Enseignant et conférencier, Guillaume Kosmicki est un spécialiste des musiques électroniques, dont les deux ouvrages parus sur la question (Musiques électroniques – Des avant-gardes aux dance floors et Free parties – Une histoire, des histoires) font figure de références pour tous les aficionado de ce courant musical si intimement lié à la fête. De la théorie à la pratique, il n’y a qu’un pas que l’enseignant franchit volontiers en troquant sa tenue de conférencier pour celle de DJ Tournesol, son pseudo une fois la nuit tombée. En cette période estivale qui voit fleurir comme des champignons magiques les plus gros festivals de musiques électroniques, il était donc de rigueur de faire un tour d’horizon sur la techno d’hier, d’aujourd’hui et de demain, afin de mieux comprendre l’engouement exponentiel pour ce mouvement qui se veut d’abord libertaire. En piste !
« Le mouvement free party existe toujours, en France et ailleurs, et il se moque bien de Guetta au stade de France »
À quelle période les premières musiques dites électroniques sont-elles apparues ?
Tout dépend de ce que l’on entend par “musiques électroniques”. Historiquement, la première fois que l’on a utilisé le terme, c’était en 1951, à Cologne, en Allemagne, dans le laboratoire de la WDR, à propos d’une musique entièrement réalisée à partir de synthétiseurs. Le projet était initié par l’universitaire Herbert Werner-Eppler, le technicien Robert Beyer et le compositeur Herbert Eimert. Ils ont vite été rejoints par de nombreux autres compositeurs, comme Karlheinz Stockhausen en 1952, puis Henri Pousseur et Karel Goeyvaertz en 1954. Le projet a essaimé ensuite dans de nombreux autres pays, comme en Italie en 1955, au studio de la RAI à Milan, avec Luciano Berio, Bruno Maderna et Luigo Nono. Inutile de préciser que les musiques qui sortaient alors de ces studios, reposant sur des processus compositionnels très savants et souvent inspirés par le sérialisme intégral alors en vogue chez les compositeurs d’avant-garde, étaient très éloignées de la techno et de la house. Mais, d’un point de vue technologique, on pourrait aussi dans l’absolu parler de musiques électroniques, à partir du moment où l’on a commencé à utiliser des instruments reposant sur des nouvelles lutheries en appelant à l’électricité. Les premiers essais sont le Télégraphe musical d’Elisha Grey en 1876, le Dynamophone de Thaddeus Cahill en 1905, l’Audion piano de Lee de Forest en 1915 (l’inventeur de la triode, et donc de l’amplification d’un signal sonore), puis le ThereminVox de Léon Theremine en 1920. Dès lors, les nouvelles inventions ne vont cesser d’apparaître dans les années qui suivent, et de nombreuses œuvres de compositeurs vont intégrer ces instruments, et parfois reposer entièrement sur leur utilisation (que l’on pense par exemple à des œuvres d’Olivier Messiaen sur Ondes Martenot, ou à celles de Paul Hindemith et d’Oskar Sala sur Mixturtrautonium). L’utilisation de ces nouvelles lutheries a commencé à se généraliser dans tous les genres musicaux à la fin des années 1960, au moment où elles se sont multipliées et vendues à grande échelle (synthétiseurs Moog, puis Arp, Oberheim etc.). Au-delà des musiques savantes, le rock, le jazz, le funk, la soul et bien d’autres genres les ont alors adoptées sans discontinuer. On parle en effet couramment de “techno rock” dans les années 1970 ou d’“electro-pop” dans les années 1980. La musique électronique englobe aussi l’utilisation de l’enregistrement, non plus comme support de reproduction sonore, mais comme outil de création musicale. Au-delà du précurseur John Cage, qui a utilisé des platines de tourne-disques dans une œuvre dès 1939, les expériences ont été nombreuses à partir de la fin de la Seconde Guerre mondiale, comme la musique concrète de Pierre Schaeffer en 1948 (rejoint par Pierre Henry en 1949) ou les premiers gestes virtuoses des disc-jockeys jamaïcains à la même période, qui transformeront ce personnage en un véritable acteur musical. Les studios d’enregistrement deviennent des véritables espaces de création à la même période. Finalement, ce que l’on appelle aujourd’hui “musiques électroniques” ne se concentre que sur des musiques apparues autour de 1985, au moment où se sont très largement démocratisées les nouvelles technologies musicales, avec l’apparition du concept de “home studio”, permis par l’utilisation d’une nouvelle norme de communication entre les différents instruments, permettant de les synchroniser (le MIDI), et les premières possibilités de l’informatique musicale. Et encore, on ne parlait pas de “musiques électroniques” mais de musiques “techno” et “house”. Le terme ne s’est imposé qu’en 1995-96 en France, alors que la rave avait très mauvaise presse et qu’il fallait, pour certains organisateurs, donner des lettres de noblesse à ces musiques. Ainsi, en utilisant cette définition générique, on rattachait artificiellement cette electronic dance music à une longue tradition historique. On a vu sortir dans la presse d’énormes raccourcis comme celui qui veut que Pierre Henry soit “le grand-père de la techno”. Le lien réel qui existe entre toutes ces musiques est la technologie, et c’est surtout ce qu’il faut en retenir. Il y a aussi la tendance générale de musiques reposant sur le timbre plus que sur d’autres paramètres.
De la house de Chicago à la techno de Detroit, quelles ont été les grandes étapes de l’évolution de la musique électronique vers une musique de club ?
À Chicago comme à Detroit, où apparaissent respectivement la house et la techno, aux alentours de 1985, ces musiques sont déjà des musiques de club. Le nom de la house vient d’ailleurs de celui du club où le genre est créé, le Warehouse. On a déjà eu précédemment à San Francisco et à New York d’autres musiques électroniques de club dans le même genre, à la suite du disco, comme la hi-NRG ou le garage. Mais la différence est que la house et la techno sont des genres underground. La house naît dans les ghettos de Chicago, et elle est adoptée et fabriquée par des kids qui consacrent tout leur argent à l’achat de machines pour constituer leurs home studios. Les clubs qui la diffusent sont inscrits dans les marges, ils sont fréquentés en majorité par des noirs, et ils touchent principalement les homosexuels. L’art des DJ étant de découvrir des nouveautés qui créeront la surprise sur les dancefloors, il n’est pas étonnant que, rapidement, on entende de la house en Europe. Les précurseurs sont les pays qui possèdent déjà une forte scène électronique et une culture dance music, comme l’Espagne, l’Allemagne et la Grande-Bretagne. C’est dans ce dernier pays, du fait du gouvernement particulièrement répressif de Margaret Thatcher (qui exerce une forte pression sur la jeunesse et qui met en place de nombreuses contraintes, comme la fermeture des clubs à 2 h du matin), que naissent les raves en 1988. Rave signifie “déblatérer, battre la campagne”, il s’agit de rassemblements libres en dehors des espaces officiels (dans les friches industrielles d’un pays laissé exsangue par la crise, puis bien vite aussi en pleine nature). Le succès est gigantesque, on parle d’un nouveau “summer of love”, qui s’amplifie encore en 1989. Des disques des artistes du ghetto de Chicago sont joués devant des milliers de personnes sans qu’ils soient eux-mêmes au courant de cet engouement. Immédiatement, la house puis la techno se composent aussi en Europe.
Ambient, Drum & bass, Trance, Techno, House, Downtempo… Les sous-genres de la musique électronique sont multiples. Pouvez-vous nous aiguiller quelque peu entre ces différentes appellations et leurs racines ?
L’adoption européenne de ces musiques de danse électroniques entraîne de nombreuses fusions. Les genres évoluent très rapidement, d’autant que la technique du mix et celle du sampling favorisent grandement ces brassages d’influences. L’ambient, genre inventé en Angleterre par Brian Eno à la fin des années 1970, destiné à une écoute passive sur support, est intégré à la famille des musiques house techno au début des années 1990. C’est un genre sans tempo, planant, destiné à une écoute méditative, en marge du dancefloor. Dans le même ordre d’idées, pour une écoute plus attentive et dans l’intention d’une construction plus pointue, de sons plus recherchés, de rythmes plus complexes et de structures plus libres se crée l’Intelligent Dance Music (IDM, aussi appelée “intelligent techno” puis “electronica”). Le tempo se durcit, les sons se font plus violents pour donner naissance au hardcore, dès 1989, en Allemagne, puis en Hollande, à New York, et en bien d’autres lieux (le durcissement du son est une tendance naturelle dans tous les genres populaires). Beaucoup d’anciens musiciens de l’indus s’y retrouvent et développent le genre. En Angleterre, le breakbeat cher aux B-Boys fusionne aussi avec la techno, qui s’imprègne au passage de la culture jamaïcaine, avec des basses proches du raggamuffin et des interventions de MC (jungle en 1994, puis drum & bass suivie de nombreux autres sous-genres). La trance est la techno allemande du début des années 1990, inspirée de leur rock planant des 70’s, avec des sonorités chaudes de synthétiseurs analogiques et des emprunts à des musiques du monde, via les samples et les lignes mélodiques souvent “orientalisantes”. On parlera ensuite de “trance Goa” en 1995, mais surtout de psy trance” (terme encore utilisé de nos jours). Le downtempo, plus posé, comme son nom l’indique, est proche du hip-hop et/ou du dub jamaïcain. Il se compose de plusieurs familles proches en fonction de leurs influences : abstract hip-hop, trip-hop, electronic dub. La techno fusionne aussi avec le funk et le rock (big beat, 1997, electroclash, 2000). Ces fusions se poursuivent encore aujourd’hui et s’enrichissent sans cesse des nouvelles technologies, comme ça a été le cas durant la dernière décennie (dub step, 8-bit, minimale techno, glitch, etc.).
Avec le pionnier Laurent Garnier puis Daft Punk, Cassius ou encore Air, on a énormément parlé de French touch dans les années 1990. Pouvez-vous nous renseigner sur cette prolixe scène électronique hexagonale et son influence ?
Je suis de ceux qui ne croient pas à la justification d’une telle appellation, que je juge uniquement comme étant une étiquette commerciale. Pour la première fois, la France a réussi à exporter quelques-uns de ses artistes sur la scène internationale, et cette fierté a entraîné ce grand cocorico médiatique et la création d’une bannière. Oui, la France a eu des artistes techno de talent. Oui, Laurent Garnier, notamment, est un vrai précurseur, présent en Angleterre depuis les débuts de la house à la fin des années 1980. Oui, Daft Punk a été une vraie réussite commerciale dès leur premier album. Mais ce que l’on a nommé “French touch” est juste un tout petit groupe de créateurs parisiens, avec bien entendu un certain talent (Etienne de Crecy, Alex Gopher, Dimitri from Paris, etc.). Ils ont certes bien réussi sur la scène internationale, mais ils ne représentent pas un “son français” sous la bannière duquel on a par la suite artificiellement rajouté de nombreux noms d’artistes, dont certains étaient présents depuis bien plus longtemps (Manu le malin, Total Eclipse, Guillaume la Tortue, Olivier le Castor, Jack de Marseille, etc.). Entre parenthèses, c’est à la même époque qu’on a cité Pierre Henry comme le grand-père de la techno. On parle bien d’une house “filtrée” à la française, basée sur des samples de disco et de funk, et de la maîtrise particulière de la distorsion dans le son, d’un son particulier donc, mais je n’y adhère pas : c’est en général de la house, Air et I:Cube du downtempo…
Comme pour bien des mouvements, il semble que le succès ait tué les musiques électroniques qui, hélas, englobent aujourd’hui aussi bien les productions de petits labels indépendants que la soupe inaudible pour supermarchés. Partagez-vous ce point de vue ?
Parle-t-on d’esthétique ou de pratiques sociales ? Si c’est d’esthétique, on peut dire que, dès le début des clubs à New York, la dance music électronique a toujours oscillé entre des productions de grande écoute à diffusion gigantesque et un underground bien gardé. À chaque fois que l’underground devient mainstream, une nouvelle frange se crée ailleurs, cela semble devenir une loi naturelle dans le monde musical. Bien entendu, c’est aussi une question de génération. Notons aussi que la “soupe” diffusée dans les supermarchés fait entendre, parfois, des morceaux techno qui accompagnaient les raves les plus underground, il y a quinze ans (comme “Around the world” de Daft Punk diffusé dans les enceintes devant le poissonnier entre deux interventions de l’animateur…). Aujourd’hui, plus que jamais, avec la démocratisation des technologies et de l’informatique, des milliers de productions apparaissent sur la planète. Rien n’a donc été tué, et surtout pas la créativité. Si nous parlons de pratiques sociales : oui, la rave, puis la free party ont connu un succès gigantesque durant un temps, notamment en France, principalement entre 1995 et 2003, où parfois des milliers de personnes, voire des dizaines de milliers fréquentaient les teknivals. La masse ne peut se concilier avec l’underground, et la qualité a eu tendance à baisser. Dans ce pays, les problèmes se sont amplifiés, allant jusqu’à l’apparition de textes de loi pour gérer les évènements. On a pu aussi assister à l’intervention démagogique de certains politiques, prétendant résoudre les problèmes en les canalisant (on a alors parlé des “sarkovals”), puis les faisant ensuite oublier, une fois que la presse avait déserté le sujet. Cette fréquentation massive des free parties a ainsi été brisée. Ce n’est peut-être pas un mal en soi car, aujourd’hui, le mouvement est toujours là, bien présent, et de nombreuses fêtes s’organisent, parfois dans la clandestinité la plus totale, parfois en accord avec des propriétaires ou même des élus. Certains sound-systems continuent sur l’idée des premiers travellers qui ont apporté le mouvement : voyager pour partager leur culture, leur musique et leur mode de fête dans de nombreux pays d’Europe et au-delà.
D’un autre côté, cette flagrante scission entre les puristes des débuts et cette euro dance ne va-t-elle pas être ce qui va justement sauver les musiques électroniques ?
Le mouvement de l’underground au mainstream, je le disais, est une tendance naturelle. Il n’y a qu’à regarder l’histoire du jazz. À chaque étape, ses grands succès populaires ont généré dans les marges de nouveaux courants expérimentaux ou de nouvelles fusions. Dans ce sens, oui, on peut dire que la grande diffusion entraîne l’envie, chez certains, de créer dans des bulles en marge de tout succès commercial. Il ne s’agit d’ailleurs pas forcément des “puristes des débuts”, fort heureusement, mais aussi de musiciens tout jeunes et néophytes. Lorsque l’on pense aux premières free parties et leur esprit très libertaire et que l’on voit aujourd’hui les Guetta organiser des “fêtes” à plus de 40 euros dans des stades, ne pensez-vous pas que l’on va à l’encontre même de ce qu’étaient les racines de la musique électronique ? Je pense que les gens comme Guetta ne se sont jamais préoccupé de ces “racines” de la musique électronique (on parle là des raves et surtout des free parties). Mais il est à noter que d’autres artistes, plus underground à la base, se retrouvent aussi dans ce genre de situation. Ils font leur choix de carrière, ils ont vieilli, ce n’est pas du tout exceptionnel en soi, on l’a vu dans le monde du rock à de nombreuses reprises. Certes, il est évident que ce type d’événement au stade de France n’a rien à voir avec ce que les raves ont été : la volonté de mettre tout le monde au même niveau, ne pas promouvoir de stars, favoriser l’amateurisme, la débrouille, le Do It Yourself (DIY), ouvrir l’accès à tous, sans distinction d’appartenance sociale, de couleur ou d’argent, favoriser une communion festive sans barrière. Là était l’essence des raves. Mais il est important de préciser aussi que le mouvement free party existe toujours, en France et ailleurs, et qu’il se moque bien des Guetta au stade de France. Et puis, pour le reste, des mouvements de contre-culture, au-delà de la rave, avec ou sans musique électronique, il y en aura encore bien d’autres ! Chacun d’entre eux a une influence sur ce qui suit. De nombreuses pratiques issues de la rave ont amené d’autres visions du monde à des milliers de personnes. Chacun est libre de les utiliser à sa manière, ou pas…
D’un point de vue disons sociologique, qui étaient les habitués des premières free parties des années 1990 et quel était le message délivré par ceux et celles qui se retrouvaient en pleine forêt pour danser pendant plusieurs jours d’affilés ?
Les différents témoignages que j’ai recueillis au cours de mes recherches (depuis 1995) m’ont montré qu’ils venaient de tous les milieux : des étudiants, des jeunes en rupture de scolarité, mais aussi des musiciens, des artistes de rue, des salariés, parfois même des chefs d’entreprise… Tous ont un jour croisé une free party qui leur a fait un effet inoubliable, un choc. Certains ont alors choisi, plus ou moins rapidement, de franchir le pas et de se plonger dans cet univers à part entière. Outre les différentes valeurs évoquées dans la précédente question, les plus engagés dans la vie d’un sound-system traveller remettaient en question des normes sociales extrêmement fortes : celle du sédentarisme et celle du travail salarié. Même si beaucoup s’en défendent, il y avait une orientation politique certaine dans ce type d’engagement, principalement basée sur des idées libertaires. Il y a aussi un aspect communautaire extrêmement fort dans le choix de cette vie, même pour un temps restreint.
Les musiques électroniques (Techno, Hardcore, Acid house) ont-elles pâti de cette image de “musique pour drogués” ?
Dans certains pays, oui. En France et au Royaume-Uni, principalement. Il est notable que ce sont deux pays où la free party, donc la frange la plus clandestine de la techno, a explosé (on peut y rajouter l’Italie et la Tchéquie, du fait d’un contexte historique favorable à une recherche de liberté). La free party est en général née d’une contrainte. Dans d’autres pays, comme l’Allemagne, la Suisse, la Belgique ou l’Espagne, on n’a jamais diabolisé ces musiques, et une culture club florissante s’est mise en place, de même que de nombreux événements parfois gigantesques (festivals, etc.).
Acid, Trance, on ne peut nier un lien fort entre la construction musicale de certains mouvements de l’électro et les drogues de synthèse. D’où provient cette étroite relation ?
Il s’agit de dance music : des musiques de fête, de réjouissance ! La fête, de tout temps et en tout lieu, a toujours été le lieu de l’hédonisme, du gaspillage et de l’excès. Par exemple, on sacrifie lors d’un repas de mariage des économies amassées au travail, on boit et on mange plus que de raison, parfois à se rendre malade, on danse jusqu’à ne plus avoir de forces, on veille… Rien n’est raisonnable là-dedans, et c’est le principe même de la fête ! La fête permet de briser pour un temps restreint le poids des structures et des impératifs sociaux, soit pour s’y conforter, soit pour les remettre en question. Comme toutes les fêtes, les fêtes techno favorisent aussi ces extrêmes, et elles ont la caractéristique d’être fortement liées aux phénomènes de transe qu’elles favorisent. Au-delà des psychoactifs éventuellement consommés par certains participants, il y a bien d’autres inducteurs qui participent à ce phénomène : l’incongruité du lieu (usines abandonnées, clairières, etc.), la notion de clandestinité, l’absence de barrière public/artiste (que l’on ne retrouve évidemment pas au Stade de France !), la notion totalement différente du temps (la rave n’a pas de début et de fin, comme la musique qu’on y diffuse), l’immersion dans la foule dansante, la surstimulation sensitive (visuelle et auditive), etc.
L’évolution technologique qui permet aujourd’hui à toute personne grâce à des logiciels de se prétendre DJ du jour au lendemain a-t-elle contribué à dénaturer l’essence même du concept de mix, qui est l’une des clés des musiques électroniques ?
La démocratisation des technologies a été essentielle à l’apparition de genres électroniques comme la techno. Le home studio est le symbole de cette démocratisation, et c’est à partir de là que naissent ces musiques. Cette démocratisation se poursuit, et il serait à mon sens incongru de revendiquer une nouvelle forme d’élitisme en la fustigeant. Certes, certains sont moins doués que d’autres, il y aura toujours des artistes qui sortiront du lot, par leur inventivité, leur originalité, leur virtuosité. Ce qui m’intéresse bien plus est le fait qu’aujourd’hui, notamment grâce à ces logiciels dont vous parlez, et donc via les derniers développement des technologies numériques, on puisse fabriquer entièrement des nouveaux sons à partir de sons enregistrés (comme dans le cas de la synthèse granulaire), ou composer des œuvres totalement inédites à partir de sons enregistrés, quels qu’ils soient (à l’aide du sampling), ou encore recomposer/remixer des morceaux existants, etc. Comme l’indique François Delalande, depuis les années 1950, la musique est entrée dans un nouveau paradigme, après celui de l’oralité et de l’écrit : le paradigme électroacoustique. Après les platines et les bandes magnétiques, l’avènement du numérique amène les samplers, les logiciels de mixage, de nouvelles formes de synthèse sonore (granulaire, par modélisation, morphing, etc.) : tout peut se faire à partir de son enregistré, de plus en plus rapidement, c’est un champ immense de possibilités nouvelles. Nous n’avons pas fini d’entendre de nouvelles musiques (d’autant que ces apparitions de nouvelles technologies ne mettent jamais un point final aux anciennes, et que le son acoustique est toujours bel et bien présent) !
Alors que la frontière entre DJ et producteurs était bien établie, il semble qu’aujourd’hui, tout le monde tente de toucher aux deux registres. N’est-ce pas quelque peu dommageable ?
Je n’y vois aucun problème. Et puis, ça a toujours été le cas, les exemples sont multiples (Larry Levan, Juan Atkins, Derrick May, Richie Hawtin aka Plastikman, Manu le Malin etc.).
Pouvez-vous me citer cinq albums essentiels à vos yeux pour découvrir les musiques électroniques ?
C’est vraiment une question extrêmement difficile et frustrante. Je me lance en tentant à la fois de couvrir l’histoire et la diversité stylistique, mission impossible :
- Plastikman – Closer (Novamute, 2003)
- Daft Punk – Homework (Virgin, 1997)
- Aphex Twin – Come to Daddy (Warp, 1997)
- Liza n’ Eliaz – Liza n’ Eliaz (UWE, 2001)
- Mr Oizo – Moustache (Half a Scissor) (F-Communication, 2005)
Si vous deviez conseiller à nos lecteurs trois DJ à ne manquer en mix sous aucun prétexte ?
Pour tenter un pannel large : Jeff Mills, The Driver aka Manu le Malin, Matthew Herbert.
Quels sont, selon vous, les clubs, en France comme à l’étranger, qui gardent une âme fidèle aux racines de la musique électronique ?
La France n’a jamais été un pays possédant une culture club. Il faut plutôt aller voir par exemple du côté de l’Allemagne, de la Belgique, de la Grande-Bretagne, du Japon, des États-Unis. Mon intérêt personnel se trouve bien plus dans les fêtes libres, sous un ciel étoilé, sans mur ni barrière. C’est là que je me sens le mieux. J’ai donc du mal à conseiller des clubs, vous m’en excuserez.