Economie

Paul Jorion, des subprimes à la crise mondiale

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Photo Philippe Matsas


Entretien Chercheur en sciences sociales, élève de Claude Lévi-Strauss, Paul Jorion a été l’un des rares économistes à anticiper la crise des subprimes de 2007 dont nous subissons encore aujourd’hui les répercussions. En plein séisme d’un secteur économique et financier devenu incontrôlable, alors que le monde politique n’a plus de solutions à proposer, on se demande si le système capitaliste n’est pas tout simplement à bout de souffle. Paul Jorion nous brosse un tableau pour le moins sombre d’un avenir qui attise déjà toutes les peurs chez la population. Alors, « Aux armes citoyens » ? Et pourquoi pas justement !


« Le système ne peut plus rebondir de lui-même, il est arrivé à son terme. »

Comment la crise des subprimes a-t-elle été un facteur déclenchant de la crise mondiale de 2008 ?

Il faut tout d’abord bien comprendre ce qu’a été et est encore aujourd’hui cette crise des subprimes. Il y avait, à cette époque, aux États-Unis, une bulle dans le secteur de l’immobilier résidentiel, en raison de la politique américaine d’aide d’accès à la propriété. Nous assistions de la part du gouvernement américain à une volonté d’augmenter la proportion de propriétaires issus des ménages ayant de petits revenus. Pour cela, le gouvernement a permis à ces futurs acquéreurs de défiscaliser les versements des intérêts de leurs prêts immobiliers. C’est un facteur incitatif qui a d’ailleurs été adopté dans de nombreux pays. Le problème de ces aides est qu’elles se sont répercutées sur le prix des maisons. Résultat, ces mesures ont bénéficié aux vendeurs et non aux acheteurs. Pour vous donner un exemple, en 2009-2010, le gouvernement américain a donné 8 000 euros aux personnes souhaitant accéder à la propriété. Ces 8 000 euros ont immédiatement été répercutés sur le prix des maisons ! Entre 1997 et 2006, nous avons donc assisté à une forte hausse du prix de l’immobilier.

Et les banques continuaient à prêter ?

La politique des banques était de s’intéresser à la maison proprement dite qui prenait de la valeur, et non à l’emprunteur ! Cette politique d’augmentation du prix de l’immobilier rassurait les banques qui, en cas de non-remboursement de l’emprunteur, pouvaient saisir les maisons et donc se couvrir. Parallèlement à cela, les États-Unis et la Chine se sont retrouvés dans une situation que je qualifierais de tango mortifère. Les États-Unis, pendant cette période, ont acheté massivement des produits manufacturés venus de Chine. La Chine s’est alors retrouvée en possession d’une très grande quantité de dollars qu’elle a voulu placer afin de les faire fructifier. La Chine a donc acheté en nombre des obligations américaines, ce qui a permis aux taux d’intérêt de rester extrêmement bas. Donc, les citoyens américains continuaient à acheter en masse de l’immobilier. Taux d’intérêts bas, incitation à l’achat et hausse du prix de l’immobilier étaient donc les paramètres essentiels. Le problème, c’est que ces nouveaux propriétaires étaient dans une situation financière précaire et qu’un seul grain de sable pouvait remettre tout le système en question.

C’est ce qui s’est passé !

Certaines personnes avaient déjà des problèmes pour rembourser leurs prêts. Comme les taux d’intérêt continuaient à descendre, les banques proposaient à ces nouveaux propriétaires de racheter leurs crédits pour leur proposer des crédits encore plus importants, eu égard au prix de leur maison qui avait augmenté depuis le moment où ils l’avaient achetée. La machine infernale était lancée ! Comme l’État américain avait favorisé l’accès à la propriété des classes les plus « basses », lorsque ces dernières sont devenues propriétaires, il n’y avait ensuite plus personne pour acheter. Il a donc suffi que le prix de l’immobilier stagne pour que tout le château de cartes s’écroule. Les gens ne pouvaient plus rembourser, et leurs maisons étaient saisies. Les banques pensaient pouvoir revendre les maisons et se rembourser, sauf qu’il n’y avait plus personne pour acheter. Résultat, des quartiers entiers ont été laissés à l’abandon et, finalement, même détruits car plus personne ne pouvait acheter.

Comment cette crise des subprimes, à la base purement américaine, s’est-elle exportée mondialement ?

Les banques européennes ont acheté en nombre des obligations américaines qui apparaissaient comme extrêmement sûres aux yeux des organismes de notation. Le AAA faisait penser aux acheteurs qu’ils investissaient là dans un produit sans risque et très rentable. Lorsque l’immobilier s’est effondré outre- Atlantique, les obligations ont suivi et, bientôt, elles n’ont plus rien valu ; plus rien. Les banques européennes, avec leur gestion assez opaque, ont alors cessé de se prêter de l’argent, ignorant combien chacune d’entre elles détenait de ces obligations américaines. Cette circulation de crédit entre les établissements bancaires est indispensable au marché financier. Les États européens, déjà en situation difficile puisqu’ils vivaient à la limite de leurs moyens, ont dû puiser dans leurs caisses presque vides pour combler cette perte énorme des banques. La crise était là, et on voit aujourd’hui, avec la Grèce, l’Espagne, l’Italie ou l’Irlande, où en sont les pays ! On a voulu nous faire croire que cette crise ne serait que passagère et que tous les indicateurs étaient au vert, mais c’est faux. Nous ne sommes pas aujourd’hui en présence d’une nouvelle crise, mais face au prolongement de l’effet boule de neige de 2007.

Vous aviez prévu en amont cette crise des subprimes. Pourquoi les États ont-ils, eux, paru pris de court par l’ampleur du phénomène ?

Les États, comme vous dites, ont voulu minimiser la crise. Au sein de la science économique dominante, on pense que le système rebondit par nécessité. La science économique est en effet extrêmement optimiste au sujet du mode de fonctionnement inhérent au capitalisme. On dit que les crises sont cycliques et que, dès qu’elles arrivent, le système rebondit de lui-même afin d’endiguer cette crise. Ce qui était vrai hier est hélas obsolète aujourd’hui !

Que pensez-vous de l’idée développée par le candidat aux primaires PS, Arnaud Montebourg, de revenir à une sorte de protectionnisme et de taxation aux frontières pour certains produits importés, notamment en provenance de Chine ?

Arnaud Montebourg est selon moi le candidat le plus sérieux du Parti Socialiste. Ses conseillers utilisent d’ailleurs certaines idées que je défends. Par contre, vouloir revenir à un État protectionniste est une idée simplement impossible, une illusion. Toutes les idées qui proposent un retour en arrière sont inadaptées à la situation actuelle. J’ai travaillé pendant vingt ans dans la finance, et la mondialisation de cette finance est un phénomène irréversible. Les États sont aujourd’hui trop dépendants de la vente de produits à l’étranger pour que l’on imagine un repli sur soi-même. La France ne produit pas de téléphones portables, d’ordinateurs… Taxer ces produits à l’entrée de nos frontières signifierait augmenter significativement leur prix. C’est tout simplement impensable ! Il y a, dans l’histoire, des périodes de transition où les structures ne sont plus en phase avec la réalité. C’est malheureusement le cas aujourd’hui. La réalité de l’opinion aujourd’hui, ce n’est pas l’État, mais Facebook ou Twitter qui sont ce qu’étaient les « clubs » en 1789.

Outre cette analogie, vous pensez justement qu’un nouveau 1789 est envisageable ?

Le peuple est là et il s’exprime via la Toile, ce nouveau contre-pouvoir qui fait si peur au monde politique. On a vu les révolutions dans le monde arabe, où Internet a joué un rôle primordial pour décider les citoyens à prendre les armes et descendre dans la rue afin d’y faire entendre leur voix. En Occident, le facteur décisif va être la déconstruction de l’État-Providence. Aujourd’hui, la plupart de citoyens sont des salariés qui tremblent pour leurs acquis et acceptent le système tel qu’il est car, malgré tout, il leur garantit une certaine sécurité. Les avantages sociaux leur permettent de vivre dans un bonheur relatif. Si, par contre, on commence à toucher à ces acquis sociaux (retraites, allocations chômage, sécurité sociale), là, les choses risquent de changer. Les Français sont relativement patients par rapport à certains de leurs voisins européens qui descendent très facilement dans la rue, mais lorsque la coupe est pleine, ils explosent. Si on touche à ces avantages sociaux, les gens n’auront plus rien à perdre et les réactions ne seront pas belles à voir !

Nous entrons, en France, en pleine campagne électorale pour les prochaines présidentielles de 2012. Pensez-vous que les politiques puissent reprendre le contrôle d’un système financier qui, aujourd’hui, paraît totalement leur échapper ?

Les politiques n’en ont tout simplement plus la possibilité. On dit aujourd’hui qu’il faut prendre la mesure de la gravité de la situation, et ce n’est en aucun cas ce que font les politiques. Lorsque je vois les propositions faites par Monsieur Hollande, rien dans son programme ne semble prendre le problème de la crise à bras-le-corps. Se dire que les choses vont s’arranger d’elles-mêmes est une pure illusion. La sortie de la crise passe, à mon sens, par la réinstauration d’un ordre monétaire international visant « une sortie par le haut » de la situation actuelle, en pacifiant les relations économiques entre les nations, comme l’avait voulu John Maynard Keynes quand il avait proposé un tel ordre monétaire international à Bretton Woods en 1944.

Les états européens ont décidé de réinjecter de l’argent afin de tenter d’endiguer la dette grecque. Pensez-vous que la Grèce pourra un jour rembourser ce qu’elle doit, et ne risque-t-elle pas d’entraîner avec elle des pays européens dans une situation financière déjà délicate ?

La Grèce ne sera jamais en mesure de rembourser. Il faut donc parfois savoir passer les sommes dues en pertes et profits plutôt que de se voiler la face. C’est la même chose concernant les produits subprimes que possèdent encore les banques. Ces établissements attendent en espérant qu’un jour, ces produits vaudront à nouveau quelque chose. Le penser est tout simplement illusoire ! Dans le cas de Dexia, par exemple, on parle de créer une banque de défaisance, c’est-à-dire prendre les obligations qui ne valent plus rien et les mettre en quarantaine en espérant un miracle. C’est une sorte de cryogénisation, tout en sachant que jamais rien ne s’arrangera ! C’est une savante manière pour les partis au pouvoir de transmettre la patate chaude à l’opposition qui sera à la tête du prochain gouvernement. Car les politiques savent que, si les mesures qu’il faudrait prendre étaient effectivement prises, les candidats de leur parti n’auraient aucune chance d’être réélus. Résultat, on tourne en rond, on remet les décisions indispensables à plus tard et la crise, elle, ne fait que croître.

La sortie de la crise passe-t-elle par une nationalisation du système bancaire ?

Cela va se faire ! Dexia va être nationalisé de fait. Pourquoi le fait que certains manquent d’argent – et sont du coup obligés d’emprunter – alors que d’autres en ont trop, devrait-il relever du marché privé et constituer du coup une source de profit ? Cela devrait faire partie de la mission du service public. Le système bancaire devrait donc être un service public. On met en avant les problèmes connus par le Crédit Lyonnais, mais si cette banque a agi de la sorte, ce n’est pas parce qu’elle avait été nationalisée, c’est parce qu’elle s’était mise au diapason des établissements privés. La chose primordiale est la présence de personnes représentant l’intérêt général au sein des conseils d’administration des établissements bancaires. En 2008, par exemple, lorsque l’État a dû réinjecter de l’argent dans les banques, il n’a pas jugé utile d’assister aux conseils d’administration. Résultat, cet argent a servi à financer les bonus des membres de la direction de ces établissements bancaires sans en éponger les dettes.

Vous avez publié Le Capitalisme à l’agonie. Le problème est : existe-t-il un système viable autre que le capitalisme ?

Depuis pas mal de siècles, on réfléchit à des alternatives : Campanella, Thomas More, les socialistes utopiques en ont proposé. En 1930, on avait le système communiste qui, pour certains, pouvait apparaître comme un modèle. Depuis la chute du bloc de l’Est, il n’y a pas d’alternative au système capitaliste. En 1789, déjà, il y avait une réflexion commune mais, pour autant, personne ne proposait un système de gouvernement clé en mains. C’est la même chose aujourd’hui, le système ne peut plus rebondir de lui- même, il est arrivé à son terme.

Pour vous, l’agonie inhérente au capitalisme prend racine en 1885 lorsque l’on légalise la spéculation. Il faudrait donc revenir selon vous à l’article 421 du Code pénal ?

Absolument, c’est une condition sine qua non pour reprendre les choses en mains.


Hervé de Carmoy, les dérives du système bancaire
Alice Loffredo, militante féministe

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