Musique

Christophe Delbrouck, Zappa sur le bout des doigts !

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Bien délicat de définir Frank Zappa sans l’enfermer dans une case, stigmatisation dont l’artiste avait une sainte horreur ! Hors-normes, génial compositeur stakhanoviste qui, malgré son décès prématuré à l’âge de 52 ans, a laissé derrière lui une œuvre pharaonique, libre penseur, avant-gardiste, fervent défenseur du premier amendement de la constitution américaine, maniant l’ironie avec une aisance déconcertante, Zappa a, au-delà de son legs musical, marqué à l’acier trempé de sa guitare et au vitriol de ses légendaires punchlines quatre décennies d’une Amérique dont il fustigeait la bienséance et la suprématie du sacro-saint dollar. Aujourd’hui, à l’heure d’une société normée, engluée dans un consumérisme poussé à l’extrême où les référents du paysage « artistique » et « médiatique » hexagonal se nomment Cyril Hanouna ou Aya Nakamura et que le président Donald, sorti des bancs de la télé-réalité, joue avec les commandes de la première puissance mondiale, on peut logiquement se demander ce qu’il reste de l’héritage de Monsieur moustache qui, de là-haut, doit rire jaune ? Pour répondre à nos interrogations, Christophe Delbrouck, véritable Saint-Simon de Sir Frank, nous ouvre les portes de la galaxie Zappa, un monde où la dérision est un dogme et la musique un travail d’orfèvre.


Le site officiel de Christophe Delbrouck

« Les extravagantes aventures de Franck Zappa » Acte 1 & 2, de Christophe Delbrouck, Le castor astral

« Zappa voulait que, dans un monde idéal, on laisse autant de chances à Led Zep qu’à Robert Wyatt »

« S’il y a un Dieu, il a vraiment merdé quand il a créé l’homme » disait Frank Zappa. Avait-il une si piètre opinion du genre humain ?

Il faut savoir que Zappa a toujours caché ses déceptions, qu’elles soient amoureuses, relationnelles ou artistiques derrière une bonne dose d’ironie et de causticité. Cette déclaration en est l’exemple parfait. Toute sa vie, il a été confronté à de multiples expériences décevantes qui, au fil des décennies, ont fait de lui un personnage de plus en plus désabusé. Cela débute par un carcan familial dans lequel il ne se sent pas du tout adapté. Zappa est en effet très tôt en rupture avec le conservatisme de ses parents. Pour son père, se destiner à la musique dépasse le cadre du simple échec de vie, c’est selon lui une quasi-hérésie, quelque chose de franchement dégradant. Frank, qui se sent marginalisé, entrera en conflit à ce sujet avec son père tout comme avec la ville de Lancaster où il grandit, là où le rythm and blues qu’il joue est encore considéré, au milieu des années 50, comme la musique du diable. Il faut savoir qu’à cette époque les patrouilles de police s’arrêtaient devant les maisons afin d’écouter si la musique diffusée au sein des foyers était légale ou non ! Pour Zappa, qui a toujours avancé dans une désillusion la plus totale, seule pourtant la musique peut répondre à l’émancipation du genre humain. Il va donc rapidement adopter cette famille des musiciens, une famille libertaire. Dès lors, il se réfugie dans la pratique d’une musique qu’il va défendre becs et ongles. Hélas, lui pour qui la liberté de parole et d’expression est l’élément clé de cette émancipation va découvrir bien vite que les médias ne sont pas équitables et n’hésitent pas à censurer une musique et des paroles jugées trop marginales. On retrouve d’ailleurs cette grande désillusion dans l’opéra rock « Joe’s Garage » en 1979 dont la thématique a pour trame une personne emprisonnée pour avoir fait de la musique et qui, à sa sortie, constate que cet art est devenu prohibé. À chaque fois que Zappa mélangeait les genres, qu’il publiait une musique considérée comme marginale, les comités d’éthique, les labels et même les médias lui contestaient ce droit.

Zappa affirmait avoir été influencé de manière positive et négative par environ 160 personnes ou groupes différents dont on trouve la liste sur son premier album « Freak Out ». Sont-ce ces influences si diverses qui expliquent le style si particulier de la musique de Zappa ?

Je pense sincèrement que s’il avait pu citer 600 noms sur la pochette, il l’aurait fait. S’il n’y en a que 160, c’est simplement par manque de place ! Zappa a, effectivement, un style atypique reconnaissable entre tous et, pour parvenir à cela, il a su assimiler quasiment tous les univers musicaux, même ceux qu’il détestait comme le Bebop. Il est parvenu à intégrer tout ce qu’il écoutait, d’Elvis à Ravel pour engendrer son propre style, fruit de tant d’influences diverses.

Sa personnalité était-elle aussi complexe que sa musique ?

Le personnage est effectivement très complexe et je suis heureux, malgré toutes mes recherches et mes ouvrages publiés, de ne pas en avoir encore fait le tour. Il y a par exemple un contraste saisissant entre le personnage privé et l’homme public. Zappa garde une part d’ombre. Face à ses grandes difficultés financières comme son procès contre la Warner qui a failli couler sa carrière ou celui pour obscénités dans les années 70, Zappa apparaît aux yeux du monde comme indestructible, continuant à manier l’ironie. On sait néanmoins que, dans le privé, il vit un cauchemar absolu et a toutes les difficultés du monde pour se remettre de ces désillusions. Ses réactions publiques ne sont qu’un paravent, un écran de protection. Son seul exutoire pour se sortir d’affaire émotionnellement, c’est de faire de la musique. Il va donc continuer à produire encore et toujours, même lorsqu’il doit 300.000 dollars. C’est ce côté vindicatif, cette faculté d’aller de l’avant qui est le plus étonnant et qui le caractérise le mieux. Même lorsqu’il se sait condamné par un cancer généralisé, il continue à se produire sur scène et, une semaine avant sa mort, il expérimente encore de nouvelles choses en mélangeant de la musique traditionnelle Mongole et de la musique contemporaine. Zappa ne s’est jamais arrêté.

Entretien

Dès le plus jeune âge Zappa est influencé par le compositeur Edgar Varèse. Est-ce dans ses œuvres qu’il va puiser la complexité de ses futures compositions ?

Si, harmoniquement, le mentor de Zappa reste Stravinsky, chez Varèse, au-delà du simple cadre de la musique, sa liberté rythmique, ses dissonances, c’est sa capacité à scandaliser les foules qui va le fasciner. Lorsque Zappa achète un disque de Varèse, c’est un choc dans tous les sens du terme. Il rentre chez ses parents et, à peine a-t-il posé le vinyle sur la platine que sa mère arrive en hurlant, lui intimant d’arrêter tout de suite ce truc inaudible. Cela lui a permis de constater le degré limité de tolérance de sa famille très conservatrice. Varèse a tant été bafoué tout au long de sa carrière que Zappa pouvait facilement s’identifier à ce pionnier qui, comme lui, n’a jamais publié que les œuvres qu’il souhaitait tout en se délectant de choquer la société. La culture classique de Zappa est incommensurable. De György Ligeti à la musique impressionniste ou atonale, tout le passionnait. Sa seule limite étant le classique baroque. Pour lui, la musique devait être soit rassurante, soit douloureuse, c’est sans doute pourquoi il ne comprenait pas Mozart.

« Libre » est-il l’adjectif qui lui correspond le mieux ?

Il a toujours été libre d’écrire tout ce qu’il souhaitait, c’est sûr. Mais notons que, depuis l’époque baroque, tous les compositeurs ont créé de la musique selon les codes en vigueur. Zappa, lui, a fait du lego avec la musique de son siècle. Le pendant de cette liberté, c’est qu’il lui a été pour le moins compliqué de faire exister sa musique dans le contexte politique qui était le sien. Dans les années 80, il a dû faire face à l’obscurantisme sous la présidence de Reagan et est même allé devant le congrès pour tenter de faire respecter ses droits. Son plus grand combat aura certainement été de faire respecter la liberté musicale aux Etats-Unis. Zappa voulait défendre le fait que ses albums méritaient d’être écoutés et que tous les compositeurs se trouvaient sur un pied d’égalité. C’était au public et non aux médias de décider.

Peut-on dire que, d’un certain point de vue, Zappa était à la musique ce que les Monty Python ont été à la télévision et au cinéma, un précurseur capable de se servir de son art et de sa maîtrise de l’ironie pour faire passer un message de fond ?

On peut surtout dire que les Monty Python ont puisé un nombre incalculable de références dans l’univers de Zappa qui, lui-même, avait été nourri à l’humour noir et au sens aigu de l’ironie de Spike Jones. Sans les opérettes de Zappa, pas de « Sacré Graal » ou de « La vie de Brian » ! Terry Gilliam était un inconditionnel de Zappa qui l’a suivi jusque dans ses enregistrements en studio et ses animations sur la série « Monthy Python’s Flying Circus » sont bourrés de références.

Frank Zappa se considérait-il au fond comme un artiste incompris ? Souffrait-il d’une reconnaissance qui n’était pas au niveau de son génie créatif ?

Il a réalisé très tôt que la filière dans laquelle il travaillait, c’est-à-dire le rock, n’était pas intellectuellement assez ouverte pour lui permettre de repousser les frontières. Cela ne l’a pas empêché, bien au contraire, d’explorer le free jazz ou la musique contemporaine avec Pierre Boulez, mais il était assez pragmatique et clairvoyant. Lorsqu’il a constaté que des albums qu’il considérait comme réussis ne lui permettaient pas d’atteindre le top 40 du Billboard, il a compris que son chemin ne serait pas rectiligne et sans embûches. En même temps, à chaque fois que Zappa a tutoyé le succès, comme avec « Hot Rats » en 1969 ou « Apostrophe » en 1974, il n’a pas su gérer la chose et est simplement passé à côté. Sa posture face aux médias n’a pas été celle requise. Zappa a en effet toujours pensé que l’incompétence des critiques musicaux était la source de tous ses maux et que, face à cela, seul son public le comprenait ; et encore, pas toujours ! Ce sentiment de persécution, d’être jugé par des personnes à son sens inaptes à comprendre quoi que ce soit, n’a cessé de croître ; surtout durant les années 80.

Entre 1966 et 1993, année de sa mort, Zappa a sorti plus de 90 albums, parfois jusque quatre la même année. Comment un artiste peut-il être aussi prolifique et inspiré ?

C’est le grand mystère qui fait tout le charme de Frank Zappa. Il y a quand même peu de gens aussi créatifs. Ce qui est sidérant avec lui, c’est cette faculté qu’il a eu à produire une musique si complexe, si diversifiée sur une si longue période et cela contre l’avis même des maisons de disques. Il réussit à placer de la musique de ballet quand on lui demande du rock, de la musique instrumentale quand on souhaite qu’il chante… bref, il est toujours là où on ne l’attend pas ! Zappa travaillait en moyenne quinze heures par jour et cela pendant quasiment quarante ans donc, forcément, comme en plus il enregistrait énormément, ça représente une production pharaonique. Il a commencé à composer des concertos dans les années 50 et, dès qu’il signe son premier contrat avec une maison de disques, il est capable de produire trois albums par an. Ses musiciens étaient d’ailleurs obligés de le freiner dans ses créations car ils n’arrivaient pas à suivre le rythme. Dès qu’ils étaient un peu moins vigilants, hop il arrivait avec de nouvelles compositions. Zappa créait de manière permanente avec une polyvalence inouïe.

Entretien

L’exigence envers ses musiciens comme envers lui-même, qui tendait vers la perfection, était-elle le maître mot de sa vision musicale ?

Dans son écriture, tout était noté sur partition avec une précision d’orfèvre en matière de timbre et d’attitude. Entre les structures du morceau prédéfinies, il voulait que chaque musicien ait son espace de liberté, un espace qui laisse transpirer la personnalité de chacun. Zappa avait besoin de musiciens à la fois excessivement brillants mais aussi malléables, à l’image de George Duke, qui ne remettait pas en cause ses compositions tout en apportant sa singularité faite de renversements d’accords. Il faut comprendre que changer de musiciens, c’était trois mois de boulot en studio et 250.000 dollars dépensés pour que les types puissent mémoriser tous les titres nécessaires pour les tournées. Cela lui demandait, au-delà de l’aspect financier, une énergie et un temps fous. Hormis les divergences de point de vue qui donnaient lieu à d’énormes prises de bec comme avec Jean-Luc Ponty, lorsque Zappa se séparait de ses musiciens, dans la majorité des cas, ce n’était pas de gaité de cœur. Il faisait toujours le choix de faire partir les musiciens avant que sa propre musique n’en souffre. Lorsque les mecs étaient moins concernés, partaient vers d’autres projets, Zappa en souffrait profondément. On a cette image intransigeante de lui, mais peu de gens savent qu’il a aidé financièrement ses premiers musiciens lorsqu’il s’en est séparé et qu’il s’est battu pour leur trouver une maison de disques. Zappa ne voulait pas que cela se sache pour ne pas altérer son image.

Pour sa dernière tournée, il avait exigé que ses musiciens connaissent par cœur plus de 100 morceaux. Peut-on parler d’une rigueur quasi pathologique et excessive ?

Au milieu des années 80, Zappa devient en effet excessif. Il décide un quart d’heure avant de monter sur scène de la setlist du soir et ses musiciens doivent s’adapter en connaissant sur le bout des doigts pas loin de 120 morceaux. Zappa devient aigri et je crois que l’émeute lors d’un concert organisé à Palerme en 1982 où la police est intervenue en tirant sur la foule et tuant plusieurs personnes a été un choc qu’il a vraiment eu du mal à supporter. À l’époque, Steve Vai, qui était son guitariste, a quitté le groupe suite à ce dramatique incident, vivant reclus chez lui dans un état dépressif profond. La vie sur la route commençait à réellement lasser Zappa.

Ses concerts sont des performances incroyables de plus de deux heures emplies d’une énorme dose d’ironie, une sorte de joyeux foutoir où pourtant tout semble maîtrisé dans le moindre détail ? Que représentait la scène pour Frank Zappa ?

Le rapport que Zappa entretient avec le public est le même que celui qu’il entretient avec ses musiciens. Si le public est amorphe, peu réactif à ses yeux, il peut arrêter un show, invectiver la foule, lui poser des questions et penser qu’il a affaire à des imbéciles qui ne comprennent rien à sa musique, à son message. La fois d’après, il va être en totale communion avec les auditeurs et leur signifier qu’ils sont son seul véritable ami. Zappa a brisé la glace jusque-là inviolable entre le musicien et son public. Il a un comportement fusionnel à tous niveaux qui lui vient probablement de ses origines siciliennes. Lorsqu’il présente une pièce contemporaine dans un concert rock, son but est d’élever le niveau culturel global. Sa hantise, c’est qu’on puisse penser qu’il n’est pas sincère dans un espace, la scène, où justement il veut entretenir quelque chose de passionnel avec son public.

L’approche de son jeu de guitare laissait une énorme part à la spontanéité, à l’improvisation ?! A-t-il selon vous modifié l’approche de l’instrument au même titre qu’Hendrix ?

Zappa n’a jamais rien compris à la complexité du jazz et à ses modulations. Son jeu de guitare est au départ issu du Blues, Blues sur lequel il vient greffer des répétitions de notes que l’on retrouve dans la musique indienne. Là-dessus, se combine un travail bruitiste tiré de la musique contemporaine. Zappa a sans conteste influencé des guitaristes dans son approche de l’improvisation. Sur scène, une fois qu’il avait fait son choix de gammes et de modes sur tel ou tel morceau, il se plaisait à marcher sur le fil du rasoir, à sortir de sa zone de confort, se mettant en danger pour pousser l’improvisation toujours plus loin, à l’image des jazzmen. Zappa a si longtemps douté de son aptitude à improviser que lorsqu’il s’est senti capable de le faire il n’a eu de cesse de pousser l’exercice toujours plus loin en assimilant encore et encore. Il a imposé quelque chose qui s’est totalement perdu dans le rock des années 80 où les solos étaient trop souvent écrits à la note près.

En studio, s’accordait-il, comme sur scène, une certaine liberté d’improvisation lors des séances d’enregistrement ?

Dans les années 60, il devait respecter un temps imparti en studio en fonction du budget qui lui était alloué. Durant cette période où tout se fait en une ou deux prises au maximum, il va donc sacrifier ses solos de guitare au profit de la composition elle-même. Dès qu’il peut enfin se concentrer sur l’impact de ses solos, il va, une fois encore, pousser la chose à son paroxysme comme sur les deux solos historiques de « Hot Rats », tant par leur durée que pour leur effet onirique. En studio comme sur scène, Zappa était guidé par l’inventivité, pour défricher des terrains où personne avant lui n’avait osé s’aventurer. Lorsque le son référent du hard-rock est celui de Black Sabbath, Zappa va installer onze micros dans le studio pour enregistrer ses prises de guitare et donner à l’instrument une couleur totalement nouvelle.

Entretien

Peu de temps après le célèbre incendie de Montreux en 1971 qui inspira Deep Purple et son « Smoke on The Water », Frank Zappa est violemment projeté de la scène, au Rainbow Théâtre de Londres, par un fan. Il passera un an dans un fauteuil roulant, vivant reclus et composant trois albums beaucoup plus tournés vers le jazz. Comment a-t-il vécu cette période éloignée d’une scène qu’il affectionnait tant ?

À ce moment-là, les galères s’enchaînent pour lui. Tout le matériel ou presque de la tournée part en fumée dans l’incendie de Montreux, son film « 200 Motels » est descendu en flamme par la critique puis, poussé par un fan mécontent, il se retrouve cloué sur un lit d’hôpital à Londres avant de passer un an sur un fauteuil roulant. Là, il décide de se couper du monde, de ne plus donner signe de vie. Plus de photos, plus d’interviews… C’est sur son lit d’hôpital qu’il commence à écrire « The Adventures of Greggery Peccary ». Dans la foulée, il compose une opérette et douze morceaux jazz. Il avait besoin de cette coupure, d’une vie en autarcie loin d’un show business qui lui sortait par les yeux. En même temps, laisser Zappa enfermé chez lui avec de l’encre de Chine et des partitions ; que voulez-vous qu’il fasse si ce n’est composer !

Pouvez-vous nous parler de la rencontre entre Zappa et Lennon qui a conduit à la performance au Fillmore East puis à la discorde entre les deux lorsque Lennon s’attribua le crédit d’un morceau signé Zappa ?

Même si Frank a relativement peu apprécié que Lennon sorte les bandes de ce concert au Fillmore en renommant les morceaux et en ne créditant pas Zappa, il n’y a jamais vraiment eu de brouille entre les deux hommes. À cette époque, on est en 1971 et tout le monde déteste Yoko Ono que l’on accuse d’être à l’origine de la séparation des Beatles. Lennon a vraiment apprécié que non seulement Zappa le fasse monter à ses côtés sur scène pour chanter, mais qu’il convie aussi Yoko pour s’exprimer et chanter librement.

La musique calibrée façon MTV, les radios FM, les clips vidéo… Frank Zappa se sentait-il en totale opposition avec le tournant qu’avait pris l’univers musical dans les années 80 ?

Zappa avait pour idée de se focaliser sur la musique classique, et plus particulièrement sur des œuvres symphoniques, pour prendre le contre-pied du business des années 80. Hélas, il a vite compris que l’aspect financier était un frein incontournable. Il s’est donc replié sur un complot anti-business afin de se moquer de la stupidité artistique ambiante. Albums parodiques, auto-parodiques et même quasi auto destructeurs, Zappa a poussé le concept très loin, si loin que certains de ses fans ont pris la chose au premier degré et se sont détournés de sa musique, vénale à leurs yeux. Pourtant, lorsqu’en guise de pied de nez au système, Zappa produit de la musique dite commerciale, il y glisse des paroles qui s’en prennent directement au gouvernement Reagan, aux prédicateurs du paysage télévisuel, il pointe du doigt le scandale de l’Iran Gate… Il espère que, justement, derrière une musique superficielle, il va réussir, par ses textes, à alerter l’opinion. Hélas, son message ne passe pas et, encore une fois, c’est pour lui une grande désillusion.

On connait le contestataire fortement engagé sur la scène politique américaine qu’il était. Pensez-vous qu’il aurait fait un bon président ?

Je ne sais pas si, dans l’absolu, il aurait fait un bon président, mais je suis sûr que s’il n’avait pas été atteint par le cancer, il serait allé jusqu’au bout de son idée pour tenter une investiture à la Maison Blanche. Face à la maladie, il avait même pensé une campagne sans se déplacer avec un système de diffusion de ses messages via les chaînes de télé. Hélas, le cancer a été plus fort que sa détermination.

Télévangélistes, scientologie, parti républicain… étaient, entre autres, des cibles privilégiées pour Zappa. Quel serait selon-vous son point de vue sur l’Amérique version Trump ?

Face à cette aberration qu’est Trump et le fait qu’il soit Président des Etats-Unis, il est sûr que Zappa serait parti au combat. Il aurait bien sûr milité pour la liberté d’expression et aurait dénoncé cette permanente tentative de contrôle de l’information de Trump et de son gouvernement.

Entretien

Le terme « industrie » musicale est-elle le symbole de la parfaite antinomie terminologique que Zappa détestait ?

Non, le fait que la musique soit promue à l’échelle industrielle et donc s’adresse au plus grand nombre n’était pas selon Zappa une mauvaise chose. Être subversif en s’adressant à la masse, il voyait cela comme une véritable aubaine. Ce sont les grains de sable dans ces rouages industriels qu’il détestait. Les décisionnaires de ce paysage musical qu’il jugeait incapables. Il ne comprenait pas, par exemple, pourquoi les directeurs de labels n’étaient pas musiciens eux-mêmes ou que les personnes en charge du marketing soient incapables de promouvoir une musique originale et novatrice comme la sienne. Zappa voulait que, dans un monde idéal, on laisse autant de chances à Led Zep qu’à Robert Wyatt.

Pour s’initier à son univers, vous conseillez de commencer par quels albums ?

S’initier à Zappa n’est pas une chose aisée. Je conseillerais néanmoins « Sheik Yerbouti » et « The Grand Wazoo » qui donnent une idée assez juste du personnage Zappa.

Et à titre personnel, si vous deviez choisir parmi tous ses albums ?

Mon album fétiche reste « Uncle Meat » que j’ai acheté lorsque j’avais 12 ou 13 ans. Cela a été un vrai choc culturel car, pour la première fois, j’écoutais quelque chose à laquelle je ne comprenais absolument rien. Je suis resté scotché ! J’aime aussi énormément « The Adventures of Greggery Peccary ». La première fois que je l’ai passé sur ma platine, je pensais que ce n’était pas à la bonne vitesse !


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