Lionel ASTRUC, Aux sources de l’alimentation durable, Nourrir la planète sans la détruire, Glénat
Journaliste, auteur, photographe, sensibilisé depuis de nombreuses années aux questions d’économie solidaire et d’écologie, Lionel Astruc vient de sortir un nouveau livre consacré à l’alimentation durable. Expériences lointaines, menées à l’autre bout du monde, ou initiatives locales, lancées à deux pas de chez nous, il nous guide dans un monde qui cherche encore son modèle mais qui devra nécessairement s’adapter, au risque de se perdre. Avec en toile de fond, le fameux message « consommer moins pour consommer mieux », Lionel fait œuvre de pédagogie pour nous apprendre à mieux manger.
Comment expliquer que se soient récemment produites des émeutes de la faim ?
L’organisation du commerce mondial des ressources naturelles et alimentaires est basée sur le principe de l’ultra spécialisation. Après la deuxième guerre mondiale, on s’est dit qu’on faisait très bien tel légume ici, tel autre mieux ailleurs. Chaque pays s’est donc spécialisé et est devenu dépendant des autres. A un moment donné, les petits paysans ont perdu leur souveraineté alimentaire. Ils ont abandonné les cultures vivrières qui les nourrissaient. Ils se sont mis à cultiver pour exporter, à des tarifs qu’ils ne maîtrisaient plus. Résultat : un beau jour, ils ne pouvaient plus acheter leurs propres aliments, ceux qu’ils produisaient auparavant.
Qui sont les fautifs ?
Je ne poserais pas la question en ces termes. On est tous fautifs, y compris les générations précédentes. Quand l’industrialisation de l’agriculture s’est banalisée, des choix ont été faits. Tracteurs, pesticides, chimie, on est partis vers une agriculture intensive. Les gens sortaient de la guerre, ils avaient faim, avaient besoin de prospérité. C’est la cause première. Aujourd’hui les plus grands fautifs, sont les multinationales, et en particulier les semenciers, mais aussi les autorités. Mais maintenant, même ceux qui sont en position d’influence et qui en ont la volonté ont du mal à faire bouger les choses tant les responsabilités sont diluées. Comme une toile d’araignée autour de la planète, on trouve une interconnexion d’intérêts. On se tient tous par la barbichette dans un désordre innommable. Du coup, le démantèlement de ce système, si tant est qu’il ait commencé, est très lent. L’objectif est cependant clair : même pour des gens qui ne sont pas super écolos, on va vers une relocalisation.
Passer à une alimentation durable est-ce une absolue nécessité ?
Je n’en doute pas : il faut retourner à une alimentation durable, mais aussi bio, locale et équitable car tous les écosystèmes sont en danger en même temps. Outre la question du réchauffement climatique, importante, mais loin d’être exclusive, on atteint des seuils de non-retour, ou l’épuisement des stocks dans de nombreux domaines. Les ressources marines sont menacées : on a des chiffres alarmants et les espèces qu’on mange disparaissent. Idem pour la forêt, les ressources en eau potable et bien d’autres.
Les fonds marins regorgent pourtant de ressources, et quantité d’espèces marines n’ont paraît-il même pas encore été découvertes ?
Ce n’est pas une raison pour déplacer les nuisances d’un domaine à l’autre. On disait que la science allait sauver l’environnement. Vingt ans plus tard, on n’arrête pas le progrès, mais la pollution s’aggrave. Quant à l’idée de remplacer une ressource par une autre, voyez ce que ça donne avec la canne à sucre utilisée comme bio-carburant. Certes, on pollue moins, on se déroute du pétrole, mais ça impacte la forêt primaire. Je pense que c’est pareil pour les ressources marines. Se reporter sur des ressources supplémentaires, c’est déplacer le problème. Si on fait le bilan écologique de nombreuses solutions proposées contre la crise écologique, en fin de compte, il est négatif.
Dans le livre tu prends l’exemple du quinoa au Pérou, en quoi cet aliment est-il exemplaire ?
Au départ, c’est ce que j’appelle une panacée. Il a tout pour plaire. Il pousse tout seul. Pas besoin de l’arroser, de lui donner d’engrais ou de produits chimiques. La dépense écologique est proche de zéro. En outre, il ne concurrence pas d’autres cultures car il pousse là où rien ne pousse. Et, cerise sur le gâteau, c’est un aliment chargé en protéines, très riche, qui convenait à de nombreuses populations végétariennes vivant sur les hauts plateaux andins. Il pourrait nous permettre de réduire notre consommation de viande. Le problème, c’est qu’on s’est jeté sur cet aliment dans nos pays occidentaux, du coup, sur place, les cultures se sont intensifiées. Ça reste écologique, mais un glissement s’opère qui perturbe l’économie locale. J’ai constaté que des habitants dans les régions de production, mangeaient désormais des pâtes à la farine de blé, alors qu’il n’y a pas de blé là-bas.
Manger du quinoa en France pose le problème de l’empreinte carbone non ?
L’impact carbone est certes important, même si le déplacement se fait par bateau. C’est toutefois limité par rapport aux ananas sur lesquels figure par exemple la fameuse mention faite pour vendre, qui devrait au contraire nous dissuader d’acheter : « par avion »
En France avons-nous le même type de produit que le quinoa ?
Des variétés anciennes comme l’épeautre sont très riches. On ne sait pas le cuisiner, mais c’est délicieux. Au niveau impact écologique et social, à chaque fois qu’on a le choix, il faut opter pour le local, en faisant attention. Par exemple, du sucre blanc français, issu de la culture intensive de la betterave peut être plus nocif qu’une consommation de sucre de canne bio venu de loin. Outre leur qualité gustative, les produits bio ont un intérêt, ils sont fabriqués dans des fermes de polyculture. C’est dans leur cahier des charges. Et ça, ça favorise la diversité !
Moi qui aime le café et le chocolat, dois-je arrêter d’en manger ?
Pas forcément. Il y a des produits à part. Même les écolos radicaux sont d’accord pour dire que les produits de grande consommation qu’on ne peut pas produire ici, notamment le thé, les épices, le café, et qui ne sont pas lourds à transporter puisqu’on n’en consomme quotidiennement que quelques grammes, ne sont pas à proscrire. De toute façon, l’idée n’est pas de vivre sous une bulle de verre coupée du monde.
Allons-nous devoir changer nos habitudes alimentaires, et comment ?
Oui, c’est sûr. En tant qu’auteur et journaliste, j’essaie de prendre les gens en fonction de l’endroit où ils se trouvent, et en fonction de leur niveau d’engagement. Si tu me dis que ça fait 10 ans que tu t’engages, je te tiendrai un discours différent que si tu as commencé hier à te préoccuper de ces questions. Si tel est le cas, je pense qu’il faut essayer en priorité de faire ses courses auprès de producteurs locaux, et après en supermarché. Ensuite, il faut avoir en tête que les produits issus du commerce équitable ou de l’AB ne sont pas trop chers. Ce sont les autres qui ne sont pas vendus à leur juste valeur. Il nous suffit de changer nos habitudes, de cuisiner des produits bruts. Il n’y a rien de plus cher que d’acheter des plats préparés bio en grande surface. Quand on cuisine des produits bruts et bien choisis, on retrouve le goût des bonnes choses.
« Pourquoi ne pas travailler moins pour cuisiner plus ? »
Mais les gens n’ont pas le temps !
C’est vrai, mais tout se tient. Il nous faut changer nos modes de vie, mettre nos priorités ailleurs. Travailler moins pour cuisiner plus si j’ose dire. Les trente glorieuses nous promettaient des vacances, des loisirs, mais au final, on s’est aliénés encore plus au travail. Il faut prendre du temps pour toutes ces choses là.
Le capitalisme, qui régit ce monde, peut-il faire avancer cette cause ?
Je crois que oui. Ce n’est pas la notion d’économie de marché qui est en cause, c’est celle de croissance. Tim Jackson, un économiste anglais a évoqué l’idée d’une prospérité sans croissance qui est à rapprocher de la sobriété heureuse de Pierre Rabbhi. Il faut progressivement abandonner cette idée de croissance dont on ne maîtrise pas les conséquences. Et il faut aussi évacuer l’idée selon laquelle moins de croissance donne plus de chômage. On reproche aux décroissants de ne pas alimenter l’économie. Consommer, c’est patriote et vertueux, c’est positif. On fait culpabiliser les écologistes. La réponse, c’est que tout est lié. Si on s’achemine vers une société où les gens, pour être heureux n’ont pas besoin de ce cycle publicité- frustration-accumulation, du coup, on arrive à un équilibre plus vivable sur le long terme.
On apprend beaucoup de choses dans ton livre, y compris des choses qui font peur, comme le fait qu’il y ait des OGM dans la plupart des produits que l’on consomme –y compris dans des produits estampillés AB ? Comment être sûr de ne pas en consommer ?
Pour être sûr, il n’y a qu’une solution, faire pousser des trucs dans son jardin. (Rires) En réalité, on est susceptible de trouver des traces d’OGM presque partout car les filières ne sont pas assez cloisonnées. Une nouvelle certification, « Bio cohérence » garantit l’absence d’OGM. Elle vient d’être lancée. Désormais, la labellisation se fait au niveau européen. Le label AB pourrait un jour disparaître. Mais le logo bio européen n’est pas assez exigeant pour beaucoup de gens.
On sait tous que la poire et le raisin se consomment en automne, mais comment le savoir pour tous les produits ?
Jusqu’à présent, ce qu’on appelait la consommation responsable, c’était un comportement individuel qu’on faisait en tant que consommateur. De plus en plus, se développe une réflexion plus générale. Quand on est seuls, démotivés, on ne peut pas agir. Collectivement, c’est plus facile. Par exemple, faire près de chez soi un jardin partagé : aller cultiver des fruits et légumes avec ses voisins permet de redécouvrir ce qui pousse et à quel moment. Les paniers AMAP, c’est la même chose, de même que les réseaux de paniers bio. Tu vas aller récupérer ton panier dans un coin de dépôt. Ça recrée du lien social, et je crois que c’est comme ça qu’on réintègre ces savoirs. Il y a en ce moment un mouvement qui essaime, celui des villes en transition. Ça part du principe que les entreprises et les autorités n’agissent pas, ou pas assez vite, l’action se développe donc au niveau d’une communauté. Une ville en transition se prépare à ne plus utiliser de pétrole et à dépendre le moins possible de produits et de services lointains. L’idée est d’accéder à la résilience, c’est à dire le fait qu’une région, en cas de catastrophe économique ou d’une crise alimentaire ne dépend plus du reste du monde. Ces villes en transition se fixent comme objectifs de renouer leurs réseaux locaux. Développer les transports, le co-voiturage, recréer des filières locales d’alimentations, et de fil en aiguille, atteindre tous les domaines de la vie. C’est une transition douce, basée sur le lien social. Je crois que ce sont des initiatives similaires qui vont permettre de retrouver les bonnes habitudes. Là où je vis, dans le Trièves, un plateau au sud de Grenoble, sorte de micro région en transition, nous avons adopté ça. Mais au départ, la ville source, c’est Totnes, en Angleterre. Ils ont même une petite monnaie commune, comme dans les systèmes d’échanges locaux (SEL).
Pourquoi y-a-t’il des poissons que l’on peut manger, d’autres que l’on devrait moins consommer, comment le réguler ?
Les autorités ne vont pas le réguler. Elles cèdent trop facilement aux lobbys de la pêche, trouble-fête possible, électeurs avant tout, et surtout salariés à qui on ne propose pas d’alternatives en cas de changement de vie. Pour savoir quels poissons consommer, la meilleure source d’information, accessible à tous, c’est un site internet qui s’appelle Nausicaa qui édite et actualise un bout de papier, sorte de marque page qu’on glisse dans son sac sur lequel figure une liste de poissons qu’on peut consommer. Le consommateur ne peut pas connaître les espèces et les stocks de poisson dans le monde entier. Les listes de Greenpeace ou de WWF ne sont pas pratiques. Au lieu de faire des listes négatives, Nausicaa a fait une liste positive, actualisée en fonction des saisons.
Quel est le problème posé par la surconsommation de produits d’origine animale ?
Par rapport aux végétaux, ça démultiplie la note écologique. Quand on mange une assiette de pâtes, on peut estimer la quantité de céréales nécessaires pour faire les pâtes. Quand on mange un steak, on n’imagine pas les quantités de céréales qu’il a fallu pour nourrir la bête. Tous les produits d’origine animale, y compris le lait, concentrent de grandes quantités de ressources naturelles, céréales et eau en particulier. Et beaucoup de céréales sont importées pour alimenter les bêtes.
Certains estiment que la science, via les OGM, a des solutions ?
On évoque souvent ce débat des OGM sur la question sanitaire, sur leur propagation dans la nature. Je pense qu’il ne faut même pas aller jusque là. Pour moi, on n’a tout simplement pas besoin des OGM. Contrairement à ce qu’on peut entendre, l’agriculture biologique peut parfaitement nourrir tout le monde. Il nous suffit de changer nos habitudes alimentaires. Le problème, c’est que des empires économiques colossaux ont uniformisé les semences. Une immense diversité de produits a été ramenée à quelques graines vendues par une demi douzaine de semenciers.
Quel constat général dresses-tu après ton long périple en quête des sources de l’alimentation durable ?
Je suis plutôt optimiste parce que je m’intéresse aux initiatives pionnières, aux expériences qui marchent et qui sont reproductibles. En même temps, je suis obligé de constater que même si on n’a jamais autant parlé d’écologie, on reste sur une mauvaise pente et on n’a pas modifié nos comportements. Depuis 1987, on parle de développement durable, il serait bon d’accélérer le processus. Il faut associer les questions d’écologie à celles de plaisir. Il suffit de faire une dégustation pour se rendre compte que le bio a plus de goût que le conventionnel et parvenir à changer nos idéaux, nos objectifs, nos valeurs.
Comment convaincre quelqu’un qui vit bien, qui prend plaisir à consommer, de réduire son train de vie volontairement ?
On ne peut rien par la force. Mais il faut parvenir à convaincre les gens que vivre dans une logique plus sobre, où on travaille un peu moins, où on consomme moins, entraîne dans une spirale positive. Je pense qu’on peut en convaincre tout le monde. Il faut que chacun soit convaincu que ce mode de vie plus sobre peut rendre heureux. C’est une évidence, on n’a pas besoin de tout ce qu’on a…