« Ne dites pas que votre fils est autiste, il pourrait le devenir ! » Voilà le genre de réflexion auquel a dû faire face Laurent Savard, humoriste, avant qu’enfin le corps médical ne mette un « nom » sur les troubles comportementaux de son fils, Gabin. Ce sont ces tranches de vie, des joies aux peines, des mots blessants à l’incompréhension face à un handicap, l’autisme, dont on est encore loin d’avoir percé tous les secrets, que dévoile Laurent Savard dans son one-man-show, « le bal des pompiers » qui, depuis dix ans, met le feu aux scènes de l’hexagone. Plus que les planches, Laurent Savard souhaite fouler aux pieds les préjugés, ceux de la différence et sensibiliser des instances gouvernementales qui ferment encore trop souvent les yeux sur ces enfants pour qui les mots « liberté, égalité, fraternité », devises de notre République, ne sont que des chimères, des illusions perdues d’avance. Et si l’humour était une merveilleuse ode à l’espoir ?!
« En France, au nom de l’égalité républicaine, on voudrait que tout le monde soit dans le même moule. »
Pédiatre, neurologue, IRM… Combien de temps a-t-il fallu avant qu’un diagnostic ne soit officiellement formulé pour mettre un nom sur les troubles comportementaux de votre fils Gabin ?
J’allais dire des siècles (rires) ! Il a fallu presque quatre ans et encore, le diagnostic s’est affiné au cours des années. Au départ, nous allions consulter plein de spécialistes qui nous expliquaient que Gabin n’était pas autiste. Je me souviens d’ailleurs de sa première orthophoniste qui nous disait : « Ne dites pas qu’il est autiste, il pourrait le devenir ! » Quand Gabin est entré en maternelle, la loi de 2005 venait d’entrer en vigueur (La loi du 11 février 2005 énonce le principe du droit à la compensation du handicap et de l’obligation de solidarité de l’ensemble de la société à l’égard des personnes handicapées, ndlr). Cela lui a permis, dès l’âge de trois ans, d’avoir toute sa place à l’école alors que, justement, nous ne savions pas exactement de quel handicap il souffrait. Je me souviens là aussi très bien du médecin scolaire qui, alors que notre fils à peine entré dans la classe était déjà ressorti tant il était une vraie tornade, nous avait expliqué que s’il était autiste, cela se verrait. J’ai trouvé sa réflexion tellement folle, comme s’il suffisait d’un coup d’œil pour établir un diagnostic valable !
L’autisme étant un trouble protéiforme que l’on connait encore très mal, est-il d’autant plus compliqué de le faire reconnaître, accepter ?
L’autisme est un trouble neuro développemental. J’ai beau être humoriste ou tenté de l’être, j’ai eu un Bac C, C comme comique, qui peut paraître préhistorique pour certains, mais qui était un Bac scientifique. Cette petite formation me sert pas mal pour démêler toutes les informations concernant l’autisme. Déjà, je pense qu’il faudrait mettre le terme autisme au pluriel car, entre une personne qui a un syndrome d’Asperger, couvrant déjà un champ très vaste, et un enfant qui, comme Gabin, souffre d’une forme dite sévère d’autisme, il y a là un monde. Pour notre fils, on est quand même à fond dans le vrai handicap, un handicap que je qualifie de lourd. À 18 ans, Gabin est toujours dans un mode de communication non-verbal et s’avère sujet à de gros troubles du comportement.
La différence, cela s’apprend dès le plus jeune âge pour éviter les regards qui blessent. Pensez-vous que notre société manque cruellement d’ouverture sur toutes les différences ?
Totalement. Le point commun dans l’autisme, quel que soit son degré, c’est justement que l’on est différent. Je pense souvent à la chanson de Pierre Vassiliu « Qui C’est Celui-Là ? » et me dit qu’en France il était établi d’avoir un regard mauvais sur celles et ceux qui vous posent question. Dans d’autres cultures, comme la culture anglo-saxonne par exemple, on ne rejette pas autant la différence. En France, au nom de l’égalité républicaine, on voudrait que tout le monde soit dans le même moule. Dès l’école, qui est le premier échelon, on vous rappelle que votre fils étant à part, on va de fait bien le mettre de côté. Je dis souvent que l’on a mal à la différence. On la regarde mais on ne la comprend pas ou alors, il faut que cette différence soit finalement proche de la nôtre afin de nous rassurer. C’est la raison pour laquelle, dans les médias, on va nous vendre un autisme zéro défaut alors que, quel que soit le degré d’autisme, ce zéro défaut n’existe pas. Cet autisme que j’appelle « Amélie Poulain » est une illusion ! Sinon, on ne serait pas dans la problématique du handicap.
20 % seulement des enfants autistes sont scolarisés en milieu « ordinaire », tandis que plus de la moitié n’a accès à aucune forme d’apprentissage. Comment expliquer que, dans le pays de droits de l’homme, on soit face à de telles aberrations ?
Est-on vraiment le pays des droits de l’homme ? Je crois surtout qu’en France, on est très fort en communication mais sur le terrain, c’est tout à fait autre chose. Cet aspect m’a profondément heurté moi qui ai passé toute ma scolarité dans le système public et ai donc cru aux fameuses valeurs de la République. Je me souviendrai toujours que, dès l’école, pour Gabin, une classe de 30 élèves, c’était 29 + lui ! Pourtant je croyais que notre devise était : « liberté, égalité, fraternité. » On vous fait bien comprendre que votre enfant est le + 1, celui qui fait tache. J’ai personnellement un caractère où, lorsque l’on me ferme la porte, je passe par la fenêtre et, très tôt, la directrice d’école dans laquelle se trouvait scolarisé Gabin, bloquée par cette fameuse loi de 2005, a tenté de m’amadouer en m’offrant régulièrement le café afin, peut-être que, de moi-même, je sorte Gabin du système scolaire. Je me souviens qu’une fois, dans le bureau d’â côté, on aidait une maman sans papiers pour inscrire son fils. Moi qui suis un peu la caricature du mec de gauche, je me disais heureusement que le pauvre gamin n’est pas en plus autiste !
Vous dites : « Dans le domaine de la différence, du handicap, la France a trente à quarante ans de retard. » Quelles seraient selon-vous les mesures à prendre pour faire bouger les choses ?
Ce qui se passe au niveau du handicap n’est que le reflet de la société française et de son évolution. Ce n’est peut-être donc pas 30 ou 40 ans de retard que l’on a mais bien plus. Après, il y a eu quelques progrès depuis 10/15 ans où l’on est peu à peu sorti du domaine psychanalytique pour aborder l’autisme de manière plus scientifique. Mais ce n’est pas pour cela que la solution est trouvée ! J’ai d’ailleurs peur qu’en matière d’autisme, on ne nous montre dans les médias, par soucis de communication, que les meilleurs éléments, ceux qui réussissent. Les autres, ceux qui, par exemple, comme Gabin, une fois ado ne parlent toujours pas, on tente de les mettre sous le tapis. Les bonnes décisions, c’est avant tout un diagnostic précoce, dès 18 mois et un accompagnement, une stimulation afin de tenter au mieux de diminuer les troubles. Il faut ensuite des AESH (Accompagnant des élèves en situation de handicap) qui soient mieux formés, mieux rémunérés bien sûr et plus valorisés. Si des enfants autistes restent dans le système scolaire dit « classique » comme vous le disiez, il y en a aussi beaucoup qui hélas vont en sortir. C’est une donnée dont on ne parle pas assez. Sur les 100% d’enfants autistes en maternelle, peut-être qu’au collège seuls 30 ou 40% d’entre eux seront encore scolarisés dans le système éducatif « standard » en raison de déficiences intellectuelles, même si ce terme n’est pas beau. Pour ces enfants qui vont aller dans des IME (institut médical éducatif), il faudrait faire en sorte qu’ils ne se retrouvent pas sur une voie de garage et continuent donc à apprendre, sans que cela se limite au simple fait d’enfiler un jeans tout seul ! Ces gamins doivent pouvoir faire du sport, être stimulés de façon cognitive et être accompagnés au mieux.
Vous expliquez que Gabin est un « feu d’artifice » permanent, autiste et hyperactif, « le double effet Kiss Cool ». Comment ont évolué les troubles du comportement de votre fils entre l’écriture, il y a plus de dix ans, de votre spectacle « le bal des pompiers » qui raconte votre parcours de papa d’un enfant autiste et aujourd’hui ?
Votre question me donne le vertige car déjà, lorsque j’ai écrit le spectacle il y a un peu plus de 10 ans, je me disais « Waouh, on a vécu tout ça ! » Gabin a fêté ses 18 ans, le 13 juillet dernier, d’où le titre du spectacle « le bal des pompiers » et là je me suis dit que ce que l’on avait vécu depuis que j’ai commencé à jouer ce spectacle était juste dingue. J’ai donc fait évoluer « le bal des pompiers » en même temps que les troubles du comportement de Gabin, avec le temps, se modifiaient. Il faut bien avouer que ces derniers ont été multipliés par dix à l’adolescence, avec les hormones. À six ans, si votre enfant veut traverser la rue tout seul, vous pouvez l’en empêcher en lui tenant fermement la main. À 14 ou 16 ans, cela devient forcément beaucoup plus compliqué en raison de sa force. Vous pouvez aussi devoir faire face à des crises dues à la frustration qui naissent dans l’instant et sont compliquées à endiguer. J’ai, je crois, eu la bonne idée de très tôt mettre Gabin au sport et cela permet de contenir une partie de ses troubles du comportement. Mon fils est une vraie bombe humaine qui a besoin d’extérioriser. Je me souviens d’un ami rugbyman qui hélas n’est plus de ce monde, Tama, qui a été le seul un jour à pouvoir contenir Gabin qui voulait à tout prix descendre l’escalier. Mon fils, pour le coup, s’est retrouvé face au mur de cent kilos qu’était mon ami Tama. Hormis cet épisode, il faut comprendre que l’on n’arrête pas un Gabin en mouvement. Il aurait d’ailleurs dû faire du rugby mais les sports collectifs, c’est compliqué !
Dans « le bal des pompiers » vous évoquez le pote faussement à l’écoute du handicap, le pédiatre débordé ou l’odieuse directrice d’école… C’est à tout cela que les parents d’un enfant autiste sont confrontés ?
On s’aperçoit que c’est souvent dans les moments difficiles que vous allez en plus devoir faire face à une andouille qui va en rajouter une couche. Si vous devez gérer une crise de votre enfant en extérieur et qu’en plus vous avez des personnes qui vous regardent de travers, voire qui vous font une réflexion, vous vous dites : « Mais qu’est-ce que j’ai fait à ce monde ?! » Après, il ne faut pas faire une généralité. Gabin est un excellent testeur de connerie humaine, comme d’humanité d’ailleurs. Vous faites face à une violence du système institutionnel alors, lorsque dessus vient se greffer la bêtise humaine, le poids commence à être lourd. Comme cette remarque affligeante que je cite dans « le bal des pompiers » de la directrice d’école qui vous dit alors que votre fils n’a que quatre ans et demi : « Je n’ai pas fait ce métier pour m’occuper d’enfants handicapés ! » Cette violence-là, même lorsque je la vis, il y a toujours en moi une forme de décalage où je me dis que je suis en train de vivre un sketch. Cela me permet de prendre une certaine distance face à l’idiotie, la méchanceté.
On peut donc dire que l’humour vous a permis de soigner les maux par les mots ?
À chaque jour suffit sa peine ! Dès le matin, j’ai rechargé les batteries et je suis prêt à attaquer la journée car Gabin, lui, ses batteries sont toujours à 120%. Les idées noires, on les a toujours le soir mais hop, un petit verre de rosé en regardant un bon film et vous oubliez. C’est vrai par contre que lorsque j’ai écrit le livre « Gabin sans limites » qui narre les quatorze premières années de la vie de mon fils, les mots ont plus été là pour le coup une forme d’exutoire. J’ai d’ailleurs expliqué à ma directrice d’édition, qui avait travaillé avec Jean-Louis Fournier sur son livre « Où on va papa ? », que je me sentais incapable de relire mon ouvrage une fois paru. Sur scène, c’est différent, les mots ne font pas mal et même, étrangement, ils font rire, sourire ou pleurer car on ne peut pas rire de tout.
Vous dites : « On ne peut pas rire de tout ». Le regretté Pierre Desproges affirmait quant à lui que : « On peut rire de tout mais pas avec n’importe qui ». Vous confirmez ?
L’humour devient une discipline très glissante aujourd’hui. Pour ne parler que du handicap, je pense que l’on peut rire de tout, avec n’importe qui, mais pas n’importe comment. Ce qui m’attriste, c’est que bien souvent on s’est moqué des personnes porteuses de handicap sans leur laisser la capacité de réagir. Si je me moque de vous par exemple, cela pourra vous faire rire et vous aurez la capacité de me répondre. Gabin lui ne peut pas réagir car il ne parle pas, n’écrit pas. Je pense donc qu’il y a une forme de décence à avoir dans l’humour. Mon camarade Stéphane Guillon dirait que l’on ne tire pas sur les ambulances. J’ai été biberonné à Coluche ou aux Monthy Python et, pour moi, l’humour noir pour faire mouche doit toujours se conjuguer avec l’absurde. Se moquer gratuitement d’une personne porteuse de handicap, c’est juste très con et ce n’est donc en rien de l’humour.
Votre spectacle est devenu, de fait, militant. Quels sont généralement les retours d’un public qui, parfois, comme vous, est directement touché par l’autisme au sein de la famille ?
Je pense déjà que lorsque l’on écrit un spectacle, le message ne doit pas clignoter de manière ostentatoire. Les gens viennent d’abord voir une histoire, celle de Gabin et de ses parents et, au travers de cette histoire, ils doivent pouvoir se dire que oui c’est violent mais que, justement, l’on peut rire de cette violence dont certains font montre vis-à-vis de Gabin. Ce message entraîne ensuite une réflexion. Après, j’ai des publics très variés où certains ne viennent que pour rire par exemple et y parviennent malgré l’aspect parfois dur du spectacle. D’ailleurs la première fois que j’ai joué « le bal de pompiers » au Splendid, je n’étais pas certain de pouvoir faire rire avec un tel sujet. Je me suis aperçu avec joie que le public était touché par cette vérité que je transmets sur scène. Il y a aussi les parents d’enfants porteurs de handicap et finalement, ils valident mes propos car, bien souvent, ils ont vécu les mêmes réflexions. Je me souviens de parents d’une petite fille trisomique qui, à la fin du spectacle, étaient venus me voir pour me dire que le sketch de la directrice d’école, il l’avait vécu la veille presque mot pour mot. Sans le vouloir, on va dire que mon spectacle est un peu sociétal car même s’il date de plus de dix ans, la thématique reste hélas d’actualité.
Nous sommes actuellement et pour la deuxième fois en période de confinement. Confinement et troubles autistiques, ça se passe comment concrètement ?
C’est un peu paradoxal mais cela fait 18 ans que l’on est habitués à être confinés avec Gabin avec une vie qui n’est pas vraiment « normale ». Ça fait des années que Gabin ne peut plus aller au cinéma et il n’a jamais vraiment pu assister à un spectacle. Heureusement il a, en cette période de confinement, la possibilité de sortir plus d’une heure par jour et dans un périmètre supérieur à un kilomètre autour de notre domicile, essentiel pour sa pratique du roller. Après, le problème du confinement limite sa prise en charge éducative puisque, de fait, il voit moins de monde, fait moins de choses. Déjà qu’il nous voit beaucoup toute l’année, mais là on peut dire qu’il nous voit beaucoup trop. Comme Gabin ne porte pas le masque, je dois être très vigilant vis-à-vis des personnes que l’on peut croiser lorsque l’on sort. Gabin souffre en effet d’une déficience immunitaire et il ne faudrait pas qu’il soit contaminé par cette Covid.
Tout parent pense à l’avenir de son enfant. Justement, comment se conjugue avenir et Gabin ?
Comme je le dis dans le livre : « Moi vivant Gabin n’ira jamais dans un centre et, par prudence, j’ai donc décidé d’être éternel ! » La problématique et que, comme je ne suis pas sûr d’être éternel, disons qu’on va essayer de le préparer au mieux. L’enjeu est qu’il soit le plus autonome possible mais, en l’état actuel, Gabin ne peut pas sortir seul dans la rue. Il communique avec une tablette en alignant des pictos avec une synthèse vocale, ce qui reste très limité. Il faudra donc toujours quelqu’un à ses côtés jour et nuit. Lorsque l’on ne sera hélas plus là, moi et sa maman Marie-Lou qui joue un rôle très important, c’est la grande inconnue. Il se développe des habitats semi-autonomes ou six adultes porteurs de handicap vivent entourés d’une personne ou deux qui sont là à plein temps, alors que d’autres se relayent toute la journée. Bon, pour Gabin, il est sûr que ces personnes devront être de grands sportifs, car il faut pouvoir le suivre et l’accompagner dans un projet de vie ! Vous notez que c’est à nous de penser ce système, de le mettre en place. Ce n’est en rien quelque chose que l’on nous vend tout cuit ! D’ailleurs, je tiens à préciser que, le premier week-end de mai 2021, vous pourrez venir encourager Gabin qui participera pour la première fois aux 24h à roller du Mans. J’espère d’ailleurs que la ministre des sports, pour l’occasion, sera présente pour le soutenir.