Illustrateur, sculpteur, peintre… Freddo Sacaro, artiste aux multiples facettes, partage sa vie entre le sud ouest de la France et l’Inde, dualité culturelle et économique dans laquelle il puise ses sources d’inspiration. Après s’être attaqué à sa passion pour le ballon ovale, ce qui lui a valu une exposition lors de la coupe du monde 2007 en France, il dépeint aujourd’hui notre société d’ultraconsommation et d’inégalité dans des scènes du quotidien où se côtoient les Simpson, les Schtroumpfs, des personnages de l’univers Disney ou encore ses références picturales que sont Dali ou Picasso. Décryptage de toiles en compagnie de l’artiste !
Tu as débuté ta carrière en 1998 en réalisant la pochette de l’album des Fabulous Trobadors « On The Linha Imaginot », cela a-t-il été un facteur déclencheur, une prise de conscience que ton art pouvait également être un moyen de gagner ta vie ?
J’ai compris assez tôt que mes dessins pouvaient me rapporter de l’argent. Je devais avoir sept ans lorsque j’ai fait un stage de violon dans un village près de Toulouse. Là, pendant notre temps libre, je m’amusais à réaliser les portraits des élèves comme des professeurs. J’ai vendu trois caricatures pour cinq francs chacune, ce qui, à sept ans et au début des années quatre-vingt, représentait une somme d’argent assez conséquente. Avec ces sous, je me suis acheté des exemplaires de Strange ! Après cela, j’ai exécuté quelques portraits pour des voisins ou encore pour des amis de mon père. Même si, plus tard, j’ai eu quelques commandes de la part de cafés toulousains, le travail pour les Fabulous Trobadors reste ma première vraie réalisation professionnelle. De fil en aiguille, cela a débouché sur d’autres commandes comme la réalisation de l’affiche du festival de Marmandes pendant plusieurs années. Ensuite, lorsque tu optes pour l’art et plus précisément la peinture, tu trouves toujours des personnes pour te mettre des bâtons dans les roues, tenter de te décourager, essayer de t’inciter à modifier ton travail, ta vision des choses. Je pense que l’important est de rester en accord avec soi-même, être vrai et ne pas trop prêter attention aux commentaires. Il faut éviter de dévier sa route, même si celle-ci est semée d’embûches.
En 2007, à l’occasion de la coupe du monde de rugby en France, tu as exposé de nombreuses toiles consacrées au monde de l’ovalie et plus particulièrement aux joueurs. Comment ton goût pour le rugby s’est-il transformé en une source d’inspiration ?
Mon père jouait au rugby et m’emmenait souvent voir les matchs. Au départ de cette aventure qui consistait à peindre les « gueules cassées », je dois avouer avoir surfé sur la vague porteuse que représentait le rugby en 2007. Il y avait des opportunités pour exposer dans ma région du sud ouest, terre du rugby par excellence, puis l’aventure s’est poursuivie à Paris. Même si aujourd’hui mes toiles se vendent plutôt bien, à l’époque, la période était assez compliquée financièrement ce qui explique mon choix pour ce créneau. Bien sûr, il y avait quand même l’amour de ce sport. Je ne l’aurais pas fait pour la pétanque ou le tennis qui ne m’inspirent pas du tout !
« La création motive l’inspiration »
Comment se déroule le cheminement d’une toile entre la source d’inspiration et le premier coup de pinceau ?
Lorsque je peins un tableau, je me projette déjà dans le suivant. La création motive l’inspiration. Les idées se bousculent dans ma tête et partent un peu dans tous les sens. Je réfléchis à l’œuvre en devenir deux ou trois mois avant que je ne commence à coucher les premières idées sur papier. Lorsque je m’arrête sur une thématique précise, je réalise plusieurs petits croquis en noir et blanc qui, ensuite, vont s’imbriquer les uns aux autres. Je pense aux personnages, à la posture que je souhaite leur donner dans le tableau. Pour cela, je recherche sur le net. Je scanne, j’agrandis, je modifie… Ce travail dure environ trois ou quatre jours, avant d’avoir une vue d’ensemble du tableau et que je ne commence à m’y attaquer réellement. La source d’inspiration peut naitre d’un endroit où je me suis rendu, d’images télévisuelles, d’une histoire personnelle… C’est ma propre vie qui rejaillit dans la toile !
Dali disait : « La peinture est la face visible de l’iceberg de ma pensée. » Cette citation peut-elle s’appliquer à ta manière d’aborder une toile ?
Non, pas vraiment ! Personnellement, je tente de tout mettre dans une toile, d’exprimer le plus clairement possible ma pensée. J’aime également l’idée selon laquelle chacun peut avoir sa propre interprétation du tableau. Lors des expositions, il m’arrive de rencontrer des personnes qui ont une vision très éloignée du message que j’ai tenté de faire passer. J’avoue apprécier cette liberté qui laisse libre cours à toutes les formes d’imagination et de réflexion.
L’un de tes tableaux montre d’ailleurs Dali servant ses montres molles dans l’assiette de Picasso. As-tu réuni là tes références absolues en matières d’influence picturale ?
Oui ! L’idée d’imaginer Dali servant ses montres molles à Picasso me plaisait beaucoup. C’était une sorte de clin d’œil puisque ces deux peintres sont des références qui ont baigné mon enfance, donc qui restent intrinsèquement une source d’influence de mes toiles.
Tu partages désormais ta vie entre la France et l’Inde. En quoi la culture indienne a-t-elle influencé ton art ?
Depuis que je vais en Inde, j’introduis beaucoup plus de personnages dans mes toiles. Cela est certainement dû au fait d’être confronté à des villes comme Delhi où la densité de population est impressionnante. Il est vrai que, dès mon premier voyage dans ce pays au début des années 2000, j’ai senti une mutation dans mes tableaux. Ce changement n’était pas volontaire, mais simplement le ressenti d’une plongée dans un autre monde, une autre culture. À partir de là, j’ai commencé à opposer deux mondes bien distincts au sein de mes tableaux. D’un côté, il y a les oppressés, symbolisés par les Schtroumpfs et, de l’autre, Mickey et ses amis qui concentrent l’hégémonie d’un monde dominé par l’argent et les profits. Les pauvres Schtroumpfs ne cessent d’ailleurs d’être attaqués par le tout puissant Mickey qui réduit en esclavage les petits hommes bleus.
Aujourd’hui, après plusieurs thématiques au cœur de ton œuvre, tu mets donc en scène des personnages tels que Les Simpson, les Schtroumpfs, des super-héros ou encore Tintin et Astérix et Obélix dans des scènes du quotidien. Comment est né ce désir de mêler monde réel et personnages irréels ?
Tout est parti d’une discussion entre amis. Nous avons évoqué le fait que, dans certains pays, on pratiquait un véritable « nettoyage ethnique. » Le terme était très fort et empli d’images. Cela a été une sorte de flash qui, tout de suite, s’est répercuté dans mon travail. J’ai peint une toile où l’on voit Mickey surfer sur une grosse vague qui balaie tout sur son passage et rase totalement les maisons en champignon des Schtroumpfs. J’avais trouvé là une métaphore visuelle en parfaite adéquation avec le massage que je souhaitais faire passer. J’ai ensuite décliné la chose pour effectuer un parralèle entre deux mondes si proches et pourtant si éloignés.
Les Simpson reflètent-ils à tes yeux une image exacte de la société américaine actuelle ?
Plus que la société américaine, la famille Simpson est le parfait reflet de la classe moyenne dans son ensemble. Indiens, Chinois, Européens, peuvent se retrouver dans les personnages, les situations qu’ils vivent, même si le trait de caractère est poussé à l’extrême. Le triptyque est donc, Mickey, la classe dirigeante, les Simpson, la classe moyenne et les Schtroumpfs qui sont les opprimés qui luttent pour leur survie.
Les aéroports font souvent partis de l’univers de tes toiles. Ces lieux de transit sont-ils à tes yeux assez symptomatiques de notre société où tout bouge très rapidement ?
Entre la France et l’Inde, il est vrai que les aéroports sont un lieu que je fréquente pas mal. Je trouve que cet endroit offre une carte postale du monde en miniature. On y voit une foule hétéroclite faite de familles, d’hommes d’affaires, de réfugiés, de touristes dans un lieu quasiment identique que l’on se trouve à Bombay, Dubaï, New York ou Tel Aviv. Dans un aéroport, nous avons tous les mêmes réflexes, nous déjeunons dans les mêmes lieux et achetons dans des boutiques toutes similaires. C’est un endroit fascinant et en même temps effrayant car il tend à uniformiser un monde qui, pourtant, doit briller par la diversité de ses cultures, de ses peuples, de ses racines.
Les tournesols de Van Gogh, La Joconde de De Vinci ou encore le Cri de Munch reviennent de manière régulière dans tes tableaux. Sont-ce là des œuvres qui se marient volontiers avec ton style ?
Connaître ces œuvres, devenues intemporelles, c’est un peu comme savoir lire et écrire, cela fait partie du b.a.ba. Elles sont des piliers de l’art mondial. J’aime l’idée de donner vie à ces tableaux qui, au sein de mes toiles, se transforment en personnages. La Joconde assise à une table de poker avec des lunettes noires, c’est aussi un moyen de quelque peu désacraliser une œuvre figée, seulement admirée derrière une épaisse vitre.
Dans tes toiles, on découvre de nombreuses marques (BP, Camel, Coca, McDonald’s…) symboles de la société de consommation. Toi qui partages ton temps entre la France et l’Inde, quel regard portes-tu sur ce monde à deux vitesses où hyperconsommation et pauvreté se côtoient ?
Il n’y a pas que dans notre culture occidentale que les marques ont pris le pouvoir. En Inde, ces logos sont aussi omniprésents. Voir d’énormes enseignes lumineuses scintiller sous les yeux de personnes qui n’ont même pas de quoi se nourrir, c’est là toute l’ambivalence de notre société. Cette situation m’attriste alors, je la caricature dans mes toiles. Pour l’instant, aucune marque ne m’a fait de procès, mais on ne sait jamais !
Ta peinture est-elle encore aujourd’hui en mutation ?
Oui, forcément ! On évolue en tant qu’homme et cela se traduit par une évolution de son travail artistique. Je pense plus me focaliser prochainement sur des personnages de films, des acteurs dont on projetterait les rôles phares dans des scènes là encore du quotidien. Ce fut d’ailleurs le cas pour le bon, la brute et le truand dans l’aéroport ou James Bond à la table de poker. Là, je me penche sur l’idée d’une toile ayant pour personnage central Kirk Douglas dans Spartacus. Arriverai-je à projeter les images qui se bousculent dans mon esprit en peinture, ça, je ne le sais pas encore…