Société

Cyril Pelletier, le cigare fait un tabac !

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EntretienEntré dans les manuels d’histoire aux lèvres de Churchill, du Che ou de JFK, complément indispensable d’une vie oisive et élégante comme le soulignait George Sand, quintessence épicurienne par excellence, le cigare a été élevé au rang d’art de vivre, parfaite rupture avec une société au mode de fonctionnement chronophage. Pour profiter d’un cigare on laisse, pour une fois, le temps au temps. On retrouve le goût du partage, des préliminaires que constituent le choix du module jusqu’à son allumage, du voyage vers La Havane, Saint-Domingue ou le Nicaragua, d’un moment où, enfin, l’esprit se laisse porter par les épaisses volutes de fumée et une multitude d’arômes propices à une parenthèse enchanteresse. Loin du cliché du grand patron au volant de sa grosse berline, une nouvelle génération, plus tournée vers l’hédonisme que les Rotary Clubs, a rejoint la confrérie du cigare en quête de mentors aptes à les guider sur le chemin initiatique de la dégustation avant de se faire passer la bague au doigt. Cyril Pelletier, fondateur de la cave Art Tabac située dans le 14e arrondissement de Paris, est connu comme le loup blanc ou plutôt comme le Pitbull dans le milieu des cinq feuilles. Le Monsieur fait figure de référence depuis près de trois décennies et distille ses conseils d’expert aux novices comme aux initiés. C’est dans son magnifique fumoir, Casa Pelletier, que notre hôte nous reçoit, autour d’un cigare… Forcément !


Art Tabac : 2 Place de Catalogne, 75014 Paris

Merci à Pascal T. pour son aide précieuse et ses conseils avisés

« Parfois des jeunes viennent pour acheter un cigare à 70 euros qu’ils ont vus sur la Toile ou dans un magazine spécialisé, simplement parce qu’ils pensent que le prix fait la différence. C’est faux ! »

C’est donc en dérobant un cigare à votre grand-père qu’est née votre passion ?

C’était en 1973, j’avais treize ans. Mon grand-père était un amateur de cigares et, un après-midi, avec un copain on s’est mis en tête de lui en piquer pour s’y essayer. Je me souviens qu’il s’agissait d’un Montecristo N°4 (Cuba) que nous sommes allés fumer en forêt de Sannois. En rentrant, on a bien essayé de faire comme si de rien était, mais mon grand-père nous a attrapés et nous a dit : « Alors comme ça, on veut faire les hommes ?! » Là, il nous a donné une leçon mais pas dans le sens punition ; Il nous a simplement montrer comment on devait déguster un cigare. Cela a dû rester ancré en moi car, des années plus tard et alors que je fumais la cigarette, ne réservant le cigare qu’aux grandes occasions, je me suis souvenu de cette transmission de mon aïeul. J’avais une boîte de transports et, lorsque je l’ai vendue en 1991, j’ai eu envie de me tourner vers le cigare en ouvrant une civette. Il a fallu 18 mois pour mûrir le projet et, surtout, le mener à bien. À cette époque les tabacs et les civettes, c’était un peu une mafia sur laquelle les Aveyronnais et les Auvergnats avaient la main mise. Voyant que les choses n’avançaient pas, je suis allé frapper à la porte de Michel Charasse, homme politique et grand amateur de cigares. C’est grâce à lui que j’ai pu ouvrir Art Tabac. Au départ, je faisais Tabac, Presse, jeux… Puis, progressivement, je me suis spécialisé vers le cigare.

L’image véhiculée par le cigare a-t-elle évolué avec le temps. Est-on passé de l’homme d’affaires ou des puissants de ce monde à Monsieur tout le monde ?

Les choses ont changé et heureusement. Je me suis toujours appliqué à faire découvrir le cigare au plus grand nombre. Aujourd’hui, on a énormément de novices, assez jeunes, qui viennent à Art Tabac pour nous demander des conseils sur l’achat d’une cave, le choix de leurs premiers cigares…

Justement, quels conseils donneriez-vous à une personne qui souhaite choisir son premier cigare ?

Tout d’abord, je lui conseille de ne pas commencer par un cubain, hormis un El Rey Del Mundo Choix Supreme, tout simplement parce qu’ils sont trop forts ! S’il avale la fumée, il y a de fortes chances pour que ça le rendre malade ou qu’il ait la tête qui tourne. Pour débuter, j’oriente plutôt vers La République-Dominicaine, le Costa Rica ou bien encore le Nicaragua où l’on trouve vraiment de petits bijoux.

Tripe, sous-cape, cape… Comment se compose un cigare ?

La cape, c’est un peu la robe pour habiller la mariée ! Le plus important dans un cigare, c’est la tripe constituée de trois feuilles. Ce sont elles qui vont faire la combustion et donner le goût caractéristique du cigare composé, au total, de cinq feuilles, trois de tripe, une de sous-cape et une de cape.

Avant d’allumer un cigare doit-on le toucher, le sentir, respecter une sorte de rituel pour, disons, juger de sa qualité à froid ?

Avec un cigare, mon rituel est toujours le même. D’abord je le prends en mains, je le touche afin de voir s’il n’y a pas de trous, de nœuds, d’imperfections. Ensuite, j’allume le pied de façon uniforme afin qu’il soit bien rouge et incandescent. Alors, je le coupe et je le mets en bouche. Ça c’est pour un cigare que je connais. Pour un cigare que je découvre pour la première fois, je fais l’inverse.

Bien allumer un cigare, c’est primordial ?

Sans aucun doute. Il faut vraiment que le pied soit uniforme et souffler dessus pour le faire rougir. On peut l’allumer avec un briquet chalumeau, mais jamais avec une bougie qui pourrait déposer de la cire sur le cigare et encore moins avec un Zippo qui dénaturerait son arôme en raison de l’essence. Personnellement, j’opte pour la feuille de cèdre ou, à défaut, pour l’allumette.

Entretien

Quelles sont les règles à respecter pour déguster un cigare dans les meilleures conditions afin d’en sublimer tous les arômes ?

La condition sine qua non, c’est d’être bien dans sa tête !

Le cigare, c’est donc plus utile que le divan du psy ?!

Pour moi sans aucun doute. J’ai arrêté ma psychanalyse, ça me permet de me payer mes cigares avec les économies réalisées !

Qu’il soit végétal, épicé, terreux, grillé ou encore fruité, le cigare a un éventail d’arômes si large que tout le monde peut s’y retrouver ?!

Si vous me demandez conseil, je vous dirai que tel cigare, par exemple, aura plutôt des notes grillées. Ensuite, je ne vais pas entrer trop dans le détail car chacun a son propre ressenti. On perçoit certes le goût générique mais, pour le reste, les subtilités, je préfère que vous vous fassiez votre propre opinion. Si je vous fais fumer un Brun Del Ré (Costa Rica), vous me direz qu’on est dans le végétal. Si, au contraire, je vous dirige vers un Partagas (Cuba), vous noterez qu’on est plus sur le registre des épices, voire du cuir. Aujourd’hui, à Art Tabac, nous avons environs 400 références de cigares et je les ai bien entendu toutes testées. Comment, en effet, être de bon conseil, si on ne sait pas de quoi on parle ? Parfois des jeunes viennent pour acheter un cigare à 70 euros qu’ils ont vus sur la Toile ou dans un magazine spécialisé, simplement parce qu’ils pensent que le prix fait la différence. C’est faux ! Je peux vous conseiller des modules à 5 euros que vous allez adorer. Votre palais peut se délecter d’un plat ou d’un vin que je vais personnellement détester et vice versa sans que, pour autant, le prix n’entre en ligne de compte. Pour le cigare, c’est la même chose !

Jusqu’où se fume un cigare ?

Tous les cigares, je les fume jusqu’au bout. Même lorsqu’ils sont mauvais sur les deux premiers tiers (le foin, le divin), je me dis que le purin peut encore me réserver une belle surprise, alors je fume jusqu’à m’en brûler les doigts.

Justement dois-je l’écraser ou le laisser se consumer ?

Surtout ne jamais l’écraser ! Savez-vous qu’entre la graine de tabac que l’on plante et le cigare que vous fumez, ce sont entre 180 et 300 opérations distinctes qui sont nécessaires. Rien que par respect pour toutes celles et ceux qui ont travaillé à la fabrication d’un module, on doit laisser le cigare se consumer, mourir de sa belle mort. L’autre raison, c’est que vous l’écrasez cela sentira mauvais et que, forcément, vous vous ferez engueuler par votre femme !

Entretien

Vous considérez plus la dégustation du cigare comme un plaisir disons égoïste ou un sens du partage entre amis ? Et y a-t-il un moment pour fumer un cigare ?

Personnellement, il est très rare que je fume seul, sauf lors d’un long trajet en voiture. Le cigare, c’est un sens du partage, le plaisir d’un moment entre amis, l’envie de faire découvrir un nouveau module… Après, pour le moment, il n’y en a pas vraiment. Avant-hier, j’ai fait la soirée Sciences Po et j’ai proposé un cigare d’avant repas et un pour clore la soirée. Aujourd’hui, par contre, j’ai fumé mon premier cigare à 11 heures ; Il n’y a pas de règle, si ce n’est que comme avec le cigare il n’y a aucune accoutumance contrairement à la cigarette, seule l’envie de se faire plaisir et de passer un bon moment compte.

Comment bien choisir et entretenir sa cave à cigares et quel doit en être le taux d’humidité ?

Le taux d’humidité doit se situer entre 69 et 72%. Ensuite, l’entretien est très simple. Si la cave a été bien démarrée, c’est-à-dire, bien humidifée, il suffit de la nettoyer et de réimbiber le bois deux fois par an. Lorsque vous sortez vos cigares vous pourrez noter sur ceux-ci de petites tâches qui ressemblent à de la moisissure. Ce n’en est pas ! Le cigare est une matière vivante, organique donc qui transpire ce qui crée ces petites tâches. Il suffit donc de nettoyer le cigare en passant un pinceau que ces dames utilisent pour se maquiller.

Peut-on mélanger cigares cubains et non cubains dans une même cave ?

Bien sûr et ceux qui disent le contraire n’y connaissent rien !

Il existe le coupe cigare guillotine, le puncher et le V-cut. Cette coupe va-t-elle avoir une incidence sur la dégustation du cigare ?

Personnellement, j’utilise les dents ! Si vous coupez votre cigare avec une guillotine, on laissera passer beaucoup plus d’air alors que le V-cut permet de moins ouvrir le cigare donc d’en concentrer les arômes.

Même un non initié associera inconsciemment le cigare à Cuba. Cette image est-elle erronée ou, effectivement, ce pays reste-t-il LA référence absolue en la matière ?

En France, quand on pense vin, on pense Bordeaux. Pourtant, vous, vous allez peut-être préférer le Bourgogne. Cuba, historiquement lié aux cigares et qui n’est pas le premier pays exportateur dans le domaine, c’est un peu le Bordeaux du cigare. Chez Art Tabac, il y a 40% de cigares cubains et 60% de non cubains. Je tente au maximum de faire découvrir à ma clientèle que, justement, le cigare ne se limite pas à Cuba, loin de là.

Rhum, whisky, cognac, porto… existe-t-il des accords parfaits entre certains alcools et cigares ?

Pour moi sans conteste, ce sont le Porto et le Banyuls qui se marient le mieux avec un cigare. Ils permettent de relever certains arômes, certaines notes que l’on avait du mal à définir. Si vous êtes plus tourné vers le whisky et tout particulièrement le whisky tourbé, je vous conseillerai un CAO Amazon (Nicaragua) ou encore un Punch Punch (Cuba).

Entretien

Avec les restrictions sur le tabac, les taxes de plus en plus élevées… Comment voyez-vous l’avenir du cigare en France ?

Cela va certes faire un peu de ménage mais nul doute que les vrais passionnés, eux, seront toujours là car le plaisir aujourd’hui est rare et n’a pas de prix.

Vous avez créé des marques de cigares, dont Pitbull et Ange. Pouvez-vous nous parler de la production de ces cigares, de l’idée de départ au produit fini ?!

Pitbull, c’est mon surnom dans la profession ! J’ai créé cette marque il y dix ans qui était au départ fabriquée au Nicaragua. Comme des petits malins ont tenté de me voler le nom et le copier, je travaille désormais avec Abraham Flores à Saint-Domingue et les cinq nouveaux modules sortiront au mois de juin. Je leur ai donné le nom de mes deux enfants, Carlito (mon fils, Carl), Muchacha (ma fille, Natacha) et de mes petits-enfants Mahestro (ma petite fille Mahé), Kalou (mon petit-fils, Luka). Le dernier module, c’est Pico, mon chien. Ces cigares seront disponibles en France et en Suisse. Ils n’auront toujours pas de bague mais un fil. Le cigare Ange “Gabriel” est disponible depuis huit ans et trois autres modules vont suivre.

Aujourd’hui, je crois que les douanes font parfois appel à vos services lors de saisies de cigares afin de les authentifier. Comment reconnaît-on un vrai cigare d’un faux, sans même le fumer et lorsque la bague, elle, est d’origine ?

Un jour un client est venu à Art Tabac pour me montrer une boîte de Cohiba achetée dans une civette parisienne dont je tairai le nom. C’était des faux ! C’est l’expérience qui permet de voir s’il s’agit d’un vrai ou pas, l’œil, les imperfections, le poids… Ça ne trompe pas. Par contre, les douanes, je refuse de travailler avec ! Ce n’est tout simplement pas dans mon ADN. Quand il y a eu le procès Balkany, j’ai été convoqué car on avait trouvé un nombre important de cigares, de caves dans sa villa de Marrakech. La police voulait avoir mon avis, pensant que certains de ces cigares venaient de chez moi. Je n’ai rien dit !

Trois cigares pour bien débuter ?

Brun Del Ré (Costa Rica), El Rey Del Mundo Choix Supreme (Cuba), Macanudo Inspirado White (République Dominicaine).

Trois cigares d’exception ?

Partagas série D N°1 (Cubain), Davidoff Robusto Real Especiales (République Dominicaine), Pitbull Carlito


Raffaele de Mase du restaurant Tosca, la mer patrie
Christian Chu du restaurant Levitate, Prague en mets

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