Enseignement

Solange, prof principale en ZEP

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Entretien Professeur d’EPS depuis 10 ans dans un établissement de Seine-Saint-Denis classé en ZEP (zone d’éducation prioritaire), Solange, originaire de Marseille, met en lumière les dysfonctionnements d’un système éducatif face à des élèves souvent en proie à de lourdes difficultés scolaires. Alors qu’enseignants et collégiens se sentent incompris, le gouvernement tente d’apporter des réponses sporadiques sans s’attaquer aux racines d’un mal qui laissent sur le bord de la route de plus en plus d’enfants pour qui école rime aujourd’hui avec contrainte.


« Nous sommes passés dans notre établissement de 45 % à 70 % de réussite au brevet des collèges en trois ans. Ce ne sont pas les élèves qui se sont améliorés, mais l’Académie qui a baissé la note pour l’obtention du brevet en fonction du département. »

Quel regard les élèves de ton établissement portent-ils sur l’enseignement ?

Ils sont obligés d’aller à l’école jusqu’à 16 ans et c’est bien souvent la première signification du système scolaire dans leurs esprits ! On note que les élèves sont extrêmement focalisés sur l’argent et le moyen le plus simple d’en gagner. Il arrive d’ailleurs fréquemment que certains d’entre eux nous demandent notre salaire. Lorsque nous leur annonçons, ils rient en nous disant que cela est bien peu ! Malgré leur jeune âge, les collégiens sont donc très au fait de la valeur de l’argent et de ce qu’il permet d’obtenir dans notre société. Autour d’eux, pas mal de grands frères roulent dans de grosses voitures et c’est plus vers ce « symbole » de réussite sociale qu’ils tendent que vers de longues études. Les élèves perçoivent souvent l’éducation scolaire au travers son caractère obligatoire synonyme de frein à leur liberté plus qu’un chemin vers une activité professionnelle susceptible de leur correspondre. Apprendre ou pas n’est malheureusement pas trop leur fond de questionnement.

Dois-tu faire face à de nombreux élèves qui, en 6e, ne savent pas encore lire et écrire correctement ?

Nos classes, parce qu’elles sont classées ZEP, comptent 23 à 24 élèves. En moyenne, disons qu’en 6e, plus de cinq élèves par classe ont de grandes difficultés à lire et écrire. Nous avons des élèves non francophones qui arrivent de pays étrangers et dont certains parents ne maîtrisent pas le français. Il est bien sûr, dans ce cas, bien difficile pour eux d’être aidé par la structure familiale pour lutter contre leurs problèmes scolaires. Souvent, des collégiens ont déjà redoublé une fois entre le CP et le cm2 et, comme on ne fait pas redoubler plus d’une fois en primaire, les enfants arrivent au collège avec de grosses lacunes. En collège, c’est la même chose, on ne fait pas redoubler plus d’une fois ! C’est ce que l’on appelle chez nous un passage au bénéfice de l’âge. Ce n’est pas une loi formelle mais disons d’usage qui, jusqu’en 3e, ne tient hélas pas compte de l’échec scolaire de l’élève, mais uniquement de son âge. À la fin d’un troisième trimestre, le principal va inscrire sur le bulletin scolaire : « passage en 5e au bénéfice de l’âge ». Si l’élève est satisfait, cela ne résout en rien les graves lacunes qu’il va accumuler d’une année sur l’autre. Nous essayons de faire beaucoup de soutien en français et en maths en classe de 6e, mais comme l’inspection académique nous accorde de moins en moins d’heures d’années en années, il est de plus en plus compliqué de venir en aide à un élève en situation d’échec scolaire.

Lorsqu’un élève décroche, les enseignants ont donc très peu de moyens pour le remettre sur les bons rails ?

Effectivement ! On peut, de temps en temps, faire appel à des classes relais pour que l’élève puisse, pendant un laps temps donné, rejoindre une classe « intermédiaire » supposer le remettre à niveau. Cette année, par exemple, un seul élève est parti trois mois en classe relais. Il a été un peu pris en charge dans un autre établissement mais, en trois mois, on ne peut hélas pas faire de miracle. Pour les 3e, les élèves doivent s’inscrire d’eux-mêmes pour bénéficier d’un soutien. Seuls de rares volontaires le font, les autres préfèrent hélas sortir avec leurs copains ou jouer aux jeux vidéos plutôt que de rester en classe quelques heures supplémentaires. Certains anciens élèves font également du soutien personnalisé sur la base du volontariat gratuit. C’est une bonne chose, mais il nous faudrait plus de moyens pour arriver à des résultats vraiment satisfaisants.

Les enseignants font donc passer dans la classe supérieure des élèves qui n’ont pas le niveau en attendant qu’ils puissent être dirigés vers une filière professionnelle. Est-ce vraiment la meilleure méthode ?

On préfère avoir des classes hétérogènes avec des élèves qui tirent vers le haut et certains qui sont effectivement à la traîne. Le but est également d’arriver ainsi jusqu’à la 3e où l’élève qui le souhaite pourra choisir une orientation professionnelle qui lui convient. Faire des classes de niveaux serait encore plus catastrophique, car cela mettrait définitivement sur la touche ceux qui sont déjà en situation d’échec. On s’adapte aux élèves que l’on a et on tente de pousser au maximum ceux que l’on sent capables d’aller plus loin au niveau des études.

Le 1er mars Nicolas Sarkozy a présenté à Bobigny en Seine-Saint-Denis une série de mesures destinées à favoriser la formation – notamment par l’alternance – pour améliorer l’emploi des jeunes. Penses-tu que l’alternance école/entreprise puisse être une solution vers l’emploi pour des élèves comme les tiens ?

L’alternance peut être un bon moyen d’immerger les élèves dans le monde du travail tout en suivant un apprentissage de culture générale. À 16 ans, il est pourtant rare qu’un élève sache vraiment ce qu’il souhaite faire. Nous avons par exemple des élèves qui partent en bac pro pendant un an avant de se rendre compte que cela ne leur plaît pas. L’alternance permet surtout aux élèves de prendre conscience du travail à fournir pour obtenir un métier, un salaire.

L’échec scolaire est-il l’échec de notre société plus que celui de l’éducation nationale ?

Actuellement, je dirais que les deux sont en cause. Les parents d’élèves ont souvent du mal à s’intégrer à la société. Ils lisent à peine et ne savent pas écrire le Français. Comment pouvoir aider son enfant dans ces conditions ? La société laisse sur le bord de la route une partie de ses citoyens et, en cela, elle est en cause ! Au niveau de l’éducation nationale, le programme est très chargé et complexe. Si les parents ne sont pas derrière leurs enfants pour les aider, il est vraiment très compliqué pour un collégien de tout assimiler sans se reposer sur l’aide d’un adulte. Je pense également que les professeurs ne sont pas assez bien formés et qu’ils manquent d’heures et de moyens pour aider les élèves en difficulté. Pour ce qui est de la formation proprement dite, à part en EPS, les enseignants ne se retrouvent en face d’élèves que lorsqu’ils ont réussi leur examen de fin d’études. Aimer une matière et aimer l’enseigner sont deux choses bien distinctes, surtout lorsque l’on se retrouve en ZEP. Il faudrait que les professeurs soient formés pour enseigner à des élèves dès leur stage sinon le passage à la réalité peut être brutal.

Comme l’explique le texte du Journal officiel, en cas d’absences répétées d’un élève, le directeur de l’organisme débiteur de prestations familiales est tenu de suspendre, sur demande de l’inspecteur d’académie, le versement de la part des allocations familiales dues au titre de l’enfant absentéiste. Cette mesure est-elle efficace sur le terrain ?

Nous devons faire face à énormément d’absentéisme. Les élèves qui sont en échec scolaire choisissent leurs matières et modulent ainsi leurs emplois du temps en fonction de l’affinité qu’ils vont avoir avec un prof ou avec une matière enseignée. Certains autres ne viennent pas en cours le matin car ils se couchent trop tard et ne se réveillent simplement pas à l’heure pour aller à l’école. Comme les parents travaillent la nuit ou ne s’occupent pas plus que ça de l’école de leurs enfants, l’élève, laissé à lui-même, gère ses soirées comme il l’entend. On met du temps avant de faire une déclaration d’absentéisme. Les parents sont alors convoqués et, suite à cela, on leur fait comprendre qu’ils vont perdre leurs allocations. Les élèves se font remonter les bretelles et reviennent un temps avant de sécher à nouveau les cours. D’autres élèves, parce qu’ils se sentent en total échec scolaire et sont complètement perdus, refusent tout simplement d’aller en cours. J’ai moi-même une classe de 3e avec 23 élèves et, le vendredi matin, je me retrouve généralement avec de 12 à 15 élèves. Les premières heures du matin sont les pires ! Beaucoup d’élèves n’arrivent qu’après dix heures et font remplir un coupon d’absence en disant que le réveil n’a pas sonné ou que leurs parents ont oublié de les réveiller. Depuis deux ou trois ans, il y a une nouvelle note de vie scolaire qui répertorie, absence, assiduité… C’est à gérer en interne par les établissements. Même si cela vient s’ajouter au bulletin scolaire, on ne peut pas dire que les élèves en tiennent compte. Les enfants nous racontent qu’ils regardent le sport jusqu’à 1 heure du matin à douze ou treize ans. Dans ces conditions comment espérer qu’ils se réveillent pour venir à l’école ? Certains ont aussi ordinateur et télévision dans la chambre. Les parents ne contrôlent plus rien et, entre les programmes télé et le tchat sur Internet, bien difficile de se coucher ! Là, on peut parler de lacune au niveau parental.

Le ministère de l’éducation nationale te semble t-il trop éloigné des réalités qui sont celles de l’enseignement dans les banlieues difficiles ?

Oui, énormément ! Les représentants de l’État se déplacent quand ils le souhaitent et choisissent toujours leurs établissements. Les principaux des collèges ont également beaucoup de pression de la part de l’inspection académique. Par exemple, un établissement avec trop d’incidents, d’échec scolaire est forcément mal vu. Résultat, les principaux ne font pas remonter l’information afin de ne pas voir leurs carrières mises entre parenthèses. On va maintenant attribuer des primes au mérite, mais au mérite de quoi ? On ne sait pas trop ! Avoir un établissement sans problème dans un secteur difficile est une chose impossible. Comme elle ne traite pas le fond du problème, l’éducation nationale s’arrange en gonflant les chiffres. Nous sommes par exemple passés dans notre établissement de 45 % à 70 % de réussite au brevet des collèges en trois ans. Ce ne sont pas les élèves qui se sont améliorés, mais l’académie qui a baissé la note pour l’obtention du brevet en fonction du département. La moyenne pour obtenir le brevet est aujourd’hui dans le 93 de 8,5 sur 20. Après, on peut se féliciter de ces chiffres mais, au final, ils sont juste de la poudre aux yeux.

Les élèves te parlent-ils de chômage, de précarité d’emploi ?

Au collège, ils ne s’en rendent pas compte. Le chômage ne signifie pas grand-chose pour eux. Les élèves pensent toujours pouvoir réussir à trouver des petits boulots. Ils ont souvent un de leurs parents au chômage et cela ne leur fait pas peur. Gagner de l’argent facilement n’est pas un problème. Guetter, dealer, revendre du matériel volé… Ils comprennent vite qu’ils peuvent se faire des sous facilement en suivant l’exemple de certains grands-frères. Difficile alors de les motiver pour suivre des études !

Es-tu souvent confrontée à des violences entre élèves ?

Continuellement. La violence verbale est le mode d’expression de tous ces enfants, les garçons comme les filles. Ils ne savent pas s’interpeller sans se « traiter ». Après, il y a de la violence physique qui débute sur le ton de la rigolade afin de montrer sa supériorité. Ensuite, malheureusement, cela se transforme bien souvent en bagarre et cela au moins une fois par jour. La plupart des exclusions temporaires sont d’ailleurs dues à ces violences. Chaque élève tente de s’imposer comme le plus fort, le plus respectable au sein de l’école comme au sein de la cité.

Le fait qu’un l’établissement soit situé entre deux cités est-il un facteur aggravant de la violence ?

Lorsque l’établissement se trouve entre deux cités, il y a une sorte de guerre, de suprématie qui s’instaure entre les clans et alors, au collègue, c’est le prolongement de cette guerre qui se poursuit dans la cour de récréation ou devant la grille de l’établissement.

Les collégiens parlent-ils de sexe ?

En 6e, les élèves sont très pudiques. Il ne faut surtout pas montrer que tu es avec une copine car, soit tu vas te faire traquer par tes copains, soit tu vas te la faire piquer par un autre. En 6e, ce sont encore des bébés, mais à partir de la 5e, on entend ce qui peut arriver à l’extérieur et cela fait peur. Les garçons parlent par catégories de filles. Si elles sortent une fois avec un garçon où s’habillent de manière un peu tape à l’œil, elles deviennent dans leurs esprits immédiatement des filles faciles.

Les élèves s’en prennent-ils parfois à l’enseignant ?

Verbalement oui, cela dérape très vite ! Après les bagarres, ce sont les insultes envers le prof qui sont le premier motif d’exclusion. Concernant les attaques physiques, nous sommes encore protégés !

Comment expliquer qu’aujourd’hui, les élèves ne respectent plus l’autorité des enseignants ?

Auparavant, il était rare qu’un élève réponde mal à un enseignant. Aujourd’hui on voit que le rapport à l’adulte a changé et que le respect n’existe plus. Les élèves nous considèrent comme un copain de récré d’où les débordements et ces rapports de force perpétuels. Tout ce qu’on leur dit est sujet à la négociation. Est-ce un phénomène de société ? Les collégiens se comportent de la même manière avec le professeur qu’ils le font avec leurs parents en tentant d’avoir perpétuellement le dernier mot. D’ailleurs, lorsque l’on reçoit les parents, les mamans qui élèvent seules leurs enfants nous disent qu’elles n’y arrivent plus et nous demandent bien souvent de l’aide. Ce sont des femmes perdues qui ne parviennent plus à gérer un enfant qui leur échappe totalement au niveau de l’autorité.

Les mesures disciplinaires n’ont plus de prise sur ces élèves ?

Malheureusement, cela est entré dans leurs habitudes. Il y a beaucoup d’exclusions avec des devoirs à la maison. Les élèves doivent fournir un travail ce qui évite de faire rimer exclusion avec vacances. Il faut pourtant savoir que la plupart d’entre eux sont fiers d’avoir été exclus et viennent parader devant l’établissement. Ils se défient mutuellement vis-à-vis des heures de colles, des renvois… Comme ils le disent, il vaut mieux être le caïd que le bolosse (élève qui travaille bien et est sérieux) au sein de l’établissement. Faire son travail, avoir de bonnes notes n’est pas bien vu ! Il faut être un méchant, un bad boy pour être respecté dans ces établissements sensibles, d’où la difficulté d’enseigner.

Selon l’Insee, la mise en place des zones d’éducations prioritaires n’a eu aucun effet significatif sur la réussite des élèves. Quel est ton point de vue ?

Être classé ZEP permet d’avoir certains moyens avec un maximum de 24 élèves par classe. Nous bénéficions également d’heures supplémentaires pour ce qui est du soutien, même si elles diminuent d’années en années. Nos moyens financiers ne sont hélas pas suffisants ! Il faudrait améliorer la formation des enseignants, des surveillants, des principaux et obtenir plus de moyens matériels et financiers afin d’espérer aider concrètement les élèves en difficulté. Je pense que des systèmes parallèles au collège unique permettraient d’offrir des solutions adéquates à ces collégiens qui ne s’en sortent pas dans le système classique proposé par l’éducation nationale.


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