Avec un tel patronyme, il pouvait difficilement devenir PDG d’un grand groupe pétrolier ou de restauration rapide. Et grand bien lui en a pris ! Aujourd’hui, grâce à Patrick Jardin, des enfants et des parents émerveillés se rendent vite compte, en visitant son parc aux 145 félins, des méfaits de la surindustrialisation comme de la surconsommation sur la faune et la flore qui les entoure. Intégriste athée comme il aime à se définir, le directeur du parc de Nesles en Seine-et-Marne, ne se contente pas d’offrir aux pensionnaires à quatre pattes de son établissement un environnement proche de leurs milieux naturels mais, sans jouer les donneurs de leçons, il sensibilise les jeunes générations à une société à l’avenir plus qu’incertain. Malgré la situation préoccupante d’un monde qui a perdu ses repères, Patrick Jardin veut encore y croire et milite par le biais d’associations pour que la nature reprenne enfin ses droits. Alors Jardin demain ministre de l’environnement ! C’est bon de rêver…
« Les hommes politiques ne sont que des pions pour ces quelques grandes entreprises internationales qui tirent les ficelles. »
Au-delà de la protection des félins, quelle est l’implication du Parc au niveau de l’écologie ?
Il y a tout d’abord le parc en lui-même qui élève des animaux et qui est certainement le premier parc de félins au monde avec ses 30 espèces représentées. Nesles, c’est presque 300 000 visiteurs par an dont 60 000 enfants. Là, on est dans le registre « animal ambassadeur. » Parallèlement à cela, on a une association, SOS félins & Co dont les membres, particuliers ou entreprises, font des dons reversés à des associations qui travaillent pour la nature et le soutien aux populations locales.
Vous possédez également un centre de reproduction pour félins. Les animaux nés en captivité peuvent-ils espérer vivre un jour à l’état sauvage ?
Non, c’est une utopie ! Il ne faut pas se mentir, nous ne sommes pas prêts pour ça. Il y a quelques exemples d’animaux réintroduits dans leur milieu naturel comme des chevaux en Mongolie, des singes… Techniquement on saurait le faire, mais vouloir réintroduire des grands prédateurs alors que ceux qui vivaient à l’état sauvage ont été exterminés, c’est tout simplement les envoyer à la mort.
En France, on a un peu le même problème avec l’ours des Pyrénées !
Les études montrent que, dans ce massif, on pourrait avoir 1 000 ours et… Il n’y en a que 5 ou 10 et on n’en veut pas plus ! Pourquoi, n’y a-t-il pas d’ours dans les Pyrénées ? Ils nous font chier à ce point-là ? À t-on eu droit à une explication tangible ? On dit que ce sont les éleveurs de moutons qui n’en veulent pas, mais il faut être con pour penser ça. Le mouton que l’on mange aujourd’hui dans notre assiette vient en grande partie d’Australie ou de Nouvelle-Zélande. Je vais vous dire moi ce que je pense. C’est que l’ours, il ne gêne qu’un type de personnes et ce sont les chasseurs, c’est tout ! Mais dans les médias, vous comprenez qu’on ne peut pas dire cela tout haut sans s’attirer les foudres d’une confrérie puissante. Il est beaucoup plus facile de dire aux gens : « On vous aura prévenu, vous allez avoir faim demain parce que les ours mangent tous les moutons. » On a reçu au parc des membres de Ferus qui militent pour la réintroduction des ours, loups et lynx en France. Ils ont essayé de communiquer pour alarmer la population lors d’une étape du tour de France cycliste et l’image a été coupée alors que le slogan pour tuer les ours a été diffusé. Après qui va me dire que ce n’est pas fait exprès !
Il n’y a plus aujourd’hui que 3 000 tigres à l’état sauvage en Asie. Pensez-vous que d’ici dix ou vingt ans, nous ne pourrons plus observer ces félins qu’en captivité ?
Qu’est-ce qu’il faut répondre ? Moi, j’ai deux pendants. Il y a malheureusement un état de fait plus qu’alarmant et puis, de l’autre côté, il y a le mec qui y croit encore ! Aujourd’hui ne plus y croire, c’est faire un trait sur l’avenir.
L’huile de palme est pour beaucoup dans la quasi-extinction de cette espèce !
Bien évidemment ! Nous ne sommes d’ailleurs pas dans un processus de consommation, mais de surconsommation. Au sein du parc, nous militons violemment depuis 2007 contre l’utilisation de l’huile de palme. Lors du tour du parc Mission Nature (une visite en petit train pour découvrir les conséquences dramatiques de la déforestation et de l’extinction de certaines espèces), on affiche des marques qui utilisent l’huile de palme. On ne ment pas puisque ces marques ont dit elles-mêmes que c’était un drame planétaire. Elles en sont conscientes, mais ne veulent rien faire ! Il faut revenir à du respect en diminuant notre consommation. Là, on va dire « Jardin veut nous faire revenir à l’âge de pierre. » Il faut arrêter de raconter n’importe quoi ! On surconsomme les produits venus d’Asie et, si on continue ainsi, on ne peut décemment se lamenter sur l’extinction des tigres.
C’est donc à l’Europe de réduire sa consommation !
Bien sûr. Si l’Asie peut gagner de l’argent qui va l’en empêcher ! Elle ne fait que reproduire notre schéma. L’Europe a t-elle la moindre leçon à donner ? Non ! Regardez chez nous, sur 1 kg de nourriture produite, on en jette environ 500 grammes et après on nous dit que des gens ont faim. C’est quand même se foutre de nous.
Il convient donc d’avoir un œil sur l’importation par exemple !
La liberté de l’importation qui, en amont de la chaîne, crée de graves problèmes économiques et sociaux est au cœur du problème. Tous les samedis au supermarché, en remplissant le caddie, on scie notre propre branche.
Mais il est difficile de blâmer le consommateur qui ne sait pas forcément qu’une pâte à tartiner participe à l’extinction des tigres !
Les consommateurs sont en effet en majeure partie dans l’ignorance. Mais ce sont ces grandes firmes mondiales qui font des yaourts, des chips ou des pâtes à tartiner qui font vivre les grands médias. Il n’y a plus là que la liberté de la presse écrite qui peut faire quelque chose. Ce n’est pas ce grand média carré avec un écran plat qui va se suicider alors qu’il vit de la publicité ! Si on diminuait notre consommation d’huile de palme, c’est à notre agriculture que l’on donnerait du travail ou à nos amis du sud de la Tunisie qui font la meilleure huile d’olive au monde. Il faut quand même être con pour ne pas utiliser une huile connue pour ses vertus bienfaitrices sur notre longévité au détriment d’une huile qui est peut-être toxique.
Dans vos vœux 2010, vous disiez que dans un monde où seul règne l’argent, quelle valeur a un être vivant ! Vous pensez que la quête perpétuelle du gain est à l’origine de nombreux maux ?
Je suis impliqué avec ma femme dans des actions humanitaires au Bénin. Là-bas, il n’y a pas d’arbres à pognon et même si la vie n’est pas facile, il existe de vraies relations humaines entre les habitants. Aujourd’hui, je pense que notre société devrait juste réintroduire un mot à bon escient dans son vocabulaire, c’est respect. À mon avis, la société du gain poussée à l’extrême telle qu’elle l’est aujourd’hui va droit dans le mur. On arrive au bout car, tout ce qui plaît aux gens n’a plus de sens. Il faut faire un effort terrible pour revenir à de vraies valeurs.
Les gens ont perdu le plaisir simple !
On s’aperçoit que les besoins que l’on a créés dans ces mondes dits modernes sont bien souvent futiles, plus rien ne fait plaisir à personne. Je me souviens dans un village perdu dans l’Atlas, il y avait une seule connexion Internet pour tout le monde. C’était l’occasion de débats, d’échange… Avant, on croyait le prêtre ou l’enseignant du village. Aujourd’hui, on cherche la vérité au travers du petit écran de la télé.
La race humaine ne voit plus qu’à très court terme sans penser à demain.
Mais à qui la faute ? Qui dirige le monde aujourd’hui ? Comme je le clame haut et fort, ce n’est ni plus ni moins que l’argent ! Les hommes politiques ne sont que des pions pour ces quelques grandes entreprises internationales qui tirent les ficelles. Ont-ils le moindre pouvoir ? Lorsque je fais une conférence dans le parc et qu’une petite fille de 12 ans me pose une question intelligente, je me dis que si le ministre de l’environnement avait le même discours, qu’est-ce qu’on avancerait !
La réintroduction des félins dans leur milieu naturel comme la protection de la nature passent donc par l’éducation des jeunes générations !
Tout à fait ! Nous, on se dit simplement qu’il faut avoir vu une maman tigre jouer avec ses bébés pour avoir une autre vision de la défense des animaux par rapport à une simple image télévisuelle. C’est ce côté réel que peuvent apporter des parcs comme le nôtre. On n’a pas de leçons à donner, mais on a des yeux à ouvrir ! La certitude, c’est que nous ne sommes rien, juste des merdes sur la planète qui ne pourront pas s’en sortir tout seuls dans cet environnement. Je n’aime d’ailleurs pas ce mot car on semble y être exclu. Il y a nous et l’environnement. C’est une aberration puisque ce bloc est un tout dont nous faisons partie. Si on ne veut pas comprendre ça, on va au casse-pipe. Cela a d’ailleurs déjà eu lieu dans des milliers d’endroits sur la planète et on ne veut pas en parler. Nul besoin d’aller bien loin. Moi, je suis originaire du sud du Calvados, la région de l’amiante. Je vous emmène aujourd’hui faire le tour de villages où il n’y a plus que des veuves qui ont perdu leurs maris il y a 20 ou 30 ans. Il serait peut-être temps de passer à l’action !
Dans le parc, j’ai été étonné que vous laissiez des zones volontairement non entretenues pour contribuer à la biodiversité. Toute personne qui possède un jardin peut donc appliquer cela chez elle !
Bien sûr ! Le plus beau jouet pour les enfants, chez tous ceux qui ont un petit coin de pelouse, c’est de définir une certaine surface délimitée par quatre piquets et laisser tout cela en vrille. Après, il suffit d’une loupe ou d’un microscope pour suivre la vie de la faune et de la flore. Au lieu de ça, on va acheter du désherbant pour ne pas qu’il y ait de fleurs. Quel est l’abruti d’homme qui a décidé qu’une pelouse c’était des poils verts ? Quel est l’abruti d’homme qui a inventé le mot mauvaise herbe ? Ce sont des choses qui me dépassent. Il est pourtant facile pour chacun d’entre nous d’agir pour la nature.
Comment expliquer que les verts en France aient si peu de pouvoir politique ?
Les gros partis politiques de gauche comme de droite se sont tellement bien débrouillés que, sans s’en rendre compte, on a bafoué le mot écologie. Le meilleur moyen pour que des gens sensés, disparates, de toutes couleurs ou origines qui prônent l’écologie n’aient pas de pouvoir, c’est de s’assurer que le terme même pour lequel ils militent soit discrédité. Qui peut aujourd’hui se vanter de faire de l’écologie hormis trois ou quatre professeurs respectés à qui on ne donne jamais la parole ?
Lors des élections, la personne passe malheureusement avant les idées qu’elle est supposée représenter et, là-dessus, on ne peut pas dire que les Verts ont eu des leaders charismatiques !
Mais ces gens-là ont été placés ! On ne va pas laisser un grand politique français qui ne dit pas trop de conneries à la tête du mouvement écologiste. Jamais on ne le laissera faire ! Le système économique est là aujourd’hui et il faut faire avec ! Alors quoi, on fait la révolution et on prend la Bastille demain ? Bien sûr que non, on est trop heureux pour ça ! Il faut donc tenter de regrouper des gens capables de ramener de l’information sur divers problèmes comme les OGM, l’assainissement… Et structurer tout cela au sein d’une entité qui va trouver des solutions non pas utopiques mais qui prendra en compte le fonctionnement de notre société actuelle pour la faire avancer.