Pour pallier une économie exsangue et une crise financière qui s’annonce sans précédent, le gouvernement a sorti l’artillerie lourde. Des milliards injectés pour venir en aide aux entreprises qui, fermées deux mois pour cause de confinement, auront toutes les peines du monde à ne pas finir noyées par les dommages collatéraux engendrés par cette lame de fond appelé Covid. Au-delà des commerces, de l’industrie… C’est aussi une population en proie à des fins de mois difficiles qui, aujourd’hui au chômage forcé, se retrouve prise à la gorge par les crédits, les factures, les dépenses de première nécessité. Mauricette, résidente de Seine-Saint-Denis, élève seule ses quatre enfants, dont deux sont en situation de handicap. Entre promiscuité, scolarité à la maison pas toujours facile et comptes bancaires dans le rouge, elle nous confie son quotidien et ses préoccupations quant à un avenir empli de doutes.
« M’imaginer laisser mes enfants le 11 mai dans leur classe respective et moi retourner au travail est juste impensable. »
Quelles ont été les conséquences directes du confinement sur votre quotidien ?
La conséquence directe est que j’ai dû mettre en suspens mon emploi afin de pouvoir me consacrer à mes enfants. À la suite de l’annonce du président Macron et l’instauration des mesures de confinement, je me suis rapprochée dès le lendemain de ma hiérarchie, leur expliquant que comme les écoles étaient fermées et qu’il m’était impossible de faire garder mes enfants mineurs, je me devais d’arrêter mon activité professionnelle pour rester avec eux. Je n’ai pas posé de congés et me suis mise directement en arrêt maladie pour « garde d’enfants à domicile ».
Comment gérez-vous le fait que vos enfants soient à la maison ? Comment se déroule la scolarité à domicile ?
Les devoirs n’étaient pas une surprise car avec quatre enfants dont deux en situation de handicap visuel, j’étais déjà habituée à les suivre de près dans leur scolarité. Ce qui est compliqué aujourd’hui, c’est cette promiscuité permanente et le fait de devoir gérer du matin au soir, dans le suivi de la scolarité, quatre enfants de classes et de niveaux différents. Pour mes deux enfants en situation de handicap visuel, je dois adapter leur emploi du temps quotidien car, comme ils se fatiguent vite, je ne peux pas les faire travailler trop longtemps.
Les enfants ont-ils les outils adaptés à la maison afin de suivre leurs cours dans les meilleures conditions possibles ?
Les enseignantes ont été formidables et ont créé un groupe WhatsApp pour mes enfants déficients visuels. On nous envoie les devoirs, le déroulé de ce qui doit être fait pendant la semaine. Ce mode de fonctionnement est tout à fait adapté car il permet de partager mais également d’écrire directement à la maîtresse sans passer par le groupe WhatsApp car, parfois, on a des questionnements, des doutes, divers sentiments qui nous étreignent et que l’on ne souhaite pas forcément partager avec les autres parents. J’ai dû me transformer pour mes enfants en enseignante afin de les accompagner au mieux, mais ce n’est pas toujours évident car adapter à la maison le programme mis en place par des personnes spécialisées s’avère souvent compliqué.
La promiscuité, le fait que les enfants ne puissent pas sortir jouer, se dépenser ailleurs que dans l’appartement, n’est-ce pas trop lourd à gérer sans attiser les tensions ?
Chacun a heureusement son espace mais jongler d’une chambre à l’autre toute la journée pour accompagner, surveiller, motiver… C’est vrai que c’est un mode de vie éreintant avec un épuisement le soir venu. Il faut essayer de prendre sur soi au maximum, ne pas trop se fâcher afin d’éviter les conflits. C’est un mode de vie à part et bien sûr qui, psychologiquement tout autant que physiquement, pèse sur les épaules.
Vous parvenez quand même dans cette vie polarisée autour de vos quatre enfants à vous trouver des moments à vous pour souffler un peu ?
Pas vraiment, hélas ! Ma vie a totalement changé du jour au lendemain dans son organisation. Résultat, depuis le début du confinement je fais des insomnies. Avec tout ce que l’on entend à la télévision, on est forcément inquiet pour l’avenir, alors on cogite et on ne dort pas. De jour en jour, la fatigue s’accumule. Comme le bien être des enfants passe avant tout, moi, en tant que personne, je passe au second plan. Face à eux, je dois en plus faire bonne figure, ne pas montrer mon anxiété afin d’éviter qu’elle ne soit communicative.
Vous sortez pour faire les courses je suppose, cela ne les inquiète pas trop lorsqu’ils sont seuls ?
SI forcément. En fait, ils ont surtout peur pour moi ! Ils me répètent en boucle de faire attention, me demandent dans combien de temps je vais rentrer. On sent de leur part une réelle préoccupation, une crainte par rapport à cette épidémie dont ils se sentent protégés à la maison. L’extérieur fait peur désormais !
Le président a annoncé un déconfinement progressif le 11 mai. Comment allez-vous concilier le retour au travail et le fait que vos enfants n’aillent peut-être pas à l’école tous les jours donc se retrouvent livrés à eux même ?
Personnellement, lorsque j’ai entendu que les enfants allaient retourner à l’école le 11 mai, cela m’a beaucoup inquiétée. Dans la classe, ils sont quand même plus d’une vingtaine. M’imaginer laisser mes enfants le 11 mai dans leurs classes respectives et moi retourner au travail est juste impensable. Pour cela il me faudrait des garanties que le gouvernement est incapable de me fournir. Bien sûr je me pose donc des questions vis-à-vis de mon travail. À partir du 11 mai, je ne pourrai plus être en arrête maladie donc quel sera mon avenir ? Si je me retrouve au chômage mon salaire va bien évidemment diminuer alors que mes charges, elles, resteront fixes. Que sera demain, vraiment je n’en ai aucune idée ! Je suis face à un dilemme sans véritable possibilité de le résoudre. Bien sûr, cela ne fait qu’ajouter au stress ambiant.
Rien ne nous dit en effet que le 11 mai l’épidémie aura disparu. Cela vous angoisse pour vos enfants comme pour vous ?
Avant le confinement, je laissais mes quatre enfants à l’école le matin et les récupérais le soir. Comment voulez-vous que je m’imagine reprendre ce rythme aujourd’hui ? Le ministre de l’éducation a parlé de demi-classes avec un nombre d’enfants limité à chaque fois. Mais moi, j’ai quatre enfants et, forcément, ils n’iront pas à l’école tous en même temps. Donc, je fais quoi ? Je laisse des mineurs, en situation de handicap, seuls à la maison ? Et s’ils n’ont cours qu’une demi-journée, qui ira les chercher pour s’en occuper ? Avec des telles interrogations, il est simplement impossible de me dire que je vais pouvoir travailler à nouveau. Même si la santé sera toujours plus importante que les finances, je vais vite me retrouver dans une situation pour le moins délicate.
Vos enfants ont-ils peur de la maladie, de devoir à nouveau reprendre le chemin de l’école ?
Ensemble à la maison, ils se sentent en sécurité. Ils n’ont pas la même réalité que nous face à la maladie, nous qui sommes en permanence devant les informations, le nombre de morts qui augmente chaque jour. Les plus grands, qui sont des ados, ont hâte de retrouver leurs amis alors que les plus jeunes, eux, ont quand même cette peur de l’inconnu.
Dans son dernier discours, annonçant le déconfinement le 11 mai prochain, le président Macron expliquait allouer une aide aux familles les plus modestes et demandaient aux banques de faire un effort…. Une aide de la part de l’état en cette période de crise, cela devient vital pour vous ?
J’ai entendu parler de cette aide, mais c’est quelque chose de provisoire qui, de toute façon, ne me permettra pas d’envisager l’avenir sereinement. Aujourd’hui, les enfants sont à la maison 24h/24 donc forcément ils mangent beaucoup plus, ce qui fait que le budget « alimentaire » a tout simplement explosé. À la maison, ils tournent vite en rond alors que font-ils ? Ils grignotent ! Comment voulez-vous les en empêcher alors qu’ils subissent déjà une privation de sortie, d’aller jouer avec leurs copains ? Manger est aujourd’hui pour eux devenu une activité à part entière.
Vos enfants mangeaient à la cantine pour laquelle vous receviez des aides. Je suppose que désormais avec le budget « alimentaire » qui a grimpé en flèche tous les voyants doivent être au rouge ?!
Mon budget pour les courses a tout simplement doublé, mon salaire pas ! La seule chance sur ce mois qui vient de s’écouler, c’est que je bénéficie de tickets restaurants au sein de mon entreprise avec lesquels je jongle pour faire les courses puisqu’il y a un montant plafond à ne pas dépasser. C’est une aide à court terme car n’étant plus en activité, je ne vais plus pouvoir en bénéficier et là, concrètement, va se poser la question de savoir comment je vais faire pour remplir le frigo !
Les banques et les administrations sont-elles selon vous assez à l’écoute des difficultés financières que vous rencontrez actuellement ?
Il serait bien de ne pas penser qu’aux entreprises même si elles sont le nerf de la guerre, économiquement parlant. Pourquoi ne pas geler les crédits de la population qui se retrouve aujourd’hui dans une situation financière plus que difficile ? On est là, plongé dans une situation qui nous prend toute notre énergie parce que cette épidémie fait peur, mais que sera demain ? Si les entreprises ferment, que le chômage repart à la hausse et que les comptes sont dans le rouge sans aide des banques, que ferons-nous ? Je sais pertinemment que je ne pourrai pas retravailler le 11 mai. Et si mon employeur ne peut me garder en chômage total pendant un temps et doit se séparer de moi, que vais-je devenir ?
Comment imaginer vous l’avenir ?
Il y aura forcément un avant et un après Covid ! J’ai des enfants relativement jeunes pour lesquels je me dois d’assurer une vie correcte et cela passe forcément par l’argent. Un argent qui, immanquablement, va venir à manquer ! C’est une situation vraiment angoissante. La population de Seine-Saint-Denis est en première ligne, non seulement touchée durement par l’épidémie mais aussi touchée par les difficultés financières. On voit que de plus en plus de familles ont recours aux banques alimentaires pour pouvoir se nourrir. Moi-même dans trois ou six mois, je ne sais pas du tout où j’en serai. Peut-être que, moi aussi, je devrais me résoudre à cette solution. On remarque que, dans le 93, alors que des parents se battent tous les jours pour nourrir leurs enfants, ils ne disposent pas forcément d’ordinateurs à la maison pour assurer la scolarité. Cela va conduire l’enfant en échec scolaire et forcément creuser un peu plus le fossé de la pauvreté de l’écart social. On a un peu l’impression d’être oubliés.
Maman courage!