Ovidie, « La sexualité féminine de A à Z », éditions la Musardine
Depuis ses premiers pas dans le monde du X en 1999, Ovidie a toujours eu l’image d’une femme cultivée aux positions tranchées, celle que les plateaux télés aiment à inviter. Aujourd’hui, derrière la caméra, cette « travailleuse du sexe » comme elle aime se définir œuvre pour un porno éducatif qui laisse la part belle au plaisir féminin. Instaurant le port du préservatif obligatoire sur ses tournages, Ovidie tente de prouver que le X bien fait peut être le reflet des mœurs d’une société et des désirs féminins sans sombrer dans la gymnastique contorsionniste. Alors que Mlle O publie « La sexualité féminine de A à Z », elle revient pour nous sur une carrière mouvementée et dont le moteur reste indubitablement le plaisir. Histoire d’O en somme !
Parce que tu as fait des études de philo, tu es toujours passée pour « l’intello du porno », c’est une étiquette qui t’a plus servie ou desservie dans ta carrière ?
Au départ, cela m’a desservie et mis à dos une partie de la profession. Si j’étais l’intellectuelle du porno, cela signifiait implicitement que tous les autres étaient des imbéciles. Ce n’était pas là le message que je souhaitais faire passer. Mon discours était simplement celui d’une femme qui assume son choix pour la pornographie. En plus, le terme intello est péjoratif. Les gens se sont focalisés sur mes études de philo sans prendre en compte le fait qu’à côté de cela, j’écrivais des articles, des livres… Me mettre une étiquette était pour les médias un moyen aisé de me cataloguer dans une société où tout, y compris les gens, doit être rangé dans des cases. On ne comprenait pas pourquoi une femme de 20 ans avait choisi cette voie pornographique, ni pour l’argent, ni par détresse psychologique ou encore pour régler un problème vis-à-vis de son passé !
Tu as commencé à tourner à 19 ans et réaliser à 20. On oublie trop souvent que tu as tout de suite endossé ces deux casquettes !
Oui, on a l’impression que j’ai fait l’actrice et qu’ensuite je me suis recyclée dans la réalisation. C’est totalement faux ! J’ai débuté dans le X en 1999 et, en 2000, j’ai réalisé mon premier film. La réalisation n’a en rien été une reconversion, mais ce à quoi je me destinais dès le début. Je faisais l’actrice en dilettante, un peu comme une colonie de vacances pour retrouver des personnes que j’aimais bien et m’amuser pendant quelques jours. En temps qu’actrice, tu n’as aucune pression hormis celle de pointer tes fesses à l’heure sur le plateau. Réalisatrice, tu as une responsabilité énorme, tout le poids du film repose sur tes épaules.
Tu te définis comme une féministe pro sexe. Est-ce le message que tu essayes de véhiculer par le biais de tes réalisations ?
Oui. Féministe, c’est pour moi disposer de son corps comme on l’entend et ce que je fais est en accord avec ce principe, aussi bien dans ma vie professionnelle que personnelle.
Tu as été l’une des premières à imposer le port du préservatif lors de tes scènes. Que penses-tu des réalisateurs qui continuent à faire tourner les acteurs sans ?
L’écrasante majorité des tournages se fait sans préservatif à l’heure actuelle, sauf en France pour des raisons de charte télévisuelle. La norme, hélas, dans presque tous les pays est au X sans capote. Il faut néanmoins noter que les États-Unis ont trouvé un procédé très fiable et qui porte ses fruits. Ils ont un système de contrôle sanitaire qui se fait dans une seule clinique et qui prend en compte TOUTES les maladies sexuellement transmissibles. J’ai par exemple vu des actrices en France tourner avec des préservatifs mais néanmoins attraper de l’herpès génital. Outre-atlantique, herpès, hépatite, chlamydiae… Tout est pris en compte ! Personnellement, le fait de ne tourner qu’avec préservatif m’a fermé beaucoup de portes en temps qu’actrice mais j’ai toujours refusé de déroger à la règle que je m’étais donnée et qui est à mes yeux primordiale.
Après ta carrière d’actrice X, tu as tourné pour Bornello, Beneix ou Lars von Trier, que gardes-tu de ces passages dans le cinéma traditionnel ?
Pour moi, même si cela peut sembler étrange, c’est le même métier. Je me rendais sur ces tournages avec la même préparation mentale que pour un film porno. Être nue ou habillée devant la caméra ne change rien à mes yeux ! Hormis le travail du réalisateur et la qualité intrinsèque du film, mon implication a été la même pour tous les tournages. Que ce soit dans le cinéma pornographique ou traditionnel. C’est plus le métier d’actrice en lui-même qui m’a vite lassé. Ce métier est très narcissique. Il est fait pour te regarder, toi et ton nombril et en tirer une grande satisfaction. À 18 ou 19 ans, cela a flatté mon ego de me voir dans un film et puis j’ai vite compris que tout cela m’indifférait profondément. Je trouve beaucoup plus constructif de réaliser des images que de m’y refléter, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle je décline désormais très souvent les invitations que je peux recevoir pour participer à des émissions télévisées.
« Une autre pornographie, axée sur le désir de la femme, se dessine »
Depuis 2008, tu as pris la direction des programmes de la chaîne Frenchlover TV pour laquelle tu développes un concept de porno éducatif. Tu penses que le X végète malheureusement dans un ghetto duquel il ne tente même pas de sortir ?
Chaque jour, le X s’enfonce un peu plus dans son marasme et, effectivement, il ne fait rien pour s’en extraire ! Ce cinéma est moribond économiquement parlant et pourtant, ceux qui y travaillent continuent inlassablement de proposer les mêmes recettes éculées aux spectateurs qui, aujourd’hui, se ruent sur Internet pour tout voir ou télécharger gratuitement. Ceci est valable pour 90 % du porno actuel. Heureusement, à côté de ça, il y a une autre pornographie, axée sur le plaisir de la femme, qui se dessine. Il y a également des réalisateurs issus du cinéma traditionnel qui s’intéressent au porno et qui font avancer les choses en proposant une vision différente du sexe. Je dirais donc qu’actuellement le porno évolue en dehors du porno, ce qui est un comble ! En France, plus grand-chose n’est produit aujourd’hui et je pense qu’à part les grosses sociétés de production telles que Marc Dorcel, tous les petits sont voués à une mort certaine.
Avec ton film « Histoire de sexe(s) », tu as tenté d’apporter une nouvelle vision du X en retraçant la vie de couples dans leur quotidien. Pourtant, là encore, tu as dû faire face à la barrière du CSA !
Ce qui s’est passé est d’une hypocrisie totale ! La dernière classification X remontait à un court-métrage de 1996. Entre-temps, il y a eu des films au moins aussi porno que « Histoire de sexe(s) ». En fait, dans la décision des instances bien pensantes de classer ce film X, j’ai payé pour mon CV d’ancienne actrice porno, c’est tout ! La chose la plus incroyable concernant cette histoire, c’est qu’il y a eu une première commission réputée bien plus sévère que la seconde qui a visionné le film et a décidé de le classer interdit aux moins de 18 ans. C’est au second visionnage auprès des associations familiales que la décision de lui apposer le sigle X qui signifie la mort du film dans l’œuf est intervenue. Le plus drôle ou dramatique, c’est que le film n’a en fait aucune classification. C’est, je crois, le premier film de l’histoire du cinéma qui n’a pas de visa, une véritable absurdité administrative !
Cela ne t’a pas découragée pour poursuivre ton travail de porno éducatif ?
Au départ un peu et puis je me suis vite remise au travail afin de faire passer mes convictions. Je viens d’ailleurs de réaliser un nouveau film (« Infidélité ») qui sortira en début d’année 2011. C’est un film très nihiliste sur l’amour et la crise de la quarantaine. On verra bien ce que la censure décide !
Comment expliques-tu que la violence soit quasi permanente sur les écrans de télé et qu’un film sur le sexe subisse les foudres des organismes de censure ?
La censure est de plus en plus laxiste sur la violence et draconienne sur le sexe. Enfin le sexe, le porno devrais-je dire car lorsque l’on voit toutes ces nouvelles émissions de télé réalité qui ne tournent qu’autour d’histoires de cul, on peut être sceptique ! En fait, on tape sur le porno histoire de se donner bonne conscience du genre, « regardez, ce sont eux les coupables ! » C’est bien connu, le porno est le seul fautif des viols dans les caves, des problèmes sociaux en tous genres et peut-être bientôt de la faim dans le monde ! Il serait peut-être temps d’arrêter de raconter n’importe quoi !
Penses-tu que le porno et l’avènement du gonzo (enchaînement de scènes de sexe très hard) aient totalement biaisé l’approche de la sexualité chez la jeune génération ?
La solution serait de proposer autre chose, un tremplin entre les cours de bio du lycée et le gonzo ! Le problème est simplement qu’on ne répond pas aux questions que se posent les adolescents et ces réponses, ils tentent de les trouver dans le porno qui lui ne joue hélas aucun rôle éducatif. L’éducation dite sexuelle ne se fait donc pour ainsi dire pas. On peut parler pilule ou encore préservatif avec ses parents mais pas d’orgasme, d’éjaculation précoce ou encore de préliminaires. Alors, qui doit s’en charger ?
Que réponds-tu à ceux qui pensent que porno = prostitution + caméra ?
Dans la prostitution, c’est le client qui paye pour disposer du corps d’une autre personne. En ce qui concerne le porno, les deux protagonistes de la scène sont payés et il n’y a donc aucun rapport de soumission dû à l’argent, ce qui est pour moi essentiel !
Comment imagines-tu le X dans 10 ans ?
Mort ! En grande partie du moins. Le porno se suicide peu à peu et les maisons de productions vont continuer à fermer inévitablement. D’autres vont se focaliser sur une pornographie très hard ou de niche, mettant en scène des pratiques sexuelles dites déviantes. De l’autre côté, j’ose espérer que va se développer un porno plus intelligent, éducatif, basé sur le plaisir mutuel, une sorte de cinéma alternatif.
Faire du sexe son métier pose-t-il des problèmes dans ta vie de couple ?
Plus aujourd’hui ! Je me considère comme détachée du porno depuis 2008 et donc cela n’a que peu d’incidence dans ma vie privée. Avant cela, je ne vais pas mentir et dire que cela ne posait aucun problème à l’épanouissement de ma vie de femme. Bien sûr qu’être confrontée au sexe toute la journée crée une certaine distance avec le désir. C’est un élément très difficile à gérer. Après, ce sont les rencontres qui génèrent la magie du désir. Et là, que tu travailles dans le porno ou les fruits et légumes ne change absolument rien.