Cabaret, théâtre, télévision, cinéma, Jean-Claude Dreyfus aime rester libre dans ses choix artistiques, guidé par son seul instinct de comédien né. Du boucher gore qu’il campe chez Jeunet et Caro dans le subjuguant « Delicatessen » au Duc d’Orléans qu’il incarne chez Rohmer, l’atypique acteur marque de son charisme chacun de ses personnages. Aujourd’hui transsexuel dans la pièce d’Emmanuel Darley, « Le mardi à Monoprix », Jean-Claude Dreyfus poursuit ses grands écarts transformistes au gré de rôles qu’il vit bien plus qu’il ne les joue. Attention, lever de rideau !
La pièce, « Le mardi à Monoprix », d’Emmanuel Darley mise en scène par Michel Didym que vous jouez actuellement, vous présente sous les traits d’un transsexuel. Comment vous plongez-vous dans ce personnage atypique ?
Le théâtre est toujours difficile dans sa préparation lorsque l’on campe un personnage qui demande une transformation physique. Lorsque je devais devenir un homme de 83 ans, obèse et imberbe, atteint du syndrome d’« Elzenveiverplatz », (cancer des cartilages) dans la pièce de Didier Long tiré de l’ouvrage d’Amélie Nothomb, « L’hygiène de l’assassin », cela demandait également une plongée préalable dans le personnage. Pour devenir un transsexuel comme Marie Pierre dans « Le mardi à Monoprix », j’ai besoin d’une grande concentration et je m’isole dans ma loge deux heures avant le début du spectacle. La solitude est, à mon sens, essentielle pour entrer dans la peau du personnage. Je me maquille d’ailleurs seul afin de gérer cette transformation au rythme que je le souhaite. Marie-Pierre est une personne qui a décidé de changer de sexe et d’apparence. Ce qui est drôle, c’est qu’il n’y a pas si longtemps, un spectateur est venu voir le metteur en scène après la pièce en lui disant que la comédienne était formidable !
Vous avez vécu une relation amoureuse avec un homme qui est devenu femme, Kristina dont vous avez préfacé l’ouvrage, « Je n’ai jamais tué quelqu’un… Qui ne le méritait pas ». Ce personnage n’est donc pas si éloigné de cela de votre histoire personnelle !
J’ai connu Kristina alors qu’elle s’appelait Vincent. C’était un garçon dont j’ai été amoureux et que j’ai suivi dans sa transformation puisque nous sommes restés amis. Le fait de devenir femme était son choix, son envie, mais c’est un passage souvent délicat. Comme j’ai débuté au cabaret transformiste, La Grande Eugène, j’étais un peu au fait de ce changement de sexe qui passe, au départ, par un aspect vestimentaire. J’ai conseillé Vincent afin qu’il se maquille le plus simplement possible et ainsi éviter le côté outrancier qui mène souvent au ridicule. Avec Marie-Pierre, c’est la première fois que je ne suis pas transformiste mais que je me glisse véritablement dans la peau d’une femme et cela fonctionne. J’essaye d’être le plus simple et le plus naturel possible. Dans cette pièce, ce qui émeut les gens, c’est le conflit de générations et le regard des autres qui conduit à l’exclusion.
Pour cette pièce vous êtes accompagné d’un contrebassiste. Le jazz signifie quoi pour vous ?
Je suis parrain du festival Val de jazz qui se déroule chaque année à Sancerre. Outre le fait de parrainer l’événement, je m’y produis. La première année, j’avais lu des textes de Boris Vian avec le quartet du saxophoniste et ami de Boris Vian, Jean-Claude Fohrenbach. J’ai toujours été bercé par le jazz grâce à mes parents qui m’emmenaient avec eux dans les caves de Saint-Germain pour y voir des concerts. Pour « Le mardi à Monoprix », lorsque le metteur en scène, Michel Didym, a eu l’idée de me faire accompagner par le contrebassiste Philippe Thibault, cela m’a tout de suite plu. Aujourd’hui, au fil des représentations et de notre connivence, il ne s’agit plus d’un monologue mais d’un dialogue entre ma voix et les notes de l’instrument.
Blier, Rohmer, Lelouch, Mocky, Leconte, Boisset, Corneau… Quelles rencontres vous ont le plus marqué ?
Tous ces réalisateurs avec qui j’ai travaillé ont un style très particulier d’aborder le septième art et c’est ce qui fait leur charme, leur richesse. Personnellement, je n’appartiens à aucune troupe ou aucune famille cinématographique. J’ai toujours été intéressé par le fait de puiser dans la différence de chacun au gré des rencontres. C’est ce qui me fait évoluer dans mon métier comme dans ma vie. Entre Rohmer et Mocky, par exemple, il y a un monde et pourtant ce sont tous deux de grands réalisateurs avec qui j’ai pris un énorme plaisir à travailler. J’aime me sentir libre dans mes choix et suivre mon instinct.
En 1983, vous avez tourné pour Yves Boisset dans le film « Le prix du danger ». On peut dire que ce film n’est pas si loin que ça de la télé réalité d’aujourd’hui !
Boisset était en effet précurseur de ce qui se passe aujourd’hui dans la télé réalité. Même si on ne va pas jusqu’à la mort des candidats, on arrive à des extrêmes totalement surréalistes. Aujourd’hui, il y a deux types de télévision. La télévision poubelle, abrutissante mais aussi celle où vous trouvez des réalisateurs comme Boisset qui vont faire du cinéma à la télévision. Avec la multitude de chaînes, les téléspectateurs ont quand même le choix, il leur suffit de savoir faire le bon !
Avec Jean-Pierre Jeunet et Marc Caro, c’est une relation de longue date. Comment s’est passée la rencontre ?
En fait, Jean-Pierre et Marc sont venus me présenter leur projet « Delicatessen » qui était leur premier film. Sur le scénario, il y avait l’image d’un petit cochon. Là, forcément, les choses ne pouvaient que coller entre nous (Jean-Claude Dreyfus collectionne en effet les cochons depuis de nombreuses années et il en possède environ 5000 !). Un rôle de boucher, le rêve ! On devait commencer le tournage deux semaines plus tard et, en fait, nous n’avons débuté que deux ans après. Jeunet et Caro ont en effet eu beaucoup de mal à boucler le budget nécessaire à la réalisation du film. « Delicatessen » a posé les bases de leur cinéma qui faisait souffler un vent nouveau et un esthétisme rare. Après cela, il y a eu « La Cité des enfants perdus ». Ce sont des réalisateurs que j’affectionne beaucoup car, même si leurs films peuvent paraître complexes de prime abord, eux savent dès le début où ils vont et offrent à l’acteur que je suis des moments de rares bonheur.
Lorsque l’on pense Jean-Claude Dreyfus, on pense effectivement amour des cochons. Cette passion est toujours d’actualité ?
Je continue ma collection même si cela s’estompe au fil du temps. J’ai connu pas mal de sculpteurs, de peintres à qui j’ai acheté de nombreuses pièces. J’ai exposé au musée du jambon de Bayonne il y a peu et beaucoup de mes cochons restent encore dans les cartons même s’ils sont omniprésents dans mon environnement visuel quotidien. Je possède par exemple un magnifique exemplaire en tirage limité du cochon que Pink Floyd avait utilisé pour son album « Animals ».
« Tous ces acteurs soit disant « bankable » me font bien rire, moi je suis saltimbankable ! »
Vous vous sentez au fond de vous plus un homme de théâtre ou du cinéma ?
Je devais tourner depuis le mois de mai dans pas moins de trois films. Hélas, tous ont été annulés par manque de finance. Je parle ici de projets cinématographiques intéressants, pas de gugusseries faciles à monter en basant tout sur de « gros » noms à l’affiche. Il devient très compliqué pour de jeunes réalisateurs, même emplis de bonnes idées, d’avoir les moyens financiers nécessaires pour réaliser un premier film. Je ne suis pas persuadé que « Delicatessen » aurait pu sortir en 2010 ! Tous ces acteurs soit disant « bankable » me font bien rire, moi je suis saltimbankable !
Le théâtre est-il le seul, aujourd’hui, à prendre des risques ?
Le cinéma est tellement cher aujourd’hui que les producteurs pensent en termes de succès alors qu’il est impossible de le prédire à l’avance. Au départ, on doit le faire pour raconter une histoire et, si le public accroche, on est content. Au théâtre, cela marche plus sur le bouche à oreilles et les gens osent prendre des risques. Au cinéma, tout doit être réussi en quelques semaines sinon, c’est un flop et l’on passe à autre chose. Mais il y a heureusement encore de belles surprises. Regardez le film de Xavier Beauvois, « Des hommes et des dieux » sur les moines de Tibhirine ! C’est un superbe succès basé uniquement sur une histoire magnifiquement filmée et un talent d’acteurs incroyable. On peut donc encore y croire !
Parlez-nous des « 13 crimes de Théodem Falls » !
A.L. Douzet, l’auteur, m’a contacté en me disant qu’il m’avait pris comme modèle pour créer le personnage de son prochain roman. Théodem Falls est une personne qui s’ennuie et qui trouve un bottin téléphonique. Il décide alors de se transformer en serial killer et de tuer au hasard en choisissant sa victime dans le bottin. J’envoie à A.L. des photos, des petites vidéos de moi pour l’inspirer et j’attends avec impatience de lire ce roman. Il y aura ensuite une bande dessinée et peut-être un film !