Quoi, comment, qu’entends-je… Vous ignorez ce qu’est le Death Metal, divin exutoire musical a une violence contenue ?! Pour celles et ceux dont le conduit auditif ne serait pas encore au fait de cette mélopée d’outre-tombe, imaginez une bande de zombies sous EPO, échappés d’un film de Romero, ayant eu la soudaine et inspirée idée de s’accorder un bœuf saignant dans tous les sens du terme. Fermez les yeux ! Vous l’avez là ? Non ?! Pour vous faire une représentation plus précise de la chose, gageons qu’une écoute du testamentaire « Cause of Death » signé Obituary, véritable fer de lance du genre depuis 1984, sera sans nul doute l’occasion de gagner l’amitié des voisins de votre copropriété. John Tardy, membre fondateur du groupe floridien et dont l’organe vocal ferait passer le feulement de Shere Khan pour une complainte de Farinelli, sort de sa caverne pour répondre à nos questions. Quand la mort vous va si bien…
“La mort est un excellent fonds de commerce ! »
Pour celles et ceux qui vivraient dans une cave et n’auraient pas entendu parler d’Obituary ; Si je dis riffs de guitares saignants, arrangements complexes et cris gutturaux, suis-je assez proche de ce que ton groupe est musicalement ?
(rires) Nous sommes les hommes des cavernes du metal, on peut le dire ! Notre musique n’est en rien complexe, c’est du pur heavy.
Lorsque tu regardes dans le rétroviseur, ça fait quoi d’être l’un des groupes fondateurs du Death Metal ?
On était si jeunes lorsque l’on a commencé le groupe que l’on ne savait pas réellement ce qu’on faisait. On jammait histoire de passer le temps et puis, comme il a fallu trouver un chanteur et vu qu’il n’y avait personne dans le coin pour s’y coller, j’ai donc endossé le rôle. C’est plus la facilité qu’autre chose d’ailleurs qui m’a poussé à prendre le micro. On ne pensait pas enregistrer un album à vrai dire et puis les choses ont commencé à prendre et on s’est donc lancé un peu plus sérieusement dans l’aventure. Aujourd’hui, effectivement, en regardant dans le rétroviseur, on se demande comment on a pu parcourir tout ce chemin et passer ainsi les décennies avec toute cette évolution de la musique liée à l’apparition d’Internet.
La découverte du groupe helvète Celtic Frost a-t-il été une source d’inspiration au début d’Obituary ?
Quand nous étions ado, le groupe Savatage était originaire du même coin que nous et leur musique nous a pas mal influencés. Ils ont été une vraie source de motivation, l’élément déclencheur qui nous a poussés, nous aussi, vers la musique heavy. Après, effectivement, on a commencé à écouter en boucle des groupes comme Celtic Frost ou Slayer qui avaient une approche musicale encore plus agressive et là on s’est dit : « Ah ouais, c’est vers cela que l’on veut tendre. Un truc vraiment brutal ! »
Lorsqu’un groupe de metal sonne un peu différemment que le courant auquel il est censé appartenir, on a cette fâcheuse tendance à lui coller une étiquette, créant, de fait, un sous-genre. Ne penses-tu pas que quel que soit le nom que l’on colle sur un groupe issu du heavy metal, les racines communes sont celles nées avec Black Sabbath à la fin des années 60 ?
Personnellement, j’écoute tant de styles musicaux différents qu’il est difficile de dire qu’il n’y a qu’une seule et même racine commune. Il est sûr effectivement que Black Sabbath étaient les pionniers du genre et que beaucoup de groupes de metal ont pris racines sur les bases posées par Ozzy et ses potes. Après, tu sais, même certains passages des Beatles étaient très rock et je pense que la suite n’a été qu’une progression qui, petit à petit, a amené la musique à défricher des territoires nouveaux, de plus en plus heavy. Aujourd’hui les groupes se lancent dans une surenchère technique et les compos tournent parfois à la démonstration là où nous, comme je te le disais, on a une approche beaucoup plus basique, un côté hommes des cavernes. C’est vrai qu’aujourd’hui dès qu’un groupe sonne un peu différemment que le genre auquel il est censé appartenir, on a cette fâcheuse tendance à lui coller une étiquette alors que pour moi tout ça, c’est du heavy metal et rien d’autre.
Si certains considèrent ta musique comme une synthèse de la violence, quelle est ta propre définition de la violence ?
La violence est, par définition, quelque chose que personne n’a envie de voir. À l’écoute, les gens peuvent penser que notre musique est violente et, forcément, dans un certain sens elle l’est. Mais elle ne reflète pas les hommes que nous sommes. Nous ne sommes pas violents, attirés par le satanisme ou ce genre de trucs. C’est un peu comme quand tu regardes un film d’horreur. Tu joues à te faire peur en sachant très bien que ce n’est qu’une fiction. Notre musique est perçue comme violente par certains et les paroles sont en adéquation avec ce son très lourd qui est le nôtre. Cela serait complètement absurde que mes paroles parlent des gens qui courent sur la plage ou de choses légères car il y aurait là un grand écart complètement stupide entre le fond et le forme. Il ne faut pas prendre mes textes noirs, agressifs au premier degré mais avoir un certain recul en se disant qu’ils sont juste la continuité de notre musique, rien de plus.
Tu disais que, par définition, la violence est quelque chose que l’on ne veut pas voir. Considères-tu que la société américaine soit violente à un peu plus d’un mois de l’élection présidentielle ?
Je crois que la violence actuelle de notre société dépasse largement le simple cadre des Etats-Unis. Il règne aujourd’hui un climat de violence mondiale qui, visiblement, ne fait que croitre au fil des années. Il y a aujourd’hui des vagues de protestations dans le pays et, lorsque tu regardes les infos, tu as l’impression que les Etats-Unis s’embrasent. Même si le climat est lourd car, forcément à un peu plus d’un mois des élections les choses bougent, ici en Floride, je n’ai pas vu la moindre manifestation. Il faut donc toujours prendre un peu de recul vis-à-vis des images que te montrent les médias. Les problèmes raciaux ne datent hélas pas d’hier aux US et franchement, tout le monde aimerait que, dans un monde idéal, on puisse vivre en paix, sans discrimination. Je crois qu’aujourd’hui, dans ce monde un peu fou et avec cette crise de la Covid, les gens ont surtout envie de garder leur boulot, de passer du bon temps en famille et de regarder un match le dimanche en sirotant une bonne bière.
Regarder un match des Dolphins de Miami bien entendu !
(rires) Oui bien sûr puisque je suis un grand fan de cette équipe ! D’ailleurs nous avons aménagé un studio d’enregistrement dans la maison et on a mis plein de télés au mur pour regarder en boucle les matchs qui passent sur toutes les chaînes. Ça et un frigo rempli de bières, c’est notre principale source d’inspiration pour composer.
Beaucoup de groupes de Death ont poussé le genre dans quelque chose plus « satanique » et où la virtuosité instrumentale est au cœur du débat là où Obituary a gardé la même formule d’un heavy metal très minimaliste et mi-tempo. On ne change donc pas une équipe qui gagne ?
J’ai fondé ce groupe avec mon frère et je crois qu’au-delà de notre propre relation, on voit le groupe comme une vraie famille. Si Franck (Watkins/basse) et Ralph (Santolla/guitare), n’étaient pas hélas décédés, je pense que nous serions aujourd’hui encore comme à nos débuts. On a toujours les mêmes mecs qui nous accompagnent sur les tournées, le même ingénieur du son… Rester fidèles à nos racines, c’est important. Musicalement, c’est la même chose, puisque la recette fonctionne depuis les débuts d’Obituary et qu’elle nous plait, pourquoi irait-on la changer ? En ce moment, on bosse sur des compositions pour un nouvel album et, là encore, on garde le même processus de création. On traine ensemble dans le studio, on discute, on regarde la télé, on joue de la musique, on boit des bières… C’est ainsi que l’on a toujours procédé et, de toute façon, on ne sait pas faire autrement. Le changement, c’est quand tu te cherches. Nous, on s’est trouvé alors pourquoi vouloir modifier la formule ? Après 35 ans de carrière, on a toujours le même plaisir à être ensemble et à faire de la musique et je trouve cela génial. Parfois, on commence à jammer et, si l’on sent que ça ne prend pas, que l’on n’est pas forcément en phase, alors on pose les instruments et on se cale dans un canapé pour discuter. On a vraiment gardé intacte cette motivation et ce plaisir qui étaient les nôtres au début du groupe.
C’est donc ça le secret de la longévité ?!
Tu sais, on a tourné avec tout un tas de groupes et tu en vois certains qui ne prennent même pas le bus ensemble où se quittent pour aller dans des hôtels différents dès la fin du concert… Ce n’est pas ma conception d’un groupe. Nous, même si l’on fait des tournées de deux mois, après le concert, on se retrouve pour aller se balader ensemble et manger un morceau. Je pense que l’entente au sein d’un groupe est quelque chose de primordial qu’il faut entretenir comme dans un couple pour éviter qu’avec le temps les liens ne se défassent.
De “Slowly We Rot” à “Back From the Dead” ou bien encore dans vos clips vidéo sous forme de dessins animés, la mort est partout présente. Peux-tu nous parler de ce qui semble être une inépuisable source d’inspiration ?
La mort est un excellent fonds de commerce ! (rires) En fait, même si l’aspect morbide dans les textes ou dans l’imagerie d’Obituary est permanent, ce n’est pas un sujet qui me préoccupe plus que cela et auquel je pense le matin en me levant. Par exemple, contrairement à ce que l’on pourrait croire, je ne suis pas fan des films d’horreur et préfère largement une bonne comédie. Après, j’avoue que lorsque je plonge dans nos anciens vinyles et que je regarde les dessins, tout cet aspect visuel où la mort est très présente, je trouve cela très cool mais pour l’imagerie en tant que telle et non par rapport à l’interprétation que tu peux en faire. Je regrette d’ailleurs un peu cette période où tu achetais un disque parfois juste pour sa pochette et où tu plongeais dans un monde visuel vraiment particulier avec des dessins, des textes, ce genre de trucs que tu n’as plus vraiment aujourd’hui à l’heure où la musique se télécharge sur ordinateur. La mort est, au niveau des textes ce qui collait le mieux avec notre musique très agressive. Tu te retrouves donc peu un peu dans un créneau duquel il est impossible de t’extraire. C’est comme la scène hardcore new-yorkaise. Les mecs véhiculent une image et doivent s’y tenir en montrant leurs gros bras et leur côté très énervé. Tu les imagines mal pouvoir faire autrement et chanter sur des princesses et des histoires d’amour.
L’industrie musicale a énormément changé structurellement cette dernière décennie avec des groupes qui ne vendent plus d’albums et pour qui les concerts sont la clé de la réussite. Comment as-tu géré cette crise sanitaire de la Covid qui a profondément modifié et pour une durée assez indéterminée les tournées ?
Malheureusement, je pense que nous ne sommes qu’au début de cette crise sanitaire qui bouleverse totalement notre monde et notre relation à l’autre. Nous étions en tournée avec Black Label Society lorsque la pandémie a éclaté. Tout se passait pour le mieux avec un public vraiment en feu, une complicité géniale avec Zakk Wylde (leader de Black Label Society) et son groupe et puis, tout à coup, tout s’est arrêté. On nous a dit : « Bon, les gars, il faut rentrer à la maison ! » C’était vraiment surréaliste, un vrai film catastrophe. Nous avions deux autres tournées déjà complètes de programmées et elles ont été décalées à 2021. Aujourd’hui, franchement, on se demande même si elles vont pouvoir être organisées tant la situation paraît pour le moins bancale et l’avenir incertain. Il se dit même que tous les gros festivals ne pourront pas avoir lieu en 2021. C’est une situation incroyable qu’on ne pensait pas vivre un jour et dont beaucoup de personnes ne se relèveront pas.
Obituary est programmé pour l’édition 2021 du Hellfest à Clisson. Je suppose qu’après cette année vierge de festivals, vous espérez quand même pouvoir retrouver la foule ?!
2020 a été une année blanche pour tous les groupes et, franchement, on a fait avec. Nous sommes restés à la maison, on en a profité pour composer de nouveaux titres avec l’envie de réaliser un album et de pouvoir le jouer sur scène l’année prochaine mais franchement, aujourd’hui, tout est flou. On devait reprendre la route au mois de mars mais cela semble très compromis avec toutes ces nouvelles mesures restrictives. C’est une situation bien triste et très stressante pour tous avec un avenir sombre. Avec cette deuxième vague de Covid qui se profile de plus en plus à l’horizon, on se demande vraiment si les festivals de 2021 pourront avoir lieu. Si les groupes se retrouvent avec deux années d’inactivité totale sans aucun concert, la situation risque de prendre une tournure vraiment catastrophique.
Randy Blythe, chanteur du groupe Lamb Of God, dit de toi que ta voix est une sorte de chose viscérale qui va au-delà de la simple performance vocale. Cela te semble une définition assez juste ?
Lamb Of God était avec nous sur la tournée de Slayer et Randy et moi sommes devenus de bons amis. Concernant les prouesses vocales, il sait de quoi il parle car il a vraiment une tessiture tout à fait à part. Je sais qu’il était fan d’Obituary lorsqu’il était jeune et c’est vraiment sympa d’avoir la reconnaissance de mecs comme ça qui sont aujourd’hui des figures emblématiques du heavy-metal. Ma voix est la même depuis 35 ans et je ne l’ai jamais réellement travaillée et j’ai juste eu la chance qu’elle colle avec le style de musique qui est le nôtre.
L’un de vos morceaux se nomme «Ten Thousand Ways to Die » (Dix mille façons de mourir), mais quelle est selon toi le meilleure manière de passer l’arme à gauche ?
(rires) J’aimerais bien que cela se produise après avoir enfin vu l’équipe de Dolphins remporter le Superbowl et brandir le trophée pendant que je sirote une bonne bière.
Qu’aimerais-tu voir écrit sur ta nécrologie (Obituary) ?
Mon Dieu, c’est une question difficile ! Je crois que personne n’a vraiment envie de se poser pour rédiger sa nécrologie mais bon… J’aimerais qu’elle soit écrite par mes enfants et qu’ils puissent dire avec amour et objectivité ce que je représentais à leurs yeux et le type que j’étais.