Entretiens Société

Jean-Frédéric, face à l’autisme…

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L’autisme est un trouble comportemental protéiforme, un handicap qui, dans une société où tout est normé, a bien du mal à s’intégrer. Si la forme Asperger s’avère la plus médiatisée, des troubles autistiques beaucoup plus lourds sont souvent un frein à l’adéquation aux codes de notre monde pour de nombreux enfants comme Edgar. À treize ans, les serrures à son univers sont une complexité dont ses parents n’ont pas encore trouvé toutes les clés. Polarisées sur le handicap, les familles se voient souvent démunies, incapables de trouver une structure qui puisse répondre aux besoins de leur enfant et le tirer vers le haut tout autant que vers l’espoir d’une certaine forme d’autonomie. Jean-Frédéric qui, par tous les moyens, tente d’offrir le meilleur à son fils en inadéquation avec le système scolaire classique, nous ouvre les portes du monde selon Edgar.

« Un autiste a beaucoup de mal à se faire à notre société car il n’a tout simplement pas les clés pour accéder à ses codes, au modèle qu’elle propose. »

Comment l’autisme d’Edgar s’est-il manifesté alors qu’il n’était encore qu’un bébé ?

À 18 mois, nous avons été convoqués par le psychologue et la directrice de la crèche dans laquelle Edgar était depuis une semaine. Le psychologue nous a demandé si nous savions ce qu’était l’autisme. Son message a été : « votre fils est autiste mais la vie ne s’arrête pas pour autant ! » Même si la vie ne s’arrête pas, forcément ça a été un choc ! Edgar est notre premier enfant et, même si nous faisons ma femme et moi partie du corps médical, nous n’avions rien remarqué chez notre fils qui pouvait nous laisser penser à des troubles autistiques. Il avait une évolution normale pour un enfant de 18 mois puisqu’il commençait à dire ses premiers mots et marchait déjà depuis ses un an. Effectivement, à postériori, on se dit qu’Edgar avait une interaction avec son environnement quelque peu étrange avec cette habitude à tout tapoter avec son pouce et le fait de très peu aller vers les autres. Après cette annonce du psychologue, nous avons été dirigés vers un médecin référent sur Marseille qui lui a infirmé le diagnostic et nous a indiqué un CAMSP (centre d’action médico-sociale précoce) sur Toulon sans que, pour autant, un terme précis ne soit mis sur les troubles dont Edgar souffrait.

Comment ont évolué les symptômes autistiques d’Edgar au fil des années ?

À la crèche, on s’est vite rendu compte que notre fils jouait plus avec son ombre qu’avec les autres. Il n’avait pas de copains, n’ayant aucune relation avec les enfants de son âge. Même lorsqu’on laissait Edgar à notre famille, c’était assez compliqué car il restait dans son coin, ne se plaignait jamais et interagissait très peu avec l’autre. Edgar était souvent sujet à des crises de frustration et la sociabilité évoluant chez l’enfant avec le temps, le fait que cette sociabilité soit si peu développée chez lui a rendu son entrée à l’école très compliquée. En maternelle, on nous a expliqué qu’il était trop jeune pour bénéficier d’une AESH (accompagnant d’enfant en situation de handicap), l’école n’étant pas, à cet âge, et à l’époque obligatoire. Nous nous sommes donc rapprochés d’associations et de la MDPH (Maison Départementale des Personnes Handicapées) afin de nous renseigner et apprendre à remplir des dossiers en vue de bénéficier d’aides. Ce n’est que lorsque qu’Edgar a eu quatre ans qu’enfin nous avons pu obtenir un diagnostic précis sur ses troubles autistiques. Après une semaine passée sur Marseille, le médecin nous a confirmé un autisme modéré chez notre fils.

Il existe en effet de nombreuses formes d’autisme !

Effectivement et c’est ce qui fait qu’aujourd’hui encore on connaisse finalement très peu l’autisme. Certains enfants sont atteints de troubles qui bloquent totalement la communication, associés parfois à des troubles épileptiques qui peuvent entrainer des troubles psychomoteurs importants. D’autres enfants connaissent des troubles du spectre autistique plus légers qui sont compatibles avec une scolarité disons classique, plus connus sous le terme d’autisme Asperger. Edgar ne porte pas sur lui son handicap avec des troubles de psychomotricité légers et des troubles du comportement importants. Simplement, il ne va pas vers les autres ou alors avec une véritable complexité de l’échange.

Aujourd’hui, Edgar est un adolescent qui va à l’école sans pour autant parvenir à y trouver sa place. Comment expliquer qu’aucune structure ne prenne en charge l’autisme dont les formes, on le disait, diffèrent et sur lequel on continue à se poser de nombreuses questions ?

La connaissance a augmenté sous l’ère du président Sarkozy avec un changement de dogme. Nous sommes passés d’un dogme psychanalytique à un dogme que l’on qualifiera de plus scientifique avec une ouverture d’approche de l’autisme que l’on pouvait déjà constater dans d’autres pays. On s’est mis à aborder l’autisme comme il l’était dans certains pays d’Europe ou bien encore en Amérique du nord. À partir de là, notre société a commencé à voir l’autisme comme un handicap et non plus comme une maladie mentale qui viendrait de la mère ou serait le fruit d’une enfance disons compliquée. À partir de là, il y a eu un traitement beaucoup plus comportementaliste de l’autisme. L’autisme ayant un spectre très large, on se trouve face à une difficulté de la prise en charge de ces enfants assez étiquetés. On a tout d’abord l’école qui, malgré une plus grande aide individuelle, fait en sorte de créer des citoyens que l’on tire vers l’excellence. Nous avons beau tenter d’aider notre enfant, il n’est forcément pas en phase avec d’autres élèves sans handicap. Les troubles du comportement que connaît Edgar lui interdisent l’école telle qu’on la connaît car, forcément, dans une classe de 25 ou 30 élèves, il est compliqué d’avoir un enfant qui parle fort, jette sa chaise, est prostré et ne communique pas, pousse des cris… Bien sûr, existent des IME (Instituts Médico-Educatifs) mais, même au sein de ces instituts, il n’existe pas disons de spécialisations dans l’autisme. Nous avons, pour Edgar, fait des essais dans des IME varois et là, on nous a dit soit qu’Edgar n’allait pas assez vers les autres ou bien encore qu’il n’était pas assez handicapé et donc ne répondait pas aux critères pour une prise en charge.

On a effectivement cette impression que chaque enfant doit rentrer dans des cases même lorsqu’il s’agit de handicap. Edgar ne rentrant dans aucune de ces cases, il est très compliqué de lui trouver un institut dédié ?!

C’est vrai, notre société aime faire entrer les gens dans des cases et les troubles autistiques étant si larges, pour certains enfants comme Edgar, il est très compliqué de trouver leur place. Notre fils est par exemple capable d’apprendre pas mal de choses mais il ne parvient pas à les retranscrire. Son savoir est toujours en décalé…

Quel est justement le regard des professeurs, parents d’élèves ou bien encore des passants dans la rue face à ce handicap qu’ils ne comprennent pas forcément et qui ne se lit pas sur le visage d’Edgar ?

Ce regard existe même au sein des familles. La compréhension de ce handicap n’est pas forcément facile. On ne comprend pas pourquoi, par exemple, Edgar ne va pas venir dire bonjour, fait preuve d’un comportement difficile, voire violent, est sujet à des crises comme le dit sa petite sœur… C’est d’autant plus compliqué que physiquement, il ne présente pas de handicap flagrant. Le regard pesant, on le ressent au sein même de notre société provenant des personnes qui ne le connaissent pas. Je pense que pour les parents, le fait d’avoir un diagnostic et mettre un mot sur les troubles de son enfant est quelque chose d’important car cela nous permet de faire accepter cette différence, arrêtant de nous battre comme si notre enfant n’avait pas de handicap et que tout allait bien. On peut, à partir de ce moment-là, dire aux gens « Oui, il touche tout avec son pouce, il ne vous dit pas bonjour, mais ce n’est pas parce qu’il est mal élevé mais tout simplement parce que l’autisme est un trouble du comportement. » Alors oui le diagnostic est dur à accepter, mais il est un point de départ nécessaire pour nous permettre d’expliquer la différence de notre enfant.     

« Tout le monde est un génie, mais si on juge un poisson par son habilité à grimper dans un arbre, il passera sa vie entière à croire qu’il est stupide. » disait Albert Einstein. Penses-tu que ce soit justement l’incompréhension face à la différence qui fait que beaucoup d’autistes restent sur le bord de la route car incapables de s’intégrer à notre société formatée, à ses codes… ?

L’un des premiers apprentissages d’Edgar avec sa psychologue a été de comprendre que lorsqu’une personne lui souriait et allait vers lui, c’est qu’elle manifestait son contentement de le voir. Notre fils est obligé d’apprendre tous les codes de notre société. Un autiste a beaucoup de mal à se faire à notre monde car il n’a tout simplement pas les clés pour accéder à ses codes, au modèle qu’il propose. Après, Edgar a son propre modèle, son mode de fonctionnement. Par exemple, il est incollable sur les rues de Toulon, sur les horaires des trains, sur le nombre de ponts sous lesquels on va passer lors d’un trajet en voiture… On note d’ailleurs que certaines sociétés informatiques recrutent des personnes atteintes de troubles autistiques car elles sont capables de déceler des erreurs de programmes que d’autres ne voient pas par exemple. Là où un individu lambda ne va voir que les choses noires ou blanches et bien un autisme aura cette faculté, dans son propre mode de réflexion, à voir le gris. À la télévision et dans les médias, certains autistes Asperger ont été mis en avant, mais ce n’est là que la partie émergée de l’iceberg. Il ne faut pas oublier que beaucoup d’autres formes autistiques sont bien plus lourdes à gérer avec des enfants qui resteront chez eux et dont les parents devront s’occuper toute leur vie durant.

La petite famille au complet en vacances…

Edgar demande une surveillance de quasi tous les instants, cela est forcément, je suppose, une charge lourde qui nuit au couple, aux sorties au restaurant en amoureux, aux week-ends, aux dîners chez des amis… ? Comment parvenez-vous à vivre, ta femme et toi, perpétuellement focalisés sur votre fils ?

Face à l’autisme d’un enfant et plus largement du handicap, je crois que pas loin de 80% des couples se séparent. Pour nous, Edgar a plus été un liant, un moteur dans le couple. Les troubles autistiques mobilisent tellement d’énergie que l’on a trouvé ma femme et moi une sorte de fonctionnement d’équipe pour aider Edgar au quotidien. Après, pour le couple, le handicap d’un enfant est forcément compliqué à gérer car nous sommes de fait entièrement polarisés sur lui. Edgar a aujourd’hui treize ans, âge où l’on devrait pouvoir le laisser à la maison pour effectivement s’accorder une bulle d’air, un restaurant, un week-end… Mais cela est bien évidemment impossible. Notre enfant a besoin de nous en permanence et il le dit, ce qui nous fait vivre quelque peu en vase clos. Alors oui, on s’accorde des bouffées d’oxygène mais elles sont individuelles et non communes au couple. Edgar a une petite sœur et il faut bien comprendre que notre vie est réglée tel du papier à musique. On doit être à la maison avant le coucher du soleil. Le week-end, il faut être levés à 8H00 pour aller chercher le pain à 8H30 en passant devant le portail vert à 8H33… Tout doit être respecté à la minute près. La famille, c’est quand même le but d’une vie donc ma femme et moi cherchons ce qu’il y a de mieux pour Edgar. On se fixe un but commun, ce but commun qui rapproche le couple. Après, heureusement, en France, il y a des aides avec une « nounou » qui vient garder votre enfant lorsque vous êtes au travail. Le problème, c’est que l’on a tendance à nous fermer, à moins sortir, à entrer dans un train-train où l’on se plie aux volontés de l’enfant pour éviter autant que possible ses crises. Heureusement, l’aide de la famille et des amis est essentielle.

À 13 ans, Edgar ne va plus que quelques heures par jour à l’école car le système d’enseignement proposé n’est en rien adapté à son « handicap ». Si ton fils devait être totalement déscolarisé, comment ferais-tu face à l’impossibilité de lui trouver une structure adaptée, capable de le tirer vers le haut ?

Je pense hélas qu’à terme ma femme ou moi devrons tirer un trait sur notre carrière professionnelle. On sera alors à la maison avec tous les problèmes que cela induit, cette vie en autarcie qui est un frein à l’évolution d’Edgar. Cet enfant a besoin au maximum de s’ouvrir sur l’extérieur afin de pouvoir espérer trouver des pistes dans le milieu associatif et des structures adaptées à son avenir. Le problème, c’est que de par son fonctionnement, Edgar a tendance à nous couper quelque peu du monde puisque pour lui tout contact est difficile. On savait que le collège allait être quelque chose de compliqué et, effectivement, cela a duré trois jours avant qu’Edgar ne pose des problèmes par son comportement à l’enseignante et aux autres élèves. On pensait que l’IME allait être la solution miracle mais après plusieurs essais, on voit bien que, là-aussi, c’est loin d’être évident en raison de ses troubles. Actuellement, on vit vraiment au jour le jour.

Aujourd’hui Edgar est un adolescent mais je suppose que vous vous posez de nombreuses questions sur l’avenir. « Espérer c’est démentir l’avenir » disait Cioran. Est-ce hélas un peu votre état d’esprit aujourd’hui ?!

On se pose forcément énormément de questions car, par le biais des associations, on voit bien que beaucoup d’enfants, même en devenant des adultes, sont obligés en raison de leur handicap de rester avec leurs parents. Le schéma logique de la vie est que les parents partent avant les enfants donc, forcément, on s’interroge sur ce que sera son avenir. Edgar pourra-t-il avoir une vie de couple et disons-le clairement une vie sexuelle ? Pourra-t-il s’intégrer par le biais du travail ? Devrons-nous vivre avec lui sans qu’il ne puisse prendre un jour son indépendance ? Ce sont là tout autant de questions auxquelles nous ne sommes hélas pas à même de répondre ! Alors oui, on voit le pire mais plus Edgar grandit et plus nous sommes hélas poussés vers ce pire même si, depuis qu’il est petit, on se bat pour tenter de lui offrir le meilleur. Avec l’âge, le handicap de l’enfant ne fait que grandir avec lui.

Edgar et sa petite soeur…

Tu m’avais parlé d’un papa qui, après le décès de sa femme, dans un geste de désespoir, avait tué son fils autiste avant de mettre fin à ses jours. Comment peut-on, en 2020, arriver à un tel état de détresse qui conduit à commettre l’irréparable ?

C’est hélas le manque de confiance en l’avenir et en notre société qui ont conduit à ce drame. Il s’agissait d’une famille qui vivait d’une manière quasi totalement autarcique et, après le décès de son épouse, cet homme s’est senti seul, perdu, sans espoir et a donc commis l’irréparable dans un geste de total désespoir. Il est primordial pour les familles qui font face au handicap de couper cette vie en autarcie. Je lisais dernièrement l’interview d’une autiste Asperger qui expliquait s’en être sortie grâce au milieu associatif qui l’a poussée à ouvrir des portes et à s’ouvrir aux autres. Même si Edgar n’a pas cette capacité d’ouverture, c’est à nous de tenter, pour lui, de trouver les clés vers une certaine émancipation. Il est primordial que notre enfant parvienne à trouver sa place dans la société.  

Résignation, colère, fatigue… Y a-t-il malgré tout cela des lueurs d’espoir ?

Edgar est un enfant très attachant, capable du meilleur, plein d’un amour qu’il parvient à nous communiquer… Il faut se dire qu’il y a toujours pire avec des enfants qui connaissent des handicaps bien plus lourds. Lui nous amène certes des difficultés, mais des difficultés qui sont surmontables. Après, l’état fait quand même des choses et je dirai qu’heureusement que cet enfant est né en France. Même si tout n’est pas parfait, des moyens nous sont donnés. Après, on pourrait peut-être diriger ces moyens financiers autrement, vers le milieu associatif par exemple. La scolarisation à tout prix, c’est bien mais alors il ne faut plus voir l’école comme une excellence qui pousse tout élève vers le Bac mais plus comme une école de la vie avec des enfants de toutes les couleurs, des handicapés… Apprendre à vivre tous ensemble est plus important à mon sens que la course aux bonnes notes. Il est important de sensibiliser au handicap dès le plus jeune âge. Je le vois lorsqu’Edgar croise des enfants avec lesquels il était en maternelle, ces enfants, qui ont grandi aujourd’hui, viennent vers lui, joue avec lui… Ils n’ont aucun a priori, aucune moquerie à son égard. Intégrer la différence dès le plus jeune âge, c’est éviter de la pointer du doigt plus tard.

Si tu avais la possibilité de faire passer un message au président de la République, que lui dirais-tu pour tenter de faire bouger les lignes vis-à-vis de l’autisme ?

Je crois qu’il est important de faire plus attention aux paroles des familles. Revoir les différentes structures dédiées au handicap et redéfinir les coûts qui en incombent. S’apercevoir que l’on pourrait redynamiser l’aide à domicile en bonifiant ces emplois par de la formation et une revalorisation des salaires. Que l’on mette également en place des structures plus petites, associatives et beaucoup moins étatiques afin de pouvoir développer des actions au niveau de la famille.

Olivier Bellin, mère en vue !
Dweezil Zappa, au nom du père… et du fils !

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