Formidables sentinelles de notre environnement, les abeilles sont un baromètre naturel qui nous donne une idée précise de l’état de la nature. Même si certains restaurateurs surfant sur la communication produisent eux-mêmes leur miel sur les toits de la capitale, l’apiculture s’avère un art encore trop méconnu qui combine des méthodes ancestrales (l’enfumage) et des techniques ultra modernes comme l’insémination artificielle. C’est au cœur des Alpes de Haute-Provence, à la sortie du petit village de Puimoisson, que nous accueillent Jean-Phillipe Mandard et son équipe pour un après-midi de récolte du miel de lavande.
« Il convient de protéger au mieux nos abeilles afin d’éviter de vérifier si la prophétie d’Einstein est vraie ou non ! »
Comment es-tu devenu apiculteur ?
C’est un peu dû aux hasards de la vie. Au départ, j’ai fait une école d’agriculture dans le but de devenir berger. Le conducteur du bus qui m’emmenait à l’école possédait quelques ruches et, comme cela m’intéressait, il m’a invité à découvrir comment se déroulait la récolte du miel. Comme cela m’a beaucoup plu et que je tannais mes parents avec les abeilles, ces derniers m’ont offert quatre ruches pour mon anniversaire. Même si je suis devenu berger, l’activité apicole est toujours restée présente dans un coin de ma tête. Là encore, le hasard a mis les abeilles sur ma route ! Là ou je faisais paître mes moutons, mon premier voisin était un apiculteur. De fil en aiguille, nous avons fait connaissance et, comme je lui ai fait part de mon attirance pour l’apiculture, il m’a enseigné les différentes techniques indispensables à la fabrication du miel. Ma situation de berger se dégradant d’année en année en raison du prix de vente toujours plus bas des agneaux, j’ai finalement décidé de changer mon fusil d’épaule en me tournant vers ma première passion : l’apiculture.
Quelles sont les règles à respecter si l’on souhaite devenir apiculteur ?
Tout d’abord, on achète les ruches et tout le matériel nécessaire dans un magasin spécialisé et on met la main à la pâte. Rien de tel pour faire ses gammes ! Il est également primordial, à mon sens, de faire ses classes chez un apiculteur qui vous apprendra toutes les ficelles du métier. Ensuite, les automatismes viennent rapidement au contact des abeilles.
Pour placer les ruches, faut-il être propriétaire d’un emplacement spécifique ?
Non, pas vraiment ! On peut bien entendu posséder un terrain et y placer ses ruches si la situation géographique s’y prête. Souvent, ce sont les agriculteurs propriétaires d’un morceau de bois ou encore d’un champ en friche qui nous proposent leur parcelle pour y implanter nos ruches. Il existe une véritable interaction entre agriculteurs et apiculteurs, chacun étant conscient de l’importance de l’autre ! On peut également profiter des bois de l’ONF qui appartiennent à l’État afin d’y placer ses ruches.
Tu possèdes pas moins de 650 ruches. De quelle manière sont-elles réparties ?
Mes ruches sont réparties en sept ruchers différents, chaque rucher contenant entre 80 et 90 ruches. Chaque ruche est disposée en fonction du type de miel que l’on souhaite obtenir, romarin, lavande, châtaigner, bruyère… Les premières récoltes se font au mois d’avril et les dernières en octobre. On commence par la bruyère blanche et le romarin pour finir par la bruyère rose et le miel d’arbousier.
Combien compte-t-on d’abeilles en moyenne par ruche ?
On dénombre environ 20000 abeilles par ruche en hiver et 60000 en saison active, c’est-à dire au printemps.
La vie de l’abeille est très structurée, de sa naissance à sa mort je crois !
Tout a fait ! La vie de l’abeille se compose de différentes périodes. Cette dernière va d’ailleurs réaliser plusieurs métiers durant sa courte vie (1 mois en saison active et 3 mois en hiver), un patrimoine génétique programmé dès sa naissance. L’abeille commence par nettoyer la ruche et finit par butiner. Tout est planifié dès le départ pour le bon fonctionnement de la ruche.
Quelle est la production de miel par ruche ?
C’est très variable, mais disons que cela peut osciller entre 10 et 40 kilos. Tout dépend vraiment des conditions climatiques. Il suffit d’un coup de vent ou d’une averse au mauvais moment pour faire chuter la production de plus de la moitié. C’est un paramètre que l’on ne maîtrise pas et qui fait aussi le charme de ce métier. On ne peut jamais savoir à l’avance ce que sera réellement la récolte.
Peux-tu nous éclairer sur l’essaimage qui est un terme souvent employé en apiculture !
L’essaimage a lieu au printemps. Il s’agit du moment où la ruche est pleine et où la vieille reine s’en va avec la moitié de la colonie. À ce moment-là, les abeilles qui restent dans la ruche vont « fabriquer » une nouvelle reine, et le bon fonctionnement de la ruche repart alors pour un cycle.
Ce sont les abeilles qui définissent celle qui va devenir reine ?
Oui, tout à fait ! Les abeilles choisissent un œuf de moins de trois jours et elles le nourrissent exclusivement de gelée royale, ce qui déterminera le fait que l’abeille qui va naître sera reine. Une ouvrière, elle, est nourrie à la gelée royale et au pollen là où la reine est exclusivement nourrie de gelée royale ! C’est cette différence d’alimentation qui va déterminer le rôle des abeilles au sein de la ruche. Une reine met 16 jours pour éclore alors que les ouvrières mettent 21 jours.
On parle d’ailleurs beaucoup des vertus de la gelée royale. Quelles sont-elles réellement ?
Difficile à dire ! Personnellement, je connais pas mal de personnes qui en font une cure au printemps et en automne. Cela aurait pour vertu de renforcer les défenses immunitaires et donc, de lutter contre les virus chez les personnes un peu fragiles.
Quelles sont les différentes étapes entre la collecte du nectar sur les fleurs par les abeilles et la fabrication du miel dans la ruche ?
Cette étape dure environ trois semaines pour le miel de lavande, du début de la floraison de la lavande jusqu’à ce qu’elle fane. Le processus de fabrication du miel est assez simple. Comme tu le disais, les abeilles recueillent le nectar sur les fleurs et rentrent dans la ruche pour l’y déposer. Ce nectar est constitué de 80% d’humidité au départ. La nuit, les abeilles vont ventiler avec leurs ailes et ainsi faire peu à peu disparaître l’humidité du nectar dans ce milieu clos. Une fois que cette ventilation a eu lieu, on dit que le miel est mur et prêt à être récolté. Il est alors passé de 80% d’humidité à 16%.
Dans cette ruche, on ne trouve d’ailleurs pas que du miel !
Effectivement, outre le miel, les abeilles fabriquent également de la cire (que l’on emploie dans les produits ménagers ou encore les produits cosmétiques) et la propolis qui est un mastic que les abeilles butinent sur les bourgeons des arbres. Cela leur sert à colmater les fissures dans le bois de la ruche ou encore, si une souris ou un lézard entre dans la ruche, à le momifier avec cette substance après l’avoir tué en le piquant.
Le miel varie énormément en texture et en couleur. D’où provient cette différence ?
Il faut savoir que tous les miels sont liquides à la récolte. Ensuite, ils durcissent tous, sauf les miels d’acacia et de sapin qui, eux, restent liquides très longtemps. Les miels, mêmes compacts, peuvent être rendus liquides en les réchauffant un peu au soleil, au bain-marie, ou encore sur un radiateur en hiver. Tous les miels finissent par figer à plus ou moins longue échéance. Concernant la couleur, tout est fonction de la plante que les abeilles butinent. Un miel d’acacia est clair alors qu’un miel de sapin est très foncé par exemple, tout dépend de l’origine florale.
Ton miel est certifié « label rouge ». Il existe donc une classification pour le miel comme pour, par exemple, la viande ?
Oui, mais seuls deux miels peuvent être labélisés. Le miel de lavande et le miel de toutes fleurs de Provence. Pour obtenir ce label, il faut bien sûr remplir un cahier des charges assez strict et avoir au moins un contrôle annuel afin de vérifier la qualité du miel par les services chargés de délivrer ce label.
On parle aujourd’hui beaucoup d’une disparition progressive des abeilles. Est-ce un fait que tu constates et cela peut-il être dû à une utilisation massive de pesticides sur les récoltes ?
Personnellement, je ne constate pas vraiment ce phénomène. Nous protégeons nos ruches contre une espèce d’acariens qui peut les détruire/ Mais pour le reste, nous bénéficions d’une région assez protégée avec une culture agricole traditionnelle et un environnement idéal pour les abeilles. Je pense que, globalement, la situation est en train de s’améliorer. À mon sens, les agriculteurs utilisent moins de pesticides qu’à une époque. Ils ont bien compris que la survie des abeilles était synonyme de pollinisation des cultures, donc bénéfique pour leurs récoltes.
On note aujourd’hui que de plus en plus d’établissements en région parisienne fabriquent leur propre miel. Que penses-tu de ce phénomène ?
C’est un phénomène de mode et un bon plan de communication pour certains restaurateurs que de produire leur propre miel sur le toit de leur restaurant parisien, en jouant la carte 100% nature. Mais bon, je ne vais pas leur jeter la pierre, c’est vrai qu’il est plaisant de produire son propre miel tout comme il est plaisant d’aller chercher ses légumes dans son jardin. Après, pour ce qui est de savoir si ce miel produit à Paris est plus pollué que celui issu de nos régions, je suppose que des analyses sont faites, mais bon…
Une phrase que l’on prête à Albert Einstein dit : « Lorsque l’abeille disparaîtra, il ne restera que quatre ans à vivre à l’homme. » Tu partages ce point de vue ?
L’abeille est déterminante pour la pollinisation et elle est à mon sens un excellent baromètre de notre environnement. Il convient de protéger au mieux nos abeilles afin d’éviter de vérifier si la prophétie d’Einstein est vraie ou non !