En quelle année Louis XIV fut-il couronné ? Qui a promulgué l’Édit de Nantes ? Charlemagne a-t-il inventé l’école ? Qui a mené la bataille de Marignan en 1515 ? À quoi correspond le serment du Jeu de paume ? Les Français aiment l’histoire et pourtant, difficile de se souvenir des principaux événements qui ont jalonné notre patrimoine pour engendrer la société dans laquelle nous vivons. En cette rentrée scolaire, il était donc nécessaire de s’offrir une petite leçon d’histoire en compagnie de Jean-Joseph Julaud, auteur, entre autres, de L’Histoire de France pour les nuls. Alors, tentons de nous remémorer le passé afin de mieux comprendre notre présent !
« Aujourd’hui, imaginer une révolution pour résoudre les problèmes du pays, c’est céder à une inquiétante facilité. »
Les Français sont-ils nuls en histoire ?
On aimerait bien affirmer le contraire, mais il est vrai que dans l’ensemble, les Français entretiennent avec leur histoire des relations distantes, et pourtant l’Histoire les passionne. Pour les satisfaire, il suffit de la leur raconter en évitant de l’intellectualiser. S’ils sont « nuls », ce n’est pas leur faute, ce n’est la faute de personne sauf, peut-être, à l’institution scolaire qui a voulu transformer la façon de transmettre le savoir dans ce domaine. Cette « modernisation » qui excluait la chronologie et privilégiait les études par thèmes, pour intéressante et novatrice qu’elle ait pu être, n’a pas permis aux acquis de s’installer durablement dans les mémoires. L’histoire est devenue « impressionniste », construisant uniquement des idées où il eût été nécessaire qu’on installât au préalable des cadres temporels rehaussés de quelques images issus d’événements ciblés leur étant associés.
Peut-on comprendre le monde dans lequel nous vivons sans connaître l’histoire qui l’a façonné ?
Il est nécessaire de savoir d’où l’on vient pour savoir où l’on va ; il est indispensable de connaître les erreurs du passé, mais aussi ses réussites pour construire l’avenir ; il est indispensable de savoir se situer dans le temps pour prendre conscience qu’on appartient à un flux humain ininterrompu depuis des millénaires. L’identité de chaque individu passe par la prise de conscience du paysage historique dont il est le continuateur, et dans lequel il se situe.
Partagez-vous la pensée de Elisée Reclus (géographe français) qui disait : « l’histoire n’est que la géographie dans le temps, comme la géographie n’est que l’histoire dans l’espace » ?
C’est une formule fondée à travers le prisme favori de Reclus : la géographie. Histoire et géographie sont, il est vrai, étroitement mêlées, l’une agit sur l’autre et l’autre façonne l’une sans qu’on puisse dire vraiment laquelle domine, elles sont les deux faces de la monnaie du spatiotemporel.
Selon vous, que gardera-t-on de notre époque dans les manuels d’histoire, d’ici plusieurs centaines d’années ?
Fort peu de chose. Nous avons parfois l’impression que nous vivons des événements importants qui marqueront l’histoire alors qu’il ne s’agit que des saillants d’une actualité bien vite dissipée par une autre actualité. Ce qui se passe aujourd’hui pour les élections présidentielles, les tapages les plus divers, les déclarations les plus enflammées, les programmes, les promesses… Tout cela sera oublié dans vingt ans, dans un siècle a fortiori, et peut-être même que, des vingt ou trente années qui viennent de s’écouler, on ne retiendra qu’un nom, on résumera le tout en une ligne. Ou pire, on n’en dira rien, privilégiant les moments clés choisis par les historiens d’alors. Nul ne peut savoir aujourd’hui ce que dans l’avenir, on écrira du début du XXIe siècle.
L’histoire est-elle, comme le pensait l’historien grec Thucydide, un perpétuel recommencement ?
Bien sûr, parce que ce sont les hommes qui la font et les hommes n’évoluent guère dans leur soif de pouvoir, de conquête. On constate que la guerre est toujours présente à la surface du globe, que la paix est éphémère. Mais l’idée de ce perpétuel « recommencement » doit être assouplie : les progrès techniques extraordinaires que nous connaissons n’ont eu aucun précédent, ils sont, eux, du domaine d’une certaine linéarité dans l’évolution de l’intelligence collective, alors que l’histoire des rivalités entre les groupes humains tient plutôt de la circularité et, partant, de la répétitivité, du « recommencement ».
Si vous deviez citer les cinq personnages qui, selon vous, ont le plus marqué l’histoire de France, quels seraient-ils ?
Louis XI parce qu’il a donné une unité politique à son royaume ; François 1er parce qu’il a eu la volonté de donner une langue à la France ; Louis XIV parce qu’il a imposé l’idée d’une France forte ; Napoléon pour son épopée mythique qui crée un empire porteur des orientations du XXe siècle ; De Gaulle qui a lutté de toutes ses forces contre le nazisme.
Hormis les deux Guerres mondiales, quels sont pour vous les cinq événements les plus importants de l’histoire de France ?
Le couronnement de Charles VII à Reims en 1429 – les Anglais redeviennent des insulaires. Le massacre de la Saint Barthélemy le 24 août 1572 où l’on comprend que la tolérance ne guidera sans doute jamais les Français. Le mois de mai 1789 où toute la France espère un changement radical et la disparition de ses structures féodales. La proclamation de la République le 4 septembre 1870. L’affaire Dreyfus où le visage de la France se montre à découvert. L’année 1968 où la France (et l’Europe) commence à penser sa culture d’une façon différente et à remettre en cause ses structures inadaptées à la modernité.
Sur la couverture de L’histoire de France pour les nuls, figurent surtout des hommes d’état ! L’histoire est-elle avant tout politique ?
La politique n’est qu’un aspect de l’histoire, l’une de ses composantes, la politique est un rouage dans la grande machine des groupes humains. Avant de considérer qu’elle fait l’histoire, il faut s’interroger sur les conditions de sa naissance, sur sa liberté et ses limites.
L’histoire de France est-elle également l’histoire des différents courants de pensées ?
Les courants de pensée essaient de s’imposer, mais il en existe tellement de sortes qu’on se demande comment l’un d’entre eux vainc un jour les autres. À vrai dire, ils cohabitent tous, mais se résolvent par la force des choses à suivre le courant dominant. L’histoire est le reflet de cette lutte permanente qui tantôt donne la victoire à l’un, tantôt exclut l’autre, parfois de façon violente. Le courant majoritaire est déjà celui de l’opposition du lendemain.
On entend souvent que le Moyen Âge était une période pauvre culturellement parlant ! Est-ce exact ?
C’est tout à fait faux et depuis longtemps démontré. Le Moyen Âge représente mille ans d’effervescence culturelle, économique, sociale, avec des passages difficiles, tragiques certes, mais aussi l’usage éclairé d’une liberté de circulation, autant des hommes que des idées, qui pourrait inspirer aujourd’hui l’esprit de tolérance. Le Moyen Âge, c’est mille ans de création, d’art, de savoir-faire, mille ans d’une liberté dont on n’a pas idée aujourd’hui, avec ses risques sans doute, mais ses bonheurs surtout.
Histoire des religions et histoire sont-elles intimement liées ?
La religion se retrouve souvent dans les stratégies et les tactiques des politiques… Elle est bien pratique pour entrer par effraction douce et contrôlée dans les consciences qui se laissent manipuler, en criant haut et fort que personne ne les influence. La spiritualité est toujours menacée par la naïveté.
L’histoire de France se scinde-t-elle entre un avant et un après 1789 ?
L’histoire de France est faite de multiples tournants. Celui de 1789 est un tournant majeur : la France féodale et ses hiérarchies fondées sur l’arbitraire et l’injustice laisse place à l’individu qui est invité à se réaliser, à se construire sans les échafaudages éventuels, les barrages surtout, que lui imposait la société de l’Ancien régime. C’est l’avènement de la liberté avec tous ses possibles exaltants et tous ses dangers.
On évoque souvent la Révolution française comme une sorte de libération, mais cette période n’a-t- elle pas été l’une des plus sanglantes qu’ait connue notre pays ?
Notre pays a connu bien des périodes sanglantes, parfois tombées dans l’oubli. Les atrocités de la Révolution nous sont parvenues parce qu’elles ont été consignées dans la mémoire écrite, commentées, jugées comme un passage presque nécessaire entre le monde ancien et la modernité. Il a fallu sacrifier de l’humain pour inscrire dans la mémoire du sang une nouvelle identité. C’est réussi puisque la Révolution et ses excès se présentent à nous comme un inépuisable terrain d’analyse, mais n’oublions pas que, tout au long de l’Ancien régime, la sécurité du peuple ne représentait pas le souci majeur des dirigeants du pays. Les guerres de religion, les désordres civils, les ravages de la soldatesque ont désespéré le petit peuple pendant des siècles.
Crise, tensions sociales, pauvreté, écart croissant entre les plus riches et les plus pauvres. Notre période actuelle n’est-elle pas proche de la situation qui a précédé la Révolution française ?
On ne peut rapprocher et comparer deux situations qui n’ont presque rien à voir, hormis une constante à travers toute l’histoire : les inégalités, l’écart entre les riches et les pauvres. Le progrès social, même s’il est imparfait, est bien réel, et la situation économique d’aujourd’hui n’a rien à voir avec celle de 1789. Et aujourd’hui, imaginer une révolution pour résoudre les problèmes du pays, c’est céder à une inquiétante facilité.
Vous avez opté pour un ton humoristique dans la rédaction de votre ouvrage. Quelles anecdotes de notre histoire vous ont fait sourire en les rédigeant ?
Ce qu’on peut appeler « Gaule télécom » qui transmet les nouvelles au moyen de crieurs de colline en colline, avec des puces naturelles uniquement. Charlemagne et ses femmes. L’obstination des chevaliers du Moyen Âge à chercher l’exploit personnel. La vie à Versailles au temps de Louis XIV. Les secrets de beauté au fil du temps. L’absence totale de scrupules de Napoléon.
Est-ce l’homme qui fait l’histoire ou l’histoire qui fait l’homme ?
L’homme fait l’histoire à sa mesure.
Les histoires d’amour ont-elles façonné l’histoire de France ?
En sous-main, oui…