Autodidacte, passionné par le dessin, initié à la cuisine par la lecture et des vidéos en ligne, rien ne prédestinait Elis Bond à s’inviter à la table des chefs en devenir les plus en vue de cette année 2020. Et pourtant… Avec sa cuisine aux saveurs africaines et caribéennes, l’étoile du nord-ouest parisien a conquis la capitale, invitant ses hôtes au plus délicieux des voyages gustatifs, un voyage ou manioc, patates douces, et frites d’igname se conjuguent dans des plats où le beau et le bon s’unissent dans une même bouchée. Malgré ses débuts en fanfare, Elis Bond tremble pour son restaurant Mi Kwabo, ouvert un mois seulement avant la première crise de la Covid-19 et dont la deuxième lame sera peut-être hélas celle de trop. Rien que pour vos papilles, rendez-vous avec monsieur Bond, Elis Bond !
« Quand j’expliquais aux banques que je voulais ouvrir un restaurant gastronomique de cuisine africaine, on me riait au nez et l’on me proposait de choisir un Kebab ! »
Vous êtes autodidacte. Je crois qu’avant la cuisine, vous aviez une affinité pour l’art, dessinant des tableaux. Comment êtes-vous passé de l’art pictural à la cuisine ?
C’est le fruit de mon vécu. Je suis arrivé en France dans les années 2000. Mon père était resté en Guyane et j’étais livré à moi-même, séparé de mes parents. Les débuts ont donc été très compliqués. J’avais de très grosses lacunes en lecture comme en écriture en classe de troisième. La seule chose que je savais faire, c’était dessiner et c’est donc ce sur quoi je me suis polarisé pour, progressivement, l’adapter à la cuisine
Vous avez effectivement gardé un goût pour le dessin puisque vous concevez vos plats sur papier ayant déjà en tête les goûts, les saveurs. C’est un moyen de concrétiser visuellement ce qui naît d’abord dans votre esprit ?
C’est exactement ça. Je dessine en amont pour créer l’univers du plat que je souhaite mettre en avant. Je possède un panel de goûts en tête lorsque je me mets à dessiner et c’est de cette manière que je parviens à élaborer mon plat. À la fin, j’arrive au rendu que j’avais à l’esprit mais en dix fois mieux. C’est assez magique !
Le visuel, c’est la première chose que l’on voit d’un plat avant même d’en connaître sa saveur. Le « beau » est-il un complément essentiel du « bon » à vos yeux ?
Je pense que oui. La première interaction que l’on a avec le plat, c’est le visuel et il faut donc, afin que le client entre dans l’univers gustatif qu’on souhaite lui proposer, que la présentation soit belle, appétissante. C’est tout d’abord le beau qui nous touche avant que les senteurs du plat ne viennent emplir nos narines. Enfin, et c’est la dernière étape, il y a le goût en bouche. Pour moi, le tout doit s’unifier pour devenir une véritable expérience gustative.
Comme vous l’évoquiez, vous avez connu en arrivant en France des difficultés scolaires. Vous êtes originaire d’Osny dans la banlieue nord-ouest de Paris. La cuisine, c’était le meilleur moyen de vous construire un avenir ?
Je me suis effectivement servi de mes lacunes pour me construire et les transformer en quelque chose de positif. Bien sûr, j’aurais préféré être plus à l’aise en écriture et en lecture dès le départ mais si cela avait été le cas, aurais-je choisi la cuisine comme parcours professionnel, pas sûr du tout !
Vous avez commencé par un premier projet de restaurant antillais à Paris. Une expérience qui n’a duré qu’un an et, bien que vous ayez été escroqué par le propriétaire des lieux, vous persévérez ?!
C’est ça ! Lorsqu’il y a un échec quelque part, c’est qu’il y a au bout une victoire. C’est de cette façon que je construis ma vie. Effectivement cette première expérience avec la restauration s’est mal terminée mais ça m’a amené à réfléchir aux raisons qui avaient conduit à cela. Un échec ne doit pas me permettre de faire dix pas en avant mais 15 ou 20. Cela doit être l’occasion de savoir dans quelle direction je souhaite aller.
Après ce premier essai non concluant, vous vous faites un nom en cuisinant pour des particuliers. Est-ce là que vous avez trouvé votre voie culinaire, mettant à profit vos lectures ou les vidéos de cuisine qui vous inspiraient ?
Ce qui était intéressant en travaillant à domicile comme chef privé, c’est que je pouvais tester mes plats et savoir ce qui plaisait ou non. La pression était moindre que dans un restaurant et ces sept années se sont avérées un merveilleux moyen pour moi de pousser toujours plus loin ma créativité culinaire. Pendant cette période, je consultais effectivement beaucoup de livres de cuisine ou des recettes de chefs en vidéo sur la Toile pour y puiser l’inspiration et les adapter à mon propre style. Cela a été une merveilleuse école d’apprentissage.
Et pour passer de la théorie à la pratique, vous alliez sur les marchés chercher des produits afin de faire des essais chez vous ?
Je partais souvent dans les magasins ou sur les marchés. J’aime bien être en contact avec les produits, voir leurs couleurs, comprendre leurs textures. Faute de moyens, j’achetais souvent des denrées peu chères et je tentais de les cuisiner et de les cuisiner encore jusqu’à les maîtriser totalement. Quand on travaille 200 fois le même produit, on se doit forcément d’être inventif. Ma cuisine étant enracinée dans les 54 pays d’Afrique, j’aime aller chercher des fruits ou des légumes que je ne connais pas du tout pour les faire découvrir. Les produits sont pour moi une source d’inspiration infinie.
En 2019 vous recevez une dotation du Gault & Millau. Une belle surprise qui vous a convaincu je suppose dans l’idée d’ouvrir votre restaurant, Mi Kwabo ?
Cela n’a fait que confirmé ce que j’avais déjà en tête depuis très longtemps. Lorsque j’ai été chef pour des particuliers, il ne se passait pas un seul jour sans que je ne me dise : « Demain, j’ouvrirai mon restaurant ! ». Pour l’histoire avec le Gault & Millau, je me suis retrouvé un soir à préparer un dîner pour des convives avec dix plats à sortir en un temps record. Je devais réaliser cet exploit seul et dans une toute petite cuisine. À la fin du dîner Monsieur de Chérisey, l’ancien propriétaire du Gault & Millau, présent à table, est venu me voir et m’a félicité pour mon travail. Il avait entendu dire que je souhaitais ouvrir mon restaurant et m’a expliqué qu’il cherchait 14 jeunes talents. Là je me suis dit : « Ah oui, ça devient concret ! ». Indirectement sa remarque validait tout le travail que j’avais fourni pendant ces sept ans.
On voit aujourd’hui que des jeunes chefs éclosent par le biais d’émissions telles que Top Chef par exemple. Ce n’est pas une expérience susceptible de vous tenter, cet accélérateur de notoriété qu’utilise des chefs prometteurs en devenir ?
Cela m’a toujours tenté de participer à ce genre d’émissions mais entre le vouloir et le pouvoir, il y a un pas. Le truc c’est que souvent, au casting, les participants ont pour la plupart travaillé dans des maisons étoilées et il n’est à mon avis pas simple de se faire une place parmi les 14 sélectionnés quand, comme moi, vous êtes autodidacte et sans réelle référence. En plus, à part moi-même, je n’ai pas de mentor ! Bien sûr, j’aimerais prouver aux chefs de ces émissions comme aux téléspectateurs que l’on peut aussi se construire seul et trouver son propre style de cuisine mais je crois que j’ai jusqu’alors manqué de confiance pour me lancer un tel défi.
Mi Kwabo, situé dans le IXe arrondissement de Paris, a ouvert en début d’année 2020 et déjà, malgré la fermeture due au confinement, vous vous êtes fait un nom avec une cuisine inventive, magnifique voyage entre Afrique et Caraïbes. Si vous deviez définir votre style culinaire en quelques mots ?
Ma cuisine est instinctive, métissée entre l’Afrique, les territoires d’Outre-Mer et la France où je suis venu à l’âge de six ans et, je l’espère, créative.
Manioc, patates douces, Yassa revisité, frites d’igname, poissons fumés, graines de baobab… Où faites-vous votre marché pour trouver toutes ces denrées aux saveurs africaines et les produits sont-ils votre première source d’inspiration ?
Le produit, c’est la star et moi, je ne suis que celui qui va le sublimer, le peaufiner, tel un orfèvre avec un diamant. Mes achats, je les fais à Château Rouge dans le XVIIIe arrondissement de Paris où j’ai sélectionné trois boutiques, des boutiques avec lesquelles j’ai tissé des liens forts avec les propriétaires des lieux qui sont comme moi des passionnés et suivent la traçabilité du produit. Ça me permet ensuite de les proposer au restaurant et de les présenter aux clients en disant : « Ce manioc vient du Cameroun, cette épice de telle région… » Une fois que la crise de la Covid sera derrière nous, nous avons décidé ma femme et moi de voyager chaque année dans trois pays afin d’aller nous-même sélectionner nos produits à la source.
Mi Kwabo signifie « Soyez les bienvenus » en dialecte béninois dont est originaire votre épouse Vanessa avec qui vous travaillez. La cuisine, c’est cela pour vous, un sens du partage, un échange entre vous et celles et ceux qui viennent prendre place à votre table ?
C’est tout à fait ça. Comme on le dit en béninois, « Mi Kwabo » ce qui veut dire « Soyez les bienvenus » pour inciter les hôtes à prendre place à la table et partager la nourriture tous ensemble. C’est cet esprit que nous avons souhaité transmettre au restaurant. On veut que les gens puissent vivre une vraie expérience, ressentir une émotion. C’est pour cette raison que j’ai souhaité une cuisine ouverte afin que les clients puissent me voir travailler, préparer leurs plats, sentir les effluves de ce qui mijote, le braisage de la viande… Tout cela participe au fait de créer une véritable identité au lieu. J’envisage les repas chez moi comme un voyage, un voyage gustatif visuel et créatif où l’émotion est au centre d’un moment que je souhaite unique.
Il n’y a que 14 places dans votre restaurant. C’était je suppose un parti-pris pour pouvoir offrir à vos hôtes une cuisine d’excellence ?
Je m’étais toujours dit que si j’avais un jour la chance d’ouvrir mon propre restaurant, il ne fallait pas qu’il dépasse une capacité de vingt couverts. J’ai, dès le départ, privilégié une proximité avec les convives. C’est aussi un moyen d’entrer dans une forme de pédagogie puisqu’à la fin de service, je sors de la cuisine pour apporter aux clients un plateau qui contient tous les produits bruts qu’ils ont pu manger lors de leur repas. Là encore c’est une belle invitation au voyage puisque je leur explique d’où vient le produit, la manière dont il a été cultivé et les clients peuvent mieux comprendre mon plat et les transformations nécessaires entre le produit tel que je l’achète et ce qu’ils vont pouvoir déguster dans leurs assiettes. Mes plats sont des ponts entre des continents, des cultures. Je propose par exemple en entrée un beurre avec du poivre du Penja et des crevettes séchées. Dès la première bouchée, on est déjà dans le voyage, le palais empli de saveurs que l’on ne connaissait pas.
Vous proposez un menu en 3 temps à 30 euros, en 4 temps à 40 euros et en 5 temps à 50 euros. Là encore votre souhait était de proposer un voyage culinaire à un prix tout à fait abordable ?
C’était un parti pris. Je ne suis pas le fils de… et n’ai aucune réelle référence. Je n’allais donc pas arriver avec, dès le départ, un menu à 100 euros car les gens n’auraient pas compris et ce n’est en plus pas ma vision de la gastronomie. On a retiré le menu à 40 euros, ne proposant plus que deux formules. Aujourd’hui, on voit clairement que la plupart des clients optent pour le menu en cinq temps car, au fur et à mesure, ils ont compris ma démarche et ce merveilleux voyage que je souhaitais leur proposer.
À peine ouvert, votre restaurant a été fermé en raison du premier confinement puis, à nouveau, les restaurateurs doivent aujourd’hui garder portes closes jusqu’au 20 janvier. Un coup dur pour vos débuts ! Comment avez-vous fait face pour vous adapter à ces deux coups du sort successifs ?
Je n’ai pas de doutes sur mon projet à long terme car j’ai déjà vécu des moments difficiles. Mi Kwabo, on l’a ouvert avec notre propre argent car personne ne voulait nous suivre dans ce projet. Quand j’expliquais aux banques que je voulais ouvrir un restaurant gastronomique de cuisine africaine, on me riait au nez et l’on me proposait de choisir un Kebab ! Enfin quand on a réussi à tout payer par nous-mêmes et à terminer les travaux, à peine ouvert, il y a eu la crise de la Covid et ce premier confinement. Il faut savoir que sur une année, le restaurant a dû en tout et pour tout être ouvert 120 jours. La deuxième vague a été encore plus dure à encaisser car, forcément, on ouvre plus que pour continuer à exister et gratter quelques centimes mais clairement pas pour gagner de l’argent. Actuellement, on doit tourner à trente ou quarante commandes et cela devient très compliqué.
La Guide Michelin malgré le fait que beaucoup de chefs étoilés considèrent cette année comme une année blanche a décidé de ne pas déroger à la règle et de sortir en début d’année pour rendre son verdict. L’étoile je suppose que vous y pensez eu égard aux nombreux avis dithyrambiques laissés en ligne par celles et ceux qui sont venus manger dans votre restaurant ?
Bien sûr que j’ai cela à l’esprit. Ça serait la plus belles des récompenses. Je ne vais pas dire que je travaille pour l’étoile mais intégrer le Michelin ça vous ouvre forcément des portes incroyables. Se dire que la cuisine Africaine et des îles puisse être reconnue et s’inviter dans le guide Michelin ça serait quand même une merveilleuse réussite et une belle revanche sur celles et ceux qui ne croyaient pas en mon projet qu’ils considéraient comme une folie.
Si je vous invite à dîner, je vous prépare quoi pour vous faire plaisir ?
Préparez-moi un bon pâté en croute avec des produits qui viennent d’Afrique accompagné d’un verre de vin et du thé pour terminer.