Ils sont la force de l’ombre. Volontaires, animés par une réelle vocation et une irrépressible envie d’aider tout autant leurs collègues que les patients qui affluent vers les hôpitaux publics, les manipulateurs radios se mobilisent. Venus des établissements qui sont, pour la plupart, en sommeil, ils volent au secours de La Timone ou de l’hôpital Nord de Marseille pour assurer un roulement au sein d’équipes sur le qui-vive qui enchaînent les scanners afin de diagnostiquer l’importance des lésions pulmonaires générées par le Covid-19. Loic Mouranchon, manipulateur radio à Sainte-Marguerite, a réalisé une vidéo, devenue virale, pour mettre en lumière son métier trop peu reconnu et qui mérite bien que l’on s’y attarde. Une interview en immersion…
« Il est vraiment flagrant de constater que l’obésité est un facteur de complications chez les patients atteints par le Covid-19 »
Vous travaillez à l’hôpital Sainte-Marguerite qui tourne actuellement au ralenti au niveau de l’imagerie. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi certains hôpitaux sont « en sommeil » alors que d’autres font face à une surcharge de patients comme de travail ?
On doit effectivement laisser des places libres dans des hôpitaux dits en sommeil afin de parer à l’éventualité où ceux qui prennent en charge les patients atteints du Covid n’auraient plus assez de place pour en recevoir de nouveaux. Ces hôpitaux « sanctuaires » comme celui de Sainte-Marguerite où je travaille normalement déprogramment leurs vacations, les opérations qui ne sont pas urgentes… Certains services par contre vont récupérer des patients des hôpitaux qui se focalisent sur l’épidémie de Covid afin qu’ils puissent être traités sans risque d’être contaminés. Cela permet de désengorger la Timone ou l’hôpital Nord et laisser des lits libres pour les patients Covid. On prend des mesures afin de se préparer au mieux au pic épidémique qui devrait très prochainement arriver en région PACA.
Vous et vos collègues avez donc décidé, sur la base du volontariat, de venir épauler les manipulateurs radios des hôpitaux comme la Timone ou l’hôpital Nord qui reçoivent beaucoup de patients infectés par le Covid-19 ?!
Notre activité étant quasi nulle, nous avons souhaité nous rendre utiles en allant prêter mains fortes à nos collègues manipulateurs radios de la Timone qui font face à une arrivée massive de patients infectés. Leur vacation a quasiment doublé car de nombreux patients se présentent au service IHU (Institut Hospitalo-Universitaire) pour se faire tester car présentant des symptômes. S’ils sont positifs, ils doivent alors passer un scanner ce qui explique la forte affluence actuelle. C’est tout naturellement que nous nous sommes proposés sur la base du volontariat d’aider nos collègues comme les patients. Si l’on n’est pas utile dans de telles périodes alors à quoi sert le soignant ? C’est un peu comme si on se défilait pour aller à la guerre… C’est impossible !
Vous employez justement le terme qu’a utilisé le président Macron dans son premier discours, la guerre. Vous avez vraiment cette impression de mener une guerre contre la maladie ?
Quand on arrive à la Timone, on a deux scanners dédiés aux patients infectés et il est vrai qu’on n’a jamais vu ça. Nos collègues sont habillés en tenue de combat. On a vraiment l’impression d’arriver dans un endroit confiné, hyper sécurisé. Il y a des protocoles à respecter pour s’habiller, se déshabiller. On doit revêtir des masques, des blouses plastifiées, des gants, des surchaussures, des charlottes. C’est un univers et une ambiance très particuliers que celui dans lequel nous travaillons actuellement. Alors, oui, l’ennemi est invisible mais il n’en est pas moins là et dangereux. Une fois sur place, comme un soldat qui va au front, on avance avec pour seul objectif d’aider le plus de patients possibles.
Vous êtes, comme vous vous qualifiez, une force de l’ombre assez méconnue. Pouvez-vous nous éclairer sur votre métier ?
La profession de manipulateur radio fait partie du paramédical et non du médical. Nous sommes des soignants et n’avons pas fait des années de médecine comme le font les radiologues qui sont avant tout des médecins. Nous perfusons, piquons, savons prodiguer les premiers secours… Nous sommes un peu l’équivalent de l’infirmier dans le secteur de la radiologie. Nous réalisons les images qui, ensuite, vont être interprétées par le radiologue.
Dans la salle de scanner, vous travaillez en binôme ?
Si nous avons l’effectif suffisant oui car nous recevons parfois des patients en brancard, en lit, en réanimation qu’il faut positionner sur la table de scanner. Dans la majorité des cas, il y a une personne à la console qui n’est pas au contact des patients, une zone non infectée. Dans la salle d’attente comme dans la salle de scanner ne restera que le manipulateur qui demeure au plus près des patients. Ce manipulateur a donc, quand il finit son travail, un protocole très strict à respecter afin de ne pas contaminer le personnel. Il doit enlever ses gants en même temps que sa blouse, puis le masque, le calo, se désinfecter les mains…
Vous qui êtes en contact de patients infectés, vous faites-vous automatiquement testés ?
Non, uniquement si l’on présente des symptômes. C’est ce qui a été décidé avec l’encadrement. Pour l’instant, il n’y a qu’une interne qui a été testée positif sur la Timone ! Heureusement, aucun cas grave n’est à déplorer.
Au départ, on manquait de tests pour dépister celles et ceux qui présentaient des symptômes. On voit aujourd’hui qu’au sein de l’IHU du professeur Raoult, tout le monde peut se faire tester ?
À la Timone, effectivement, si un patient a le moindre doute, il se présente dans la file d’attente de l’IHU. Il peut alors faire un test PCR qui consiste à mettre un coton-tige dans le nez. Si le test est positif, le patient passe un scanner qui permet de constater l’étendue des lésions pulmonaires liées au Covid. En fonction de la gravité de ces lésions, on va diriger le patient vers une unité de soins adaptés ou le faire rentrer chez lui avec une surveillance.
On dit que l’obésité est un facteur qui décuple les risques de complications. Est-ce quelque chose que vous constatez ?
Il est vraiment flagrant de constater que l’obésité est un facteur de complications chez les patients atteints par le Covid-19. Avant, on réalisait un premier scanner et on renvoyait la personne chez elle si les lésions pulmonaires n’étaient pas trop graves. On l’invitait à revenir ensuite pour un second scanner de contrôle. Avec l’afflux massif de personnes touchées, on se limite désormais à un seul scanner s’il n’y a pas de détresse respiratoire. Aujourd’hui, on note que l’obésité est un facteur de risques avec, souvent, une aggravation de l’état de santé. Ces patients-là sont donc obligatoirement recontrôlés car, plus fragiles. Au niveau des images, on note que les lésions sont également souvent plus étendues.
Même si la pathologie du patient ne nécessite pas un placement en réanimation, nous n’avons pas le recul nécessaire pour savoir ce que ces lésions provoqueront sur le long terme ?!
On n’a aucun recul effectivement. Va-t-on devoir recontrôler avec un scanner les patients qui ont été touchés par le virus ? On n’en sait encore rien ! Aujourd’hui, seuls les témoignages des patients nous aiguillent un peu et ce que l’on voit c’est que la plupart d’entre eux nous disent mettre pas mal de temps pour se remettre de cette infection, même si leur état de santé n’a pas nécessité une hospitalisation. Savoir si les personnes touchées auront des séquelles à moyen ou long terme, il est bien sûr trop tôt pour le dire.
A titre personnel, vous n’avez pas trop peur de potentiellement contaminer vos proches car en contact permanent avec le virus malgré le protocole de sécurité mis en place ?
Je vis en couple et j’ai un enfant donc, forcément, on a la crainte de contaminer les personnes avec qui on vit. La première chose que je fais en arrivant, c’est enlever tous mes habits. Ne rien toucher dans la maison et filer directement dans la douche. Il faut savoir qu’à l’hôpital, nos habits « de ville » restent dans un vestiaire et ne sont donc jamais en contact avec le virus. Les blouses que l’on porte la journée en salle de scanner sont à usage unique et donc jetées à la fin de la journée. Seule la peau, les cheveux, les sourcils peuvent potentiellement véhiculer le virus et donc le ramener de l’hôpital à notre domicile. Certains manipulateurs ont bien sûr peur, mais il y a aujourd’hui assez de volontaires et d’effectifs pour ne pas avoir besoin de devoir en arriver à une réquisition de personnel.
On voit aujourd’hui beaucoup d’actions de la population qui tente d’aider le personnel soignant qui réalise un travail de tous les instants. Cet élan populaire pour votre métier, cela vous touche ?
Enormément, cet engouement pour le personnel soignant fait forcément plaisir. Après, crise ou pas crise, nous n’avons pas attendu la pandémie pour aider les gens, les soigner.
On a effectivement l’impression que la population ne se rend compte que dans cette période de pandémie qui engendre la peur du travail réalisé par le personnel soignant !
C’est vrai que l’on est sous le feu des projecteurs alors que l’on a toujours été là. J’espère qu’après cette crise, les gens ne nous oublieront pas. Quand il y a des moments difficiles pour la population, on répond présent.
Les revendications grondent depuis plus d’un an au sein du personnel hospitalier. Espérez-vous que l’élan populaire actuel sera suivi de mesures du gouvernement pour, qu’enfin, vous soyez entendus ?
Là, on est dans le dur donc on n’a pas trop le temps de penser à revendiquer quoi que ce soit. Mais c’est sûr que lorsqu’on réclame plus de moyens, on aimerait être entendus. Le gouvernement a souvent fait la sourde oreille et lorsque l’on dit qu’il manque des effectifs, on aimerait que nos réclamations ne restent pas sans réponse. Aujourd’hui, en pleine crise, on va chercher des volontaires chez les médecins et les infirmières retraités. Nous, manipulateurs radios, avons été cette année très actifs sur les réseaux sociaux pour faire valoir nos droits. La prime Buzyn était destinée au personnel des urgences et les manipulateurs radios qui travaillent justement également aux urgences n’y avaient pas droit. On s’est battu et, finalement, en 2019, on a réussi à obtenir enfin cette prime de cent euros. Mais se battre ainsi pour faire respecter ses droits, c’est du temps et de l’énergie que l’on pourrait mettre ailleurs. La vidéo que j’ai réalisée en cette période de pandémie, c’était la volonté de mettre en lumière notre métier de manipulateur radios qui, dans l’ombre, est essentiel au même titre que tout le reste du personnel soignant.