Entretiens Musique

Camille et Julie Berthollet accordent leurs violons !

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Dans un monde de la musique classique régi par des codes, voire des dogmes, les sœurs Camille et Julie Berthollet s’invitent tels des électrons libres, bousculent, interrogent, virevoltent et font souffler un vent de fraîcheur dans un paysage d’un classicisme que d’aucuns considèrent comme figé. Sur le plan musical, la discographie du duo à cordes, se plait à louvoyer entre Vivaldi et Stromae, Schubert et Julien Clerc, parfaite représentation de leur univers sonore pour le moins éclectique. Depuis la victoire de Camille en 2014 lors de la première édition de l’émission « Prodiges » sur France 2, véritable rampe de lancement vers le succès des deux adolescentes qu’elles étaient à l’époque, rien ne semble arrêter leur route vers les étoiles.

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« À la maison, on entendait autant du Bach que du Brel. »

On sait le monde de la musique classique assez conservateur. Le fait que la télé ait grandement participé à votre succès, avec cette victoire, pour vous Camille, de cette première édition, en 2014, de l’émission « Prodiges » et la reconnaissance médiatique qui s’en est suivie, fait-il que l’on vous considère un peu à part dans un monde du classique régi par des codes, voire des dogmes ?

Julie : Il est assez difficile de savoir précisément ce que les gens pensent de nous. Quoi qu’il en soit, le monde du classique nous a beaucoup appris puisque c’est de là que l’on vient, l’univers dans lequel on a grandi. Nous avons commencé toutes les deux la musique à l’âge de quatre ans, (plus loin tu dis trois ans, je l’ai surligné de la même couleur) passant par différents conservatoires. L’avis qui a toujours le plus compté pour nous, c’est celui de nos professeurs d’instruments et c’est d’ailleurs là-dessus que l’on se base pour avancer.

Le fait de mêler musique classique et variété fait forcément grincer des cordes et des dents. Que répondez-vous à ceux qui sont contre le mélange des genres ?

Julie : Personne ne nous a jamais fait part d’un grincement de dents par rapport à ce mélange des genres que nous opérons. Nous avons toujours écouté des styles très différents de musique que ce soit du classique, du jazz ou de la variété sans jamais intégrer une quelconque hiérarchie entre les genres. Ensuite, lorsque l’on joue en concert ou que l’on enregistre un disque, notre désir est que cela reflète au mieux tous ces univers musicaux qui nous ont construites et qui nous touchent. C’est la raison pour laquelle nous prenons beaucoup de plaisir à passer ainsi d’un genre à l’autre, ce qui nous a d’ailleurs énormément enrichies en tant que musiciennes. Avec le jazz, nous avons appris l’improvisation. Avec le classique, le technique et la rigueur. Ce sont là des éléments différents qui selon nous se nourrissent les uns des autres.

De Bach à Brel, de Schubert à Stromae… Sommes-nous là pour vos choix discographiques dans des musiques qui, peu importe les genres, vous touchent ?

Julie : Tout à fait ! À la maison, on entendait autant du Bach que du Brel. On se rend d’ailleurs compte en passant au crible la variété française que l’on y retrouve nombre de petits motifs qui puisent leurs sources dans la musique classique, y ayant copieusement pioché. Cela nous semble donc tout à fait naturel de mélanger ces deux genres que ce soit lors de nos concerts ou dans nos disques.

Vous jouez toutes les deux de plusieurs instruments. Était-ce un souhait motivé par le désir d’élargir le spectre de votre répertoire ?

Julie : Comme on aime la musique au sens très large du terme, savoir jouer de plusieurs instruments s’est vite avéré un atout pour passer en revue tout le répertoire qui nous touche. Camille a débuté par le violoncelle avant d’apprendre également le violon à l’âge de huit ans. Personnellement, j’ai commencé par le violon avant de me tourner aussi vers le piano. J’avais en moi ce désir de pouvoir composer et le piano me semblait l’instrument idéal pour cela. Lorsque l’on joue du violon et que vous vient l’envie d’interpréter un prélude de Chopin, le piano s’avère bien utile ! Jouer de plusieurs instruments, c’est ouvrir merveilleusement son champ des possibles.

Camille, vous avez comme le dit votre sœur, débuté la musique par le violoncelle mais étonnement, c’est pourtant au violon, dans une interprétation du mouvement « l’été » des Quatre Saisons de Vivaldi, que vous remportez en 2014 la première édition de l’émission « Prodiges » sur France 2 ?!

Camille : Je m’étais effectivement présentée dans les deux instruments comme c’est souvent le cas pour les concours. Il se trouve que, pour la sélection, le jury n’a ouvert qu’un seul fichier sur les deux que j’avais envoyés. Il s’agissait de celui où je jouais du violon. Ce n’est qu’après les présélections, lorsque je me suis rendue sur place pour participer aux auditions que, en m’entendant me présenter, le jury s’est rendu compte que le violon n’était en fait que mon deuxième instrument. Là, on m’a demandé la raison pour laquelle je ne m’étais pas présentée avec mon instrument de prédilection, le violoncelle. Finalement, on s’est rendu compte du quiproquo. La production avait simplement omis d’ouvrir l’une des deux vidéos que j’avais envoyées. Bon, finalement, il n’y a pas eu des conséquences fâcheuses puisque c’est au violon que j’ai remporté ce concours.

Vous vous souvenez ce qui, à trois ans, vous a incité toutes les deux à débuter la musique ?

Julie : On a eu la chance de baigner dans un univers musical très prégnant dès notre plus jeune âge puisque nos parents écoutaient beaucoup de disques à la maison. Ils nous ont aussi très tôt emmenées écouter des concerts de musique classique pour voir si cela nous plaisait. Il se trouve que l’on a tout de suite été réceptives. Très vite, nous nous sommes mises Camille et moi à réclamer des concerts, adorant véritablement cette expérience. Je me souviens d’ailleurs précisément d’un concert au château d’Annecy où, pour la première fois, nous avons entendu les « Quatre Saisons » de Vivaldi. Ça a vraiment été quelque chose de déclencheur car, à partir de ce moment-là, je me souviens que mon seul désir était d’être violoniste. Camille a eu un peu la même révélation avec le violoncelle et, comme vous le voyez, ce rêve ne nous a pas quittées et est finalement devenu réalité.

Justement, votre volonté d’ouvrir la musique classique à toutes les générations est-elle liée à votre propre parcours et à vos expériences comme ce concert des « Quatre Saisons » de Vivaldi au Château d’Annecy que vous évoquiez alors que vous étiez parmi les seules enfants du public présent ?

Julie : On a effectivement toujours été animées par cette envie de partager avec des personnes de notre génération toute cette musique qui nous fait vibrer depuis notre plus tendre enfance. Notre souhait le plus cher est de rendre cette musique classique accessible au plus grand nombre et c’est d’ailleurs ce que l’on tente de faire par le biais de nos concerts et de nos disques. Partager notre passion de la musique et la communiquer pour qu’elle perdure le plus longtemps possible, voilà ce qui nous anime.

Le fait d’être présentées comme « les sœurs Berthollet », d’être à deux considérées comme une entité, n’est-ce pas trop compliqué à vivre pour s’épanouir en tant qu’individualité ?

Julie : Même si, de notre point de vue, être sœurs est une force, je pense que l’on nous a toujours considérées comme deux personnes bien distinctes. Nous avons des personnalités très différentes mais complémentaires.

L’avenir musical, vous le voyez donc s’écrire longtemps à deux ?

Julie : Oh oui. On a encore plein de beaux projets à réaliser toutes les deux et dont on se réjouit d’avance.

« Les Quatre Saisons » de Vivaldi sont certainement, même pour les non-mélomanes, parmi les œuvres les plus connues de la musique classique. Pourquoi avoir choisi ces « Quatre Saisons », même si c’est avec le mouvement « l’été » que vous avez remporté « Prodiges » Camille et rebaptisées pour l’occasion « Nos 4 saisons » plutôt que de vous diriger vers des compositeurs ou pièces moins connues du répertoire afin, justement, de faire découvrir autre chose à votre large public ?

Julie : On a essayé, au-delà de ces fameuses « Quatre Saisons », de montrer une autre facette de la musique de Vivaldi puisque l’on retrouve sur cet album, « Nos Quatre Saisons », également le concerto pour quatre violons ou celui pour deux violons et cordes, cet « Estro Armonico » qui est beaucoup moins connu que les « Quatre Saisons ». Nous avons souhaité ajouter à ce disque cinq compositions pour lesquelles nous nous sommes librement inspirées de la musique de Vivaldi. Que la pièce soit connue ou pas, l’important c’est qu’elle nous touche, nous émeuve. On se plait d’ailleurs à mettre en miroir des pièces connues et d’autres un peu oubliées du répertoire. Lorsque l’on construit un programme d’album, ce qui nous motive, c’est ce désir de partage d’une musique qui nous parle et d’être capable de la transmette tout en réfléchissant à une nouvelle interprétation pour générer un album qui nous ressemble.

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Pour décider du répertoire auquel vous choisissez de vous attaquer, sommes-nous là, entre vous, dans une sorte de démocratie instinctive ?

Julie : Nous avons la chance d’avoir des goûts musicaux très similaires, ce qui fait que les choix s’opèrent de manière très naturelle. On aime d’ailleurs beaucoup se faire mutuellement écouter de la musique afin de découvrir de nouvelles choses. Aucune ne va imposer à l’autre son choix. C’est effectivement en ce sens très démocratique comme processus.

Vivaldi, c’est dans « Les Quatre Saisons » une musique avec cette faculté de reproduire la nature dans une sorte d’immédiateté, du tonnerre à l’eau qui coule. Lorsque vous interprétez un texte, avez-vous besoin de vous plonger dans un monde où vous aussi visualisez des images afin d’être au plus près de ce qu’a souhaité véhiculer le compositeur ?

Julie : Bien sûr et c’est d’ailleurs là que toute la magie de l’interprétation prend son sens. Évidemment, on va débuter par passer au crible la partition et toutes les annotations laissées par le compositeur. On remarque que Vivaldi en laisse d’ailleurs beaucoup afin de nous indiquer dans un souci de précision qui aide grandement l’interprète quant à savoir ce qu’il a souhaité transcrire avec précision. Ensuite, viennent toutes les images mentales que la partition va générer en nous et qui seront forcément différentes en fonction de l’interprète, de sa sensibilité, de sa réceptivité. C’est cette sensibilité qui fait que nous abordons tous une œuvre de manière différente et heureusement, sinon il n’y aurait qu’un seul et même disque pour chaque composition.

Les professeurs du Conservatoire de Paris que j’ai pu interviewer disent qu’il faut sacraliser le texte afin de ne pas dénaturer la pensée première du compositeur. Comment abordez-vous le texte ? En avez-vous une approche assez instinctive ?

Julie : Nous avons étudié en suivant la pédagogie inculquée par l’école Russe, pédagogie dans laquelle on apprend à vraiment être au plus près du texte, de chaque détail, de chaque indication apportée par le compositeur dans le texte, ce qui n’enlève pas pour autant une liberté physique et mentale dans la manière d’aborder l’interprétation. On est là dans le souci du détail dans toute la dimension de la musique, comme de la partition. C’est une pédagogie qui a été très formatrice pour nous au violon et que l’on a pu du reste appliquer également au violoncelle comme au piano.

Les réseaux sociaux sur lesquels vous êtes très actives, est-ce également à vos yeux un moyen de sensibiliser à la musique classique une génération qui, de prime abord, se tourne peu vers ce genre musical, le considérant plus destiné à leurs parents voire leurs grands-parents ?

Julie : Les réseaux sociaux sont pour nous une forme de liberté qui nous permet de partager une répétition, une mélodie… Tout ce que l’on souhaite montrer dans l’instant. Cela nous offre une merveilleuse liberté de création et un lien direct avec notre public. On constate d’ailleurs que, contrairement aux idées reçues, notre génération est assez réceptive à la musique classique lorsqu’elle lui est présentée avec les moyens technologiques de notre temps.

Le concert, est-ce pour vous l’aboutissement absolu, l’émotion la plus forte dont le disque n’est qu’un passage obligé pour y parvenir ?

Julie : Le disque et le concert sont deux expériences totalement différentes mais qui nous apportent autant l’une et l’autre. Sur scène, on va apprendre à gérer l’instant et à avancer dans la musique coûte que coûte. C’est un moment à part où tout retour en arrière est impossible. L’exercice du studio s’apparente beaucoup plus à une forme d’introspection. Certains musiciens adorent la scène et pas du tout l’enregistrement et, pour d’autres, c’est l’inverse. Nous, on a cette chance de vraiment prendre un plaisir énorme dans les deux exercices. C’est la raison pour laquelle, on essaye chaque année d’enregistrer un nouveau disque afin, ensuite, sur scène pouvoir le faire vivre en live. 

Cela fait un an que le monde de la musique, et plus largement de la culture, est en berne avec des salles de concerts, des musées fermés. Comment avez-vous vécu cette année particulière loin de votre public et où les concerts se sont résumés à du streaming ?

Julie : Comme tous les musiciens et les artistes, on attend que les choses puissent reprendre, que les salles de concerts rouvrent enfin car ce néant d’une année commence à sérieusement peser. La musique, c’est notre passion et notre métier et on espère vraiment au plus vite pouvoir avancer avec de nouvelles perspectives. Évidemment, on peut mettre en place de petites initiatives comme des concerts en streaming, mais cela ne remplacera jamais l’interaction directe avec le public et, surtout, ça ne permet pas au monde du spectacle de vivre. Pour l’instant, on attend comme tout le monde, même si le temps semble bien long.

N’est-il pas trop compliqué justement de trouver chaque jour la motivation nécessaire pour travailler son instrument alors qu’on ne sait toujours pas quand les concerts avec du public seront à nouveau d’actualité ?

Julie : On a toujours beaucoup travaillé nos instruments depuis que l’on est toute petite donc c’est là une forme de vie qui ne nous change pas vraiment. Mais il nous manque toute l’autre partie de notre passion que sont les concerts, les répétitions, les enregistrements… Tout ce partage qui est quand même la base.

Vous n’avez pas hésité à prendre la parole pour condamner l’attitude déplacée de certains professeurs, de chefs d’orchestre avec des mains baladeuses ou avec des regards désagréablement appuyés … Qu’est-ce qui vous a incitées à parler pour dénoncer ce harcèlement et ces agressions sexuelles dans le milieu de la musique classique ?

Julie : Il s’agissait simplement d’une question à laquelle on a répondu le plus naturellement et le plus honnêtement possible. Nous souhaitions dénoncer des faits comme des attitudes déplacées de la part de certaines personnes dans le monde de la musique classique. Après, nous restons avant tout polarisées sur la musique, ce que l’on aime faire et créer.

Votre souhait étant d’ouvrir la musique classique au plus grand nombre et surtout à la jeune génération. Si vous deviez inviter un néophyte à découvrir cette musique classique que certains considèrent encore comme passéiste, vers quelles œuvres le dirigeriez-vous ?

Julie : Le répertoire classique est si riche que la réponse dépendra forcément du jour, de l’humeur. Aujourd’hui, j’aurais envie de dire les Préludes et les Vases de Chopin par Rubinstein car cela m’a beaucoup touchée lorsque j’étais enfant.

Camille : Un concerto pour violon de Mozart qui est une musique intemporelle et si belle.

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