on va chercher le client alors que la France a tendance à s’endormir sur ses lauriers, laissant de côté l’aspect marketing, essentiel pour la distribution.
« Si le vin disparaissait de la production humaine, il se ferait dans la santé et dans l’intelligence un vide, une absence plus affreuse que tous les excès dont on le rend coupable », disait Charles Baudelaire. Vous partagez ce point de vue ?
C’est une évidence ! Plus de vin signifie, plus d’espoir. Avec le vin, et Baudelaire savait de quoi il parlait, on est dans le lyrisme, la poésie, l’échange, le partage et non pas la beuverie. Le vin est une culture, un art, un échange avec la terre inégalable.
Que faut-il penser des foires aux vins qui ont lieu actuellement dans les hypermarchés ? Est-ce l’occasion de bonnes affaires ?
Il faut être très vigilant ! Ne perdons pas de vue que le but premier de la grande distribution est de vous prendre votre argent tout en vous faisant croire que vous en gagnez ! On se situe là dans des vins de masse et non des vins d’artisans. Dans ce genre d’opération marketing, on achète un prix qui semble attractif pas plus. Il n’y a aucun travail de conseil par opposition à votre caviste du coin. Et, en matière de vin, être guidé par des professionnels est essentiel !
Comment apprendre à marier un mets à un vin ?
Il y a quelques règles assez simples à respecter. Tout d’abord, il faut une véritable cohérence dans l’enchaînement des vins. La base est de commencer par le plus acide pour aller vers le plus sucré. Ne jamais commencer par un Sauternes ou un Jurançon par exemple ! Un tel vin aurait pour effet de saturer vos papilles, détruisant en cela la dégustation des vins suivants. Ensuite, l’art consiste à marier la persistance des saveurs du plat avec celle du vin. Une saveur reste en bouche entre 20 secondes et une minute. Il faut donc la marier habilement avec le vin qui va venir se poser dessus. C’est un travail qui s’apprend avec le temps.
Quelles sont les règles à respecter lorsque l’on ouvre un « grand » vin ?
Le vin est un élément vivant. Lorsque vous ouvrez une bouteille qui a une dizaine d’années ou plus, il faut lui redonner vie, la faire respirer. Je conseille donc d’ouvrir la bouteille 18 à 24 heures à l’avance. Versez- vous un demi-verre afin, premièrement, de le goûter et ensuite de lui permettre de s’aérer. Le vin va alors s’ouvrir lentement, prendre la température de la pièce et pourra offrir tout son potentiel. Le carafage est, à mon sens, destiné à des vins jeunes ou à une dégustation rapide, lorsque des amis arrivent à l’improviste ou dans un restaurant. Cette méthode détruit les molécules du vin et permet de le détendre. Pourtant, rien ne vaut un vin préparé en douceur qui, peu à peu, retrouve tous ses arômes.
Qu’est-ce que vous a enseigné votre passage dans des établissements de renom tel que Guy Savoy, Le Plaza Athénée d’Alain Ducasse ou encore le Fouquet’s ?
Dans ces lieux dédiés au luxe et à l’excellence, on a un rapport avec des clients très exigeants et une cuisine excessivement pointue. L’erreur n’est donc pas permise et on se retrouve vite dans le rôle de l’équilibriste sur un fil. L’idée est d’amener le client vers le bon choix en ne lui imposant rien, ce qui n’est pas toujours facile. C’est un travail très théâtral qui demande également une grande diplomatie.
Si demain je vous dis que je reçois des amis à dîner. Au menu foie gras, feuilleté de daurade en croûte aux petits légumes et chaud/froid de pêches accompagnées d’une glace cannelle. Quels vins me conseilleriez-vous ?
Avec un plat principal constitué de poisson, il est toujours très risqué d’opter pour un vin rouge à moins que l’on ne se tourne vers un vieux vin de 15 ou 20 ans d’âge, dépouillé de tanin. Avec le foie gras, il convient d’associer un vin blanc assez rond et charnu. Un Bourgogne de type Meursault, un Saint Aubin ou encore un Cotes du Rhône comme le Château Neuf du Pape conviendraient bien. Je le répète, surtout pas de vin sucré ! Pour le dessert, un cidre de glace fait de pommes cueillies par – 23° ou une vendange tardive seraient parfaits !
Quelles sont les bouteilles qui, au palais, vous ont procuré le plus d’émotion ?
Il y a un vin époustouflant venu d’Espagne, le Vega Sicilia qui est un vin qui vous transporte et ne peut que vous émouvoir. Après, forcément, les grands Bordeaux comme le Petrus ou le château Lafite sont des vins d’exception qui, en bouche, sont tout simplement magiques. Ces vins doivent pourtant avoir 15 ou 20 ans de vieillissement minimum pour révéler tous leurs arômes. Il n’est pourtant pas nécessaire de viser si haut pour être ému par un vin. Personnellement, il m’arrive souvent d’être subjugué par des produits proposés par de petits vignerons, des artisans de la vigne qui transmettent leur amour dans les vins qu’ils proposent.
Que faut-il penser de cet effet de « mode » des vins bios ?
Il faut prendre conscience que devenir bio du jour au lendemain est très compliqué. Il ne faut pas aller dans l’excès ! C’est une réflexion de fond de la part du vigneron. Le bio doit être appréhendé comme une évolution pas comme une révolution ! Si la démarche du vigneron est de proposer du bio pour appâter la galerie et s’offrir là un produit marketing en vogue, il y a fort à parier que son vin sera mauvais. Le bio n’est qu’un terme porteur ! Les vrais vignerons sont déjà dans cette mouvance depuis de nombreuses années par le biais du travail minutieux qu’ils apportent à leurs vignobles et à l’amour qu’ils vouent à la terre. Ne sombrons pas dans le bio à tout prix !
À 5 euros ou à 500 euros, quel est le secret d’un bon vin ?
C’est l’adéquation entre le terroir, le climat, le travail de la vigne et une petite part de l’élevage. Le vigneron est un peu comme un grand peintre qui, à chaque récolte, réalise une peinture d’une année. Ensuite, il doit y ajouter un cadre pour mettre en valeur son tableau. Ce travail post-vendange va faire la différence entre un bon et un très bon vin, mais la base reste la terre dans laquelle la vigne puise ses racines. Après, concernant le prix, il faut savoir que, personnellement, je ne mets jamais plus de 40 euros dans un vin. Au-delà, cela devient du snobisme, de l’élitisme. Entre 20 et 30 euros, il existe une palette de vins merveilleux qui vous feront passer de divins moments.