Invités à se suicider lors de manifestations de gilets jaunes, poignardés par l’un de leurs collègues au sein même de la préfecture de Police, mettant fin à leurs jours avec leur arme de service sur leur lieu de travail ou, tout récemment, accusés d’avoir provoqué la mort accidentelle d’un livreur lors d’une interpellation musclée, les Policiers, représentants de l’ordre, sont, plus que jamais, sous les feux de projecteurs sur lesquels ils se brûlent les ailes. Sous l’uniforme, symbole purement répressif aux yeux de certains, on oublie trop souvent que se cache un humain en proie aux doutes, aux peurs, et hélas, aussi, aux débordements. C’est à visage masqué, dans un milieu où la loi du silence fait foi, que, pour Agents d’Entretiens, Marc, Policier de terrain, a accepté de nous dire toute la vérité, rien que la vérité sur le quotidien de celles et ceux qui, avec peu de moyens, doivent, souvent au péril de leur vie, faire respecter la loi.
« Le gouvernement sacrifiera toujours sans scrupule les Policiers au nom d’une pseudo paix sociale, qui n’est, en réalité, qu’un aveu de faiblesse.»
Le Président Macron demande au gouvernement de faire des propositions pour améliorer la déontologie policière, qu’en pensez -vous ?
Nous devons bien sûr respecter une déontologie et ne pas outrepasser nos droits, mais le problème, c’est que dans ce pays, on ne demande des comptes qu’aux Policiers, jamais aux délinquants !
Pour vous, la Police est-elle quelque peu abandonnée par l’état ?
C’est la sensation que nous avons tous. Si par malheur une affaire est médiatisée, ce qui est souvent le cas ces derniers temps, le gouvernement sacrifiera toujours sans scrupule les Policiers concernés, au nom d’une pseudo paix sociale, qui n’est en réalité qu’un aveu de faiblesse. En clair, le gouvernement nous demande d’aller au front, mais n’en assume pas la responsabilité.
Aujourd’hui avec les smartphones et les réseaux sociaux, tout est filmé et immédiatement mis en ligne, vous obligeant à une vigilance accrue lorsque vous devez employer la force. Y pensez-vous lors de vos interventions ?
C’est devenu une obsession. Partout, de plus en plus de gens ont le réflexe de filmer. Cela prime souvent même sur le réflexe de porter secours, ce qui est affligeant. Beaucoup rêvent de l’image qui fera le buzz sur les réseaux sociaux. Peu importe si elle tronque la vérité, peu importe les conséquences humaines. La semaine dernière encore, un manifestant m’a abordé avec l’intention de me faire prononcer des phrases contraires à mon devoir de réserve. Il me posait des questions maladroites, peu pertinentes mais polémiques. Il pensait que je n’avais pas repéré son téléphone portable en mode « microphone » activé. Bien plus que le but visé, c’est la méthode qui m’attriste.
Encore récemment, un Policier a mis fin à ses jours avec son arme de service sur son lieu de travail. La détresse chez certains de vos collègues est-elle palpable ?
Dans la Police, le nombre de fonctionnaires en détresse est indéniablement en hausse depuis des années. Les principales causes sont les mêmes depuis longtemps. Un management par la peur, la pression permanente, une dangerosité du métier accrue, une justice absente et une rémunération en décalage avec le coût de la vie. Depuis peu, s’ajoute à cela un rythme de travail chamboulé par les mouvements sociaux et l’ampleur grandissante des phénomènes de bandes de casseurs. Afin de maintenir l’ordre, le gouvernement supprime de plus en plus souvent les repos et congés, n’hésitant pas à faire travailler les Policiers sur des « doubles vacations ». Il n’est plus rare, dans certains services, de faire des journées de 16h, sans pause. Un épuisement physique et moral est vraiment palpable depuis le début du mouvement des gilets jaunes.
Justement, lors de manifestations, des gilets jaunes ont appelé au suicide des Policiers. Comment peut-on en arriver là et quel regard, vous qui avez participé à l’encadrement de ces manifestations, portez-vous sur de telles injonctions ?
Pour ma part, je ne suis absolument pas atteint par ce genre de propos. J’estime que cela serait leur accorder du crédit. Néanmoins, le gouvernement doit impérativement être attentif à ce genre de fait, les considérer comme une alerte. Une partie de la population est en train de céder aux appels répétés à l’anarchie, portés par des groupuscules.
Certains n’hésitent pas, sous couvert d’anonymat, à donner les noms et adresses de Policiers en ligne. Cette méthode de délation vous inquiète t-elle ?
On atteint là un degré de gravité digne d’un pays mafieux. C’est extrêmement choquant. Je sacrifie tant de choses, pour un petit salaire, dans un but qui me semble louable, que de telles délations me prennent aux tripes. Je me dis qu’au-delà de toute considération politique, il faut surtout un niveau de bêtise vraiment élevé pour envisager ce genre de méthode. Et mon quotidien me confirme que ce niveau ne cesse de croître. Surtout que, de l’autre côté, les photos et identités des délinquants, et même des pires des terroristes sont toujours préservées, masquées.
Depuis la vague d’émeute de 2005 dans les banlieues, on a l’impression que l’état craint un nouvel embrasement. Cela a t-il modifié votre travail dans des quartiers réputés difficiles ?
Oui, et pas que dans ces quartiers. Les délinquants se déplacent. Ils sont partout, et le risque dont vous parlez s’est répandu à tout le territoire. Toujours cette fameuse prétendue paix sociale… Qui n’est autre que la loi de la jungle, une logique mafieuse. À partir du moment où un état, une administration ou n’importe quelle institution privilégie le laxisme à l’autorité, à des fins d’apaisement, elle fait le choix de la faiblesse. Courber l’échine pour ne pas déclencher la colère de l’ennemi revient à allumer une bombe à retardement. Reculer, mais jusqu’à quand ? Le résultat est simple. De manière générale, nous, Policiers, n’osons plus. Après tout, que l’on interpelle l’ennemi public n°1 ou que l’on reste devant la machine à café, le salaire est le même. Avec dans le premier cas, un énorme risque de finir broyé par l’administration, le système pénal et surtout… le système médiatique.
Dans certaines zones sensibles, les Policiers sont souvent pris à parti. Constatez-vous qu’il existe aujourd’hui de véritables zones de non-droits ?
À chacun de se faire sa propre opinion. Nous allons partout, absolument partout. Néanmoins, il y a des quartiers où un déplacement se prépare en amont. Avec plusieurs véhicules, des dizaines de policiers, de l’équipement lourd. Casques blindés, boucliers, grenades … Et où chaque déplacement provoque des émeutes.
Avez-vous les moyens nécessaires pour faire respecter l’ordre ?
C’est une question qui mériterait un débat d’ordre financier, logistique. Mais nous sommes tous unanimes pour dire que ce qui nous fait surtout défaut, c’est le soutien hiérarchique, politique, judiciaire et médiatique. Cet arsenal-là vaut tout le matériel du monde.
Comment expliquer qu’aujourd’hui les forces de Police soient si peu considérées et respectées ?
Je pense qu’elles le sont. Non pas que les gens y vouent une passion, mais une grande majorité considère que c’est un métier qui doit être fait et le respecte au même titre que n’importe quel autre travail. Le « non respect » de la police est, je pense, un sentiment latent et non une réalité. Sentiment généré et amplifié par une quasi-totalité des médias qui ne braque ses caméras que sur une infime partie du peuple. Un effet loupe en quelque sorte. Cela donne une sensation qui ne reflète en rien le réel. Lorsque j’allume la télé, j’ai l’impression que le peuple veut ma peau de flic. Lorsque je sors en patrouille… je discute calmement avec beaucoup de monde. Attention néanmoins. Le risque, avec cet effet loupe, est que par manque de connaissance, de recul, d’éducation, certains se joignent à cette violence par pur mimétisme.
Pensez-vous courir aujourd’hui beaucoup plus de risques qu’il y a dix ans dans l’exercice de vos fonctions ?
Clairement oui. L’institution tente de dédramatiser la situation en insistant sur l’aspect isolé des passages à l’acte. Or, je pense que c’est précisément ce qui les rend très inquiétants. Avant, le danger venait du bandit identifié. Aujourd’hui, l’homme à l’air si calme, qui marche sur le trottoir face à vous, peut potentiellement vous sauter dessus. On comprend bien la difficulté pour les services de renseignements (ou d’enquêtes) d’élucider ou d’anticiper ce genre de passages à l’acte.
Un attentat a eu lieu à la préfecture police de Paris où, en interne, un membre du personnel a causé la mort de plusieurs de vos collègues. Si, même en ce lieu, un tel drame peut se produire, comment être rassuré à l’échelle nationale vis-à-vis de possibles attentats ?
Même un service de renseignements compétent, réputé, n’est finalement géré que par des humains. L’erreur est donc possible. Les leçons en seront tirées et les choses évolueront. Je n’adhère pas à la vision binaire de beaucoup de contestataires. Si l’on prend du recul, que l’on est objectif, on ne peut faire qu’un bilan positif des services de renseignements français. La perfection n’existe pas. Mais ils sont d’une efficacité admirable. Prenez l’image d’un tuyau d’arrosage qui serait criblé de trous…. Après intervention, il n’en reste plus que deux. Certes, deux de trop…. Mais le résultat atteint est déjà inespéré…. Sans ces services de renseignements, les « Bataclan » se compteraient par centaines.
Y a-t-il clairement eu, dans votre mode de fonctionnement, un avant et un après attentats de Charlie Hebdo et du 13 novembre 2015 ?
Absolument ! Comme je le disais, dorénavant, chaque citoyen ou presque est considéré comme potentiellement dangereux. La façon de patrouiller, de contrôler a changé. La sécurité est devenue une priorité. Je crois que nous avons intégré la situation à notre quotidien.