Il était ingénieur chimiste, Régis a décidé de changer de vie pour devenir maraîcher bio. « Apprendre à désapprendre », oublier ce que l’on sait pour écouter la Nature. Au milieu de sa première saison à cultiver la terre, il nous raconte cette expérience séduisante à laquelle beaucoup pensent sans jamais oser franchir le pas ?
« Il y a des choses qui ne s’expliquent pas, même chimiquement,
la nature est bien plus compliquée que nos petits cerveaux. »
Pourquoi avoir décidé de changer de métier ?
J’étais au chômage depuis quelque temps, sans trouver de boulot. Auparavant, j’étais contractuel et je gérais des rivières. Mais au final, je me suis aperçu que ces programmes de gestion de rivière servent pour les institutionnels à se donner une bon image. Les agriculteurs, les riverains veulent une rivière qui coule droit et qui ne déborde pas. C’est de la gestion à court terme, pour la réélection de l’élu. Ça me soûlait un peu. Autant, dans ce cas, essayer de m’orienter vers un métier qui serait en accord avec mes principes tant sur la protection de l’environnement que sur la décroissance et la simplicité volontaire. Relocaliser la production et la consommation, revenir à des choses essentielles : le fameux consommer moins pour consommer mieux. J’ai fait un stage pour découvrir le métier, voir notamment si physiquement je pouvais tenir le coup car c’est quand même différent d’un job assis derrière un bureau.
Tu as suivi une formation spécifique avant de t’installer ?
J’ai choisi de ne pas suivre de formation théorique. J’ai déjà passé beaucoup de temps à l’école. J’avais pas trop envie d’y revenir. Je voulais être en contact avec la terre, pas un crayon à la main. Je suis donc allé travailler d’emblée aux côtés de différents maraîchers bio. L’inconvénient, c’est qu’aujourd’hui, si je veux m’installer en tant qu’exploitant agricole -je préfèrerais dire paysan- mais sans formation validante, je n’aurai pas le droit aux aides. Et je vais devoir vivre…
Vers quel type de maraîchage t’es-tu orienté ?
Un maraîchage qui respecte les rythmes de la vie. Beaucoup de maraîchers travaillent beaucoup, comme des fous, pour gagner de l’argent. Ce n’est pas le schéma que j’envisage. J’ai envie d’avoir du temps pour vivre, pour éduquer mes enfants, pour faire de la politique.
Comment as-tu débuté cette première année ?
Je suis en phase de test. Je loue à un Civam, (Centre d’Initiatives pour Valoriser l’Agriculture et le Milieu rural : regroupement d’agriculteurs qui ont mis en place une couveuse agricole, sorte de pépinière d’entreprise) la terre, une serre et tout le matériel dont j’ai besoin. Je n’ai donc pas eu à investir.
Quelles ont été les premières difficultés auxquelles tu t’es heurté ?
Pour arriver à faire pousser des légumes, il y a beaucoup d’aléas. Ce n’est pas un jardin potager. Il faut faire les choses au bon moment, détecter les maladies. Il faut anticiper beaucoup, surtout en bio. Le planning est serré. Ensuite, physiquement, on peut dire qu’il y a du travail. Je ne suis pas super mécanisé. J’ai un petit tracteur, mais je fais beaucoup de choses à la main. C’est physique. Je tiens le coup parce que les gestes ne sont pas répétitifs et que ça convient à mon corps pour l’instant. Après, c’est sûr qu’il ne faut pas souffrir de mal au dos au départ, ni craindre d’avoir de la corne sur les mains.
Quelles joies ce nouveau métier te procure-t-il ?
D’abord, nourrir ma famille avec mes légumes sains. Voir mon fils manger sa première purée avec mes patates et mes haricots. Puis, fournir l’Amap (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne ), regroupement de consommateurs qui se sont organisés entre eux et qui cherchent des producteurs. Ils ont passé avec moi un contrat de 6 mois. J’ai 21 ménages qui me prennent un panier à 10 euros par semaine. Ils ont payé au départ, et moi, chaque semaine, je les fournis. C’est un lien direct entre le producteur et le consommateur et ça permet au premier d’être pré-payé. C’est un soutien financier mais ça met la pression. Au mois de juin, je n’avais pas encore beaucoup de légumes, j’ai eu un peu peur. Enfin, je suis heureux de mettre les mains dans la terre. En été, je marche nu-pieds, c’est un vrai plaisir de la sentir, d’apprendre à bien la travailler.
Que produis-tu ?
Des tomates, des pommes de terre, des piments, des poivrons, des aubergines, des poireaux, des carottes, des choux, des blettes, des salades, des épinards, des melons et des haricots.
La production bio induit-elle plus de travail?
La grosse différence, c’est le désherbage. C’est plus facile de mettre un herbicide que d’enlever les mauvaises herbes à la main… Ensuite, les premières années, c’est un peu compliqué. La terre nous est inconnue, elle n’est pas stable. Elle est morte. Il n’y a plus de bactéries, de champignons, tous les éléments qui nourrissent les plantes. Dans le bio, on ne nourrit pas la plante, on nourrit le sol qui va nourrir la plante. Pour les producteurs traditionnels, la terre n’est qu’un support inerte. Nous, en la travaillant bien, on arrive à la faire revire. Au fil des années, elle fonctionnera de mieux en mieux, avec de moins en moins de maladie, et de moins en moins de traitements à passer.
Justement, comment remplaces-tu les produits chimiques ?
Aujourd’hui, je nourris ma terre en préventif avec du purin (extraits fermentés) de presles, de consoudes, d’orties, de fougères que je prépare moi même. Ça les renforce et ça aide le sol. Après, il y a l’environnement, les auxiliaires, petits insectes essentiels aux cultures, comme les coccinelles et qu’il faut faire revenir. Si notre parcelle est entourée de champs de maïs traditionnels, il n’y aura aucune bestioles. Il faudra donc planter des haies afin de faire revivre l’écosystème.
Produire bio, ça coûte cher ?
Le plus gros, c’est le travail. Ensuite, on n’achète pas de produits, donc, ça coûte moins cher. Pour ma part, j’ai un peu moins d’un hectare ce qui correspond à peu près à ce qu’un homme peut travailler, sans trop de mécanisation. Reste que notre mode de production induit plus de pertes que les fruits et légumes conventionnels, c’est obligé. Par exemple, moi, quand j’ai une attaque de pucerons sur une vingtaine de plants d’aubergines sur 200 en tout, j’attends plusieurs jours afin de laisser le temps aux auxiliaires de cultures (petites bébêtes gentilles types coccinelles, syrphes, chrysopes, aphidoletes) de se développer pour qu’un équilibre se trouve entre les pucerons et les auxiliaires. Si je traite tout de suite les pucerons, les auxiliaires ne se développeront pas puisqu’il n’y aura rien à manger pour eux. Conséquence, toute la saison je vais devoir traiter ! Donc pour en revenir à mes aubergines, ces vingt pieds que je vais laisser défendre par les auxiliaires produiront moins. Je les ai achetés, ils occupent de la place dans ma serre. Je vais perdre un peu d’argent. En outre, les rendements sont moins forts pour certaines variétés. Par exemple, les variétés anciennes de tomates (les bonnes avec un bon goût) ont un rendement quasi de moitié par rapport à la tomate hybride. Donc si on ne fait que des tomates pas très bonnes, on gagnera plus d’argent. Il n’empêche qu’au supermarché de la ville à côté, les tomates rondes sont aux mêmes prix que les miennes et la seule tomate originale qu’ils font est le cœur de bœuf qu’ils vendent plus cher que moi…
Pourquoi tes tomates sont-elles meilleures que celles trouvées en grande surface ?
Elles sont récoltées mûres (bien rouges pour les rouges et bien vertes-jaunes pour les vertes « Green zebra »). Ensuite elles ne sont pas stockées dans des chambres froides et transportées dans des camions frigo. Les conventionnelles sont en général récoltées tout juste orangées (pour les rouges) et elles finissent de mûrir en chambre froide. Elles mûrissent quand même mieux sur pied dans un sol sain que dans un camion non ?! Les miennes sont fraîchement récoltées du matin ou de la veille, ce qui me permet de vendre certaines variétés qui sont plus fragiles (transport, coups, pourrissement) mais qui ont souvent plus de goût. Par exemple en tomates je fais cinq variétés anciennes (green zebra, noire de Crimée, olivette roma, andine cornue, tomate d’Argelos) fragiles mais bonnes et une variété de tomates rondes plus « normale » qui elle se conserve beaucoup mieux mais dont le goût est déjà moins bon.
On peut gagner de l’argent en produisant bio ?
Mon but n’est pas de « gagner de l’argent » mais simplement d’en avoir assez pour vivre simplement et être heureux avec ma famille et mes amis. J’espère donc arriver à gagner autour d’un Smic dans deux ou trois ans et je pense pouvoir me satisfaire de cela. D’autres maraichers bio ayant des surfaces plus importantes et des objectifs différents doivent probablement pouvoir gagner de l’argent en mécanisant plus et en embauchant des ouvriers. La contrepartie c’est qu’ils devront trouver une clientèle non locale pour écouler leur production, perdant ainsi le lien direct avec le consommateur.
Quel regard porte le chimiste sur le paysan ?
L’ingénieur chimiste apprend à désapprendre. La science allait nous sauver, paraît-il. Aujourd’hui, je retrouve les joies de l’expérimentation. Il y a des choses qui ne s’expliquent pas, même chimiquement. La nature est bien plus compliquée que nos petits cerveaux. J’apprends à ne plus vouloir avoir un contrôle total sur elle. C’est ce qui est le plus dur aujourd’hui. Mais accepter de ne pas tout maîtriser, n’est-ce pas une belle école ?